Pratique | Identification
Comment identifier le Bécasseau minuscule, le plus petit limicole du monde ?
Introduction
L’observation des oiseaux dans les zones humides littorales est souvent riche en surprises, pendant les migrations mais aussi en hiver. Il est en effet parfois possible de découvrir des limicoles accidentels venus de Sibérie ou d’Amérique du Nord, mais il n’est pas toujours facile de les distinguer des espèces plus régulières. Le vendredi 5 août 2016, Damien Gailly avait ainsi observé le long du Grau de Piémanson, à l’extrémité sud-est du delta du Rhône (Bouches-du-Rhône), un limicole qu’il avait d’abord identifié comme un Bécasseau de Temminck (Calidris temminckii) atypique, à la projection primaire très courte. Le 7 août, Paul Bonfils a rencontré Damien sur le site, et grâce à l’aide de trois observateurs confirmés, le limicole a pu être identifié : il s’agissait en fait d’un Bécasseau minuscule (Calidris minutilla), a priori un adulte, une espèce nord-américaine très rare en France (un peu plus d’une dizaine de données depuis 1980).
Le 31 janvier 2023, un autre individu a été découvert dans les marais de la Guittière, au sud de Talmont-Saint-Hilaire (Vendée), et il était encore présent le 28 février au moins.
Le 2 janvier 2025, un oiseau a été découvert dans la réserve des Steart Marshes, gérée par le Wildfowl and Wetlands Trust et située dans le Sommerset (Grande-Bretagne), où il était encore présent le 4 janvier, souvent en compagnie d’un Bécasseau minute (C. minuta), permettant d’utiles comparaisons.
Après une présentation de cette espèce et de ses critères d’identification, nous revenons sur deux observations récentes en France.
Nous remercions Paul Bonfils (voir sa page Facebook), Christian Bouchet (voir sa galerie Flickr) et Tom Hines (blog My Wild Life : Tom Hines) pour leurs photos.
Abstract
Birdwatching in coastal wetlands is often rich in surprises, during migrations but also in winter. It is indeed sometimes possible to discover accidental waders from Siberia or North America, but it is not always easy to distinguish them from more regular species. On Friday August 5, 2016, Damien Gailly watched along the Grau de Piémanson, at the south-eastern end of the Rhône delta (Bouches-du-Rhône), a wader which he had first identified as being an atypical Temminck’s Sandpiper (Calidris temminckii), with a very short primary projection. On August 7, Paul Bonfils met Damien on site. Thanks to the help of three confirmed birders, the wader was able to be identified: it was in fact a Least Sandpiper (Calidris minutilla), certainly an adult, a North American vagrant which is very rare in France (a little more than ten records since 1980).
On January 31, 2023, another individual was discovered in the Guittière marshes, south of Talmont-Saint-Hilaire (Vendée), and it was still present on at least February 28.
On 2 January 2025, a bird was discovered in the Steart Marshes reserve, managed by the Wildfowl and Wetlands Trust and located in Somerset (Great Britain), where it was still present on 4 January, often in the company of a Little Stint (C. minuta), allowing useful comparisons.
After a presentation of this species and its identification criteria, we return to two recent records in France. We thank Paul Bonfils (visit his Facebook page), Christian Bouchet (visit his Flickr gallery) and Tom Hines (blog My Wild Life : Tom Hines) for their photos.
Mues et plumages chez les limicoles
Topographie du plumage d’un limicole. |
Comme beaucoup de limicoles, les bécasseaux (genre Calidris) muent deux fois par an (lire La mue chez les oiseaux). On distingue plusieurs plumages en fonction de l’âge et de la période de l’année.
- Plumage juvénile, conservé jusqu’à la première mue.
-
Plumage de premier hiver (appelé aussi premier plumage de base) : il est acquis après une mue (dite prébasique) partielle ou complète. Les Bécasseaux minuscules qui hivernent en Amérique du Sud remplacent toutes leurs plumes (sauf les primaires externes et les couvertures alaires) entre septembre et novembre, tandis que ceux qui hivernent en Californie muent seulement les plumes de leur corps durant cette période.
-
Plumage de premier été (ou premier plumage alterné) : il est acquis après une mue partielle qui se déroule entre mars et mai et qui touche les plumes du corps, des couvertures alaires et des tertiaires.
