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Il faut laisser au maximum les feuilles mortes dans les parcs et les jardins pour les oiseaux
Introduction
Chaque automne, les feuilles des arbres et des arbustes décidus tombent, et depuis une dizaine d’années, les parcs et les jardins publics (mais aussi de plus en plus privés) résonnent désormais du bruit pénible des souffleurs (parfois aussi appelés souffleuses). Ce sont des machines équipées d’un moteur à essence (à deux ou à quatre temps) ou électrique qui projettent de l’air pour former des tas qu’un aspirateur peut éventuellement récolter plus tard. S’ils facilitent le travail des agents des espaces verts qui n’ont plus à utiliser les balais et râteaux traditionnels, ces appareils ont plusieurs inconvénients : ils constituent une source de nuisances sonores importantes pour les riverains et les promeneurs qui ne peuvent plus profiter du plaisir de se promener tranquillement en automne dans les parcs ou de se recueillir dans les cimetières, ils sont parfois très polluants (pour ceux fonctionnant à l’essence), ils tuent de nombreux invertébrés et surtout bien sûr ils éliminent les feuilles mortes qui jouent un rôle écologique essentiel en protégeant le sol du dessèchement, en l’enrichissant par leur décomposition, en nourrissant de nombreux invertébrés qui eux mêmes sont la proie des oiseaux et d’autres prédateurs, et en dérangeant la faune qui cherche des refuges avant l’hiver.
Dans cet article, nous rappelons l’importance des feuilles mortes pour le sol, les végétaux et les animaux dont bien sûr les oiseaux, soulignons les divers défauts des souffleurs et proposons quelques recommandations pour les réduire.
Abstract
Each fall, the leaves of deciduous trees and shrubs fall and since a decade, one can hear in parks and public gardens (but also increasingly in private ones) the painful sound of leaf blowers, some machines equipped with petrol or electric motors. If they facilitate the work of agents that do not have to use their traditional brooms and rakes, these devices have several disadvantages: they are an important source of noise pollution for local residents and walkers who can not enjoy anymore the pleasure of walking quietly in autumn in parks or meditate in graveyards, they are sometimes very pollluting (for those using gasoline), they kill many invertebrates and of course they remove dead leaves that play an essential ecological role: they protect the soil from drying out, they enrich it by their decomposition, they nourrish many invertebrates which themselves are eaten by birds and other predators, and they disturb the wildlife that precisely seeks shelter before winter. In this article, we underline the importance of dead leaves for the soil, plants and animals, including of course birds, enumerate the various defects of the blowers and propose some recommendations to reduce them.
Le rôle écologique essentiel des feuilles mortes
Litière de feuilles mortes et Cyclamens sauvages (Cyclamen europaeum), parc de Maisons-Laffitte (Yvelines), septembre 2014. |
Les feuilles mortes jouent un rôle important dans la croissance des végétaux et dans l’enrichissement, le renouvellement et la structuration du sol : elles forment l’essentiel de la litière, la couche superficielle qui comprend aussi des rameaux, des brindilles, des pollens, des éléments fongiques (spores, mycéliums) et animaux (excréments et cadavres d’invertébrés essentiellement). Sous l’action de la microfaune (collemboles, acariens, lombrics, cloportes, etc.), de champignons et de bactéries, les feuilles et autres résidus végétaux se transforment peu à peu en humus en quelques mois (pour les feuillus ou quand le sol est basique à neutre) à plusieurs années (pour les résineux ou quand le sol est acide). La litière est un habitat essentiel pour de nombreuses espèces d’invertébrés qui favorisent la germination de nombreuses graines et la régénération des plantes. Elle est peu à peu décomposée et mélangée avec les particules minérales en un sol foncé et à structure grumeleuse, peu soluble dans l’eau, et riche en boulettes fécales juxtaposées aux particules minérales. Ces particules subissent des mouvements horizontaux et verticaux, notamment grâce aux vers de terre qui creusent des galeries.
Toutes les feuilles mortes ne se décomposent pas à la même vitesse : celles des peupliers, des saules, des bouleaux, des érables, des tilleuls, des noisetiers, des pruniers disparaissent avant le milieu ou la fin de l’hiver, tandis que celles des platanes, des chênes, des hêtres, des houx (et autres arbustes persistants) et des conifères mettront plusieurs années à se décomposer.
