Couver dans des nids vides, un comportement anormal documenté chez des oiseaux variés

Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca) couvant

Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca) couvant.
Photographie : GNU FDL / Wikimedia Commons

Chez les oiseaux, les œufs doivent rester à une température à peu près constante, voisine de celle du corps de l’oiseau, et pour cela, le ou les deux adultes qui couvent les retournent régulièrement pour bien répartir la chaleur et assurer le développement de l’embryon, puis de l’oisillon (lire Les œufs des oiseaux). La durée de l’incubation est variable, allant d’une dizaine de jours chez les passereaux à près de trois mois chez les albatros (lire Le développement embryonnaire et la couvaison chez les oiseaux).
On assiste parfois à des comportements anormaux ou atypiques, comme des abandons de nids et des couvaisons d’objets (lire Un Bécassin à long bec couvant des os de mammifère !) ou même d’œufs « imaginaires ». 
Dans un article publié en 2024 dans le Wilson Journal of Ornithology, August Davidson-Onsgard, Todd M. Jones, Kim Savides et Sara A. Kaiser ont recensé dans la littérature 231 cas d’oiseaux impliquant onze espèces incubant dans des nids vides, dont la très grande majorité en Europe (cinq espèces et 96 % des données).
Une femelle de Paruline bleue (Setophaga caerulescens) incubant dans un nid vide pendant huit jours a par exemple été observée au printemps 2023 dans la forêt expérimentale de Hubbard Brook, dans le New Hampshire (États-Unis).
En Suède, dans le cadre d’un suivi de nichoirs mené dans les années 1980, quatre cas de Mésanges charbonnières (Parus major), un de Mésange noire (Periparus ater) et un de Mésange bleue (Cyanistes caeruleus) couvant dans des nids vides ont été trouvés.
En Finlande, lors d’un suivi de nichoirs occupés par des Mésanges charbonnières dans les environs de la ville de Harjavalta entre 1991 et 1996, 3,3 % des femelles incubaient des « œufs invisibles ». Des comportements similaires ont également été signalés chez cette espèce aux Pays-Bas et en Allemagne. Il semble que la proportion de ces passereaux couvant dans des nids vides ou pondant des œufs de mauvaise qualité ait augmenté depuis la fin des années 1960, mais surtout depuis les années 1980 : en Allemagne, cette proportion varierait entre 1 et 4 % d’une année à l’autre, et elle serait même nettement plus élevée aux Pays-Bas.
Cette situation atypique a également été documentée chez le Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca) et la Sittelle torchepot (Sitta europaea), ainsi que chez des passereaux non cavicoles : Schilde (1986) a par exemple observé une femelle de Merle noir (Turdus merula) qui est restée dans son nid sans œuf pendant au moins onze jours, apparemment sous la surveillance de son partenaire, et Mudd (1999) a suivi une femelle de Merle noir qui est restée posée pendant 19 jours dans un nid « imaginaire » sur une pelouse, y compris pendant la nuit, et défendant un « territoire ».
La couvaison de nids vides a été documentée chez d’autres oiseaux que des passereaux : Poulsen (1953) a décrit un Grand Cormoran (Phalacrocorax carbo) qui a construit un nid puis a « couvé » pendant plus d’un mois sans avoir pondu, Owen (1940) a signalé ce comportement  chez la Buse variable (Buteo buteo), le Faucon crécerelle (Falco tinnunculus) et le Pic vert (Picus viridis), et il a été observé chez plusieurs Anatidés, dont l’Eider à duvet (Somateria mollissima) (Gudmundsson 1983) et le Canard colvert (Anas platyrhynchos) : une femelle de cette espèce a couvé dans un nid vide au sein d’une colonie de Sternes pierregarins (Sterna hirundo) pendant au moins 42 jours en 2001.
Dans une colonie installée sur la Banter See, à Wilhelmshaven (Allemagne), une femelle baguée de Sterne pierregarin, nommée « Alisaea », a couvé dans une dépression vide durant plusieurs saisons entre 2000 et 2003. Après la disparition de son premier partenaire connu, elle s’est accouplée avec plusieurs mâles en 2002 et en 2003, tout en continuant à couver des œufs  inexistants.

Différentes explications possibles

Mésange charbonnière (Parus major) couvant

Mésange charbonnière (Parus major) couvant.
Photographie : Garnhami / Wikimedia Commons

Plusieurs explications ont été avancées pour tenter d’expliquer la couvaison dans des nids vides, les plus souvent proposées étant l’exposition à la pollution, la maladie, l’infertilité, les effets néfastes de l’alimentation hivernale et/ou les insecticides. Ce comportement semblant plus fréquent depuis les années 1980, une carence en calcium due à l’acidification de l’environnement a été avancée par plusieurs auteurs, dont Drent et Woldendorp (1989), qui avaient remarqué qu’il était plus fréquent dans les bois et les forêts touchés par les pluies acides depuis les années 1970, notamment en Europe centrale. 
Comme nous l’avons signalé plus haut, des cas de Mésanges charbonnières couvant dans des nichoirs vides ont été notés à proximité d’une fonderie de cuivre près de la ville de Harjavalta (Finlande) entre 1991 et 1996, ce qui pourrait plaider en faveur d’un effet de la pollution.  
L’observation d’une femelle de Paruline bleue incubant dans un nid vide au printemps 2023 dans la forêt expérimentale de Hubbard Brook, dans le New Hampshire (États-Unis), correspondait avec la présence de fumées provenant de grands incendies de forêts au Québec (Canada) qui avaient été causés par des températures élevées et une grande sécheresse. 
Dans un cas de couvaison dans un nid vide, on a découvert un kyste dans l’oviducte qui avait manifestement empêché une femelle de Mésange charbonnière de pondre.
Enfin, faire « semblant » de couver pourrait être un moyen, pour certaines femelles, de se faire nourrir par les mâles. 
Sur notre page Facebook, Ignacio Gámez Carmona nous a proposé cette explication : lorsque la couvée a été détruite ou a échoué, l’instinct reproducteur peut conduire certains oiseaux à continuer à couver pendant un certain temps dans le nid vide.
La rareté de cas observés rend toutefois difficile la compréhension de ce comportement. En outre, dans les études menées sur les nichoirs, ceux qui sont vides sont souvent écartés. Il serait donc nécessaire de disposer de davantage de données pour essayer de mieux comprendre ces « couvaisons fictives » et la manière dont la ponte et le succès de la reproduction réagissent aux facteurs intrinsèques et environnementaux, notamment aux feux de forêt, qui devraient augmenter avec le réchauffement climatique.

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