-
Plumage adulte internuptial (ou plumage définitif de base) : il est acquis après une mue complète des plumes du corps qui se déroule entre août et octobre (l’oiseau est alors âgé d’un an). Les oiseaux qui hivernent en Amérique du Sud repoussent la mue des plumes de leur corps jusqu’à la mi-août, tandis que ceux qui passent l’hiver en Californie remplacent les plumes de leur corps en juillet.
-
Plumage adulte nuptial (ou plumage définitif alterné) : il est acquis après une mue partielle qui se déroule entre janvier et avril et qui touche la plupart des plumes du corps, les tertiaires, les rectrices centrales et souvent plusieurs couvertures alaires.
L’usure modifie aussi les couleurs en éliminant les franges extérieures des plumes. L’observation des plumages et du degré d‘usure permet donc de déterminer l’âge des bécasseaux sur le terrain.
Présentation et identification du Bécasseau minuscule (Calidris minutilla)
Longueur : 13 -14 cm. C’est la plus petite espèce du genre Calidris, et donc certainement le plus petit limicole du monde.
Description générale : le Bécasseau minuscule ressemble étroitement au Bécasseau à longs doigts (C. subminuta), une espèce sibérienne également accidentelle en Europe. Comme les Bécasseaux à longs doigts et de Temminck (C. temminckii) (lire Identifier le Bécasseau de Temminck), il a les pattes jaunâtres ou verdâtres (attention, elles peuvent être salies par la vase). Outre la couleur de ses pattes, il se distingue principalement des autres petits bécasseaux par sa projection primaire courte et ses rayures pectorales nettes formant souvent une bande complète. En vol, les rectrices externes sont grises et non pas blanches comme celles du Bécasseau de Temminck.
Son bec est court. Par rapport à celui du Bécasseau semipalmé (C. pusilla), il est plus pointu, plus fin (peu visible de loin) et un peu plus recourbé.
Son front est abrupt, le sommet de sa calotte étant situé avant les yeux.
Son cou est court.
Le cercle oculaire blanc est assez net.
Sa posture est plus « ramassée » que celle des autres petits bécasseaux, ce qui lui donne une allure un peu « rampante ». Quand il s’envole, le Bécasseau minuscule décolle presque verticalement. Ses battements d’ailes semblent souvent assez faibles et son vol apparaît alors « indécis ».
Juvénile : au sein d’une troupe de Bécasseaux semipalmés (C. pusilla) ou d’Alaska (C. mauri), un jeune Bécasseau minuscule se repère assez facilement avec son dessus écaillé (plumes à bordure rousse et à centre sombre) et sa bande pectorale nette. Chez les oiseaux en plumage frais, les pointes blanches des plumes du manteau et des scapulaires forment un « V » blanc rappelant le Bécasseau minute (C. minuta) juvénile. Le jeune Bécasseau minuscule ressemble au Bécasseau à longs doigts du même âge, mais son dessin facial est moins net, ses joues sont moins striées, et la couleur globale est plus grisâtre que blanchâtre. La région lorale (entre l’avant des yeux et la base du bec) est sombre, large et droite : elle « relie » les yeux au bec sombre, formant un « masque ». Le cercle oculaire est pâle et visible, et l’œil est de forme ovale, ce qui lui donne une sorte d’expression « orientale ». Le front blanchâtre et les sourcils pâles atteignant la base du bec forment un ensemble pâle continu, alors que chez le Bécasseau à longs doigts, le front est sombre.
Les parotiques (joues) sont sombres.
Les couvertures alaires sont gris pâle et les bordures des plumes sont teintées de chamois, tandis que chez le Bécasseau à longs doigts, les plumes des couvertures alaires sont gris sombre avec des bordures blanches : leur teinte générale est donc plus « froide ».
Oiseau de premier hiver : le Bécasseau minuscule de premier hiver peut conserver des plumes juvéniles dans ses couvertures alaires, ce qui permet de le distinguer de l’adulte en plumage internuptial au dessus gris-brun plus uniforme.
Oiseau de premier été : il n’est généralement pas possible de distinguer ce plumage sur le terrain car l’oiseau de premier été ressemble étroitement à l’adulte en plumage nuptial.
Adulte en plumage nuptial : en plumage nuptial, les petites barres rousses des scapulaires, des tertiaires, du manteau et de la zone auriculaire donnent à l’adulte une teinte roussâtre dessus, un peu comme le Bécasseau à longs doigts. À la fin du mois de juillet, quand les plumes du dessus sont usées, elles semblent uniformément sombres. La calotte et les parotiques sont sombres. Les sourcils sont gris sale et donc assez peu marqués.
Adulte en plumage internuptial : globalement, le Bécasseau minuscule adulte en plumage internuptial apparaît gris-brun et tacheté (à cause des centres noirâtres diffus des plumes) dessus, ce qui lui donne un vague aspect écailleux de loin.
En janvier, quand de nouvelles plumes à centre sombre poussent et que les anciennes sont usées, il ressemble étroitement au Bécasseau à longs doigts. Il possède une bande pectorale sombre complète : elle est plus uniforme à la fin de l’été et plus distinctement striée au cours de l’hiver, quand les nouvelles plumes poussent.
Voix
Le cri le plus fréquent du Bécasseau minuscule est un « tru-ip » aigu, montant et roulé, parfois aussi un « kre-ep » dissyllabique ou un « kleep » faible. Ses cris sont légèrement plus graves et moins sonnants que ceux du Bécasseau de Temminck.
Écoutez ci-dessous un enregistrement des cris d’un bécasseau minuscule réalisé en Alaska le 01/07/2014 par Andrew Spencer (source : Xeno-canto).
Aire de répartition
Bécasseau minuscule (Calidris minutilla) adulte dans le Grau de Piémanson en Camargue (Bouches-du-Rhône) le 9 août 2016. Notez (1) le front blanc et les lores sombres, (2) le cercle oculaire pâle assez visible, (3) le bec court légèrement recourbé, (4) la bande pectorale striée et (5) les pattes jaunâtres. Notez aussi les parotiques (joues) sombres (cliquez sur la photo pour l’agrandir) |
Le Bécasseau minuscule niche de l’ouest de l’Alaska au nord de l’Ontario et à la Nouvelle-Écosse. Il hiverne principalement le long des côtes du Pacifique et de l’Atlantique jusqu’au Pérou et au Surinam. Il est occasionnel au Japon, en Islande et en Europe Occidentale.
Habitats
Il niche dans les tourbières, les marais et parfois dans des endroits plus secs. Durant les migrations, il préfère s’arrêter le long des rives des étangs saumâtres, parmi les touffes de Spartina (plante herbacée halophyte). Il se nourrit aussi sur les bords des étangs d’eau douce. Il évite généralement les vastes vasières et fréquente peu les grandes troupes de limicoles. En hiver, il se nourrit le long des rives vaseuses des plans d’eau salée et douce, dans les champs inondés et parfois sur les grèves.
Statut en France
Le Bécasseau minuscule est une espèce accidentelle très rare en Europe. D’après le site web du Comité d’Homologation National (CHN), neuf données ont été confirmées depuis 1982, auxquelles il faut ajouter cinq autres antérieures à la création du CHN (jusqu’en 1980) qui n’ont pas été soumises à l’homologation. La plupart des observations ont été faites entre août et octobre et le long du littoral atlantique. D’autres individus ont été vus depuis 2012 (voir notre rubrique Observations).
Un Bécasseau minuscule en Camargue (Bouches-du-Rhône) en août 2016
Situation de la Camargue (Bouches-du-Rhône). |
Le 5 août 2016, Damien Gailly a découvert un Bécasseau de Temminck « atypique » à projection primaire très courte près de la baisse de Cinq Cents Francs en Camargue (voir la localisation du site exact d’observation sur Google Maps), un secteur attractif pour les limicoles, constituant notamment une halte régulière pour le Phalarope à bec étroit (Phalaropus lobatus) au printemps et en automne (lire Où observer les oiseaux en Camargue ?).
Le matin du dimanche 7 août, Paul Bonfils a rencontré Damien sur place. Pendant que Damien scrutait le secteur avec sa longue-vue, Paul a croisé deux observateurs expérimentés (Amine Flitti et Pierre-André Crochet). Peu après, le bécasseau a été repéré se nourrissant près des galets le long du Grau (= chenal) de Piémanson. Il était peu farouche.
Les personnes présentes ont pu observer de près et photographier l’oiseau. Son identification a fait l’objet d’une discussion : s’agissait-il d’un Bécasseau de Temminck atypique ou bien d’un Bécasseau minuscule ? Après une dizaine de minutes d’observation et l’avis d’un autre ornithologue joint par téléphone, l’identification a été confirmée : il s’agissait bien d’un Bécasseau minuscule, a priori un adulte en plumage internuptial. Les critères utilisés ont été l’absence de projection primaire, la bande pectorale très marquée, le dessus gris-brun fortement tacheté de noir et les rectrices externes grises. Le comportement de l’oiseau, très confiant, a aussi contribué à faire « pencher la balance », le Bécasseau de Temminck ayant tendance à être farouche ou timide. L’observation a été publiée sur le site web Faune-paca.org.
Un Bécasseau minuscule dans les marais de la Guittière (Vendée) en février 2023
Situation des marais de la Guittière (Vendée). |
Les marais de la Guittière couvrent environ 90 hectares et s’étendent entre le village du même nom et l’océan Atlantique, à une dizaine de kilomètres au sud des Sables-d’Olonne, dans le département de la Vendée (lire Observer les oiseaux autour des Sables-d’Olonne). Ils sont bordés par l’estuaire du petit fleuve Payré, le chenal du Payré à Talmont et le bois du Veillon. Anciens marais salants aujourd’hui partiellement à l’abandon (il reste encore trois producteurs), ils constituent désormais une zone de grande richesse écologique importante, où l’on pratique plusieurs activités : élevage de poissons et d’huîtres, chasse et visites guidées. En effet, l’arrêt progressif de l’activité de production de sel a favorisé l’installation d’une intéressante avifaune nicheuse, ainsi que le stationnement durant les migrations et en hiver d’oiseaux aquatiques, principalement des anatidés et des limicoles.
Du fait de sa situation géographique, le long du littoral atlantique, plusieurs échassiers rares originaires d’Amérique du Nord y ont déjà été notés. Le 31 janvier 2023, un Bécasseau minuscule y a été découvert, et il était encore présent le 28 février au moins : il stationne notamment dans le marais de la Fontaine, dans la partie nord de la zone humide (voir une carte de cette dernière).
Plusieurs observateurs et photographes sont venus le voir et ont pu noter les critères d’identification, notamment une très petite taille, nettement inférieure à celle du Bécasseau variable (Calidris alpina), le front et les sourcils blanchâtres atteignant la base du bec et formant un ensemble pâle continu, un cercle oculaire pâle et visible, les parotiques (joues) sombres et la courte projection primaire. Le dessus des ailes majoritairement gris-brun écaillé de noir, sans trace de roux, suggère qu’il s’agit d’un individu de premier hiver ou d’un adulte en plumage internuptial.
|
|
Une vidéo du Bécasseau minuscule dans les marais de la Guittière (Vendée) en févier 2023
La vidéo ci-dessous permet de voir la technique de nourrissage du Bécasseau minuscule dans les marais de Guittière (Vendée) en février 2023.
Bécasseau minuscule (Calidris minutilla) dans les marais de la Guittière (Vendée) le 4 février 2023
Source : Thibaud Daumal
Réagir à notre article
Compléments
Dans la galerie photos d’Ornithomedia.com
- Bécasseau de Temminck (Calidris temminckii)
- Bécasseau minute (Calidris minuta)
- Bécasseau minuscule (Calidris minutilla)
À visiter sur le Web
- La page Facebook de Paul Bonfils : www.facebook.com
- La galerie Flickr de Christian Bouchet : www.flickr.com
- Le blog de Tom Hines : My Wild Life : Tom Hines
- Le site web collaboratif www.ornitho.fr
Ouvrages recommandés
- Le guide Ornitho Killian Mullarney et al
- The Handbook of Bird Identification: For Europe and the Western Palearctic de Mark Beaman, Steve Madge
- Guide des limicoles d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord Stephen Message et Don Taylor
- The North American Bird Guide David Sibley
- Kaufman Field Guide to Advanced Birding: Understanding what You See and Hear de Kenn Kaufman
Sources
- Richard R. Veit et Lars Jonsson (1984). Field Identification of smaller sandpipers within the genus Calidris. American Birds. Volume 35. Numéro 5. sora.unm.edu
- Wader Quest. Which is the world’s smallest wader / shorebird? www.waderquest.net
Aucun commentaire sur ce sujet
Participer à la discussion !