Les feuilles mortes protègent le sol de l’érosion, de l’assèchement, des ultraviolets solaires, de la lumière (de nombreuses espèces de la litière sont lucifuges) et des chocs thermiques (gel, sécheresse). Elles protègent les plantes du gel et freinent la croissance des adventices.
Les feuilles mortes, un terrain de chasse pour certains oiseaux et mammifères
Rougegorge familier (Erithacus rubecula) cherchant de la nourriture dans une litière de feuilles mortes, Cognac (Charente), le 20 novembre 2014. |
Les feuilles mortes constituent une source essentielle de nourriture pour les invertébrés détritivores qui eux-mêmes sont des proies pour de nombreux insectes prédateurs, reptiles, mammifères (dont les hérissons) et oiseaux. Elles servent d’abris à des auxiliaires précieux pour les jardiniers comme les coccinelles, les carabes, (grands consommateurs de limaces), les millepattes, le Staphylin odorant (Ocypus olens) ou le Gendarme (Pyrrhocoris apterus) (qui dévore des œufs d’autres insectes), en maintenant une humidité favorable et en les protégeant du gel. Cette litière servira d’abri complémentaire à un « hôtel à insectes » que vous auriez éventuellement créé (lire Faire de son jardin une oasis pour les oiseaux en plein été).
Le bruit du Merle noir (Turdus merula) remuant les feuilles à la recherche de vers, d’araignées, de cloportes, d’escargots et d’autres proies, est familier du jardinier et du promeneur, mais ce n’est pas le seul oiseau à y chasser des proies : c’est aussi le cas de la Grive musicienne (Turdus philomelos), de l’Accenteur mouchet (Prunella modularis), le Rougegorge familier (Erithacus rubecula) et de bien d’autres espèces.
Le Hérisson familier (Erinaceus europaeus) et d’autres petits mammifères et le Crapaud commun (Bufo bufo) y trouvent aussi des aliments, et les feuilles les protègent en outre du froid.
Des engins bruyants et parfois lourds
Depuis une dizaine d’années, de bruyants engins, les souffleurs de feuilles (voir une vidéo), sont de plus en plus utilisés dans les parcs, les jardins et les cimetières (lire Observer les oiseaux dans les cimetières) en automne, afin de faciliter le travail de ramassage par les agents qui autrefois se servaient de balais et de râteaux : équipés de lunettes de protection et d’un casque anti-bruit, ils parcourent les trottoirs, les pelouses et les plantations, parfois durant des heures et très fréquemment dans certaines municipalités particulièrement « maniaques ». Plusieurs rapports montrent que le seuil de nocivité pour les oreilles (85 décibels ou dB) est souvent dépassé, le niveau de puissance acoustique maximal n’étant malheureusement pas toujours indiqué dans les prospectus de vente. Des puissances de près de 100 dB ne sont pas inhabituelles. Des fabricants ont lancé ces dernières années des modèles moins sonores (65 dB) et plus économes en carburant.
Un souffleur de feuilles. |
Des réactions d’habitants (pétitions, lettres, plaintes) ont déjà eu lieu : aux États-Unis, au moins 20 municipalités californiennes ont interdit leur utilisation et le comté de Montgomery (Maryland) a banni l’usage des modèles de plus de 70 dB. Au Canada, la ville de Vancouver avait voté contre leur utilisation en 2001, puis est revenue plus tard sur cette décision, n’interdisant que les engins de plus de 65 dB. En France aussi, plusieurs municipalités, comme la mairie de Paris, ont limité l’usage des modèles plus bruyants. Une page Facebook « Souffleurs de feuilles : stop ! » a été créée.
Précisons aussi que le souffleur, parfois lourd, peut provoquer de plus grandes douleurs musculaires que l’emploi d’un balai ou d’un râteau
Des engins néfastes pour le sol et pour la faune
En supprimant les feuilles mortes dans les parcs et jardins sous les arbres et arbustes et même entre les plantes vivaces, les souffleurs appauvrissent la terre, l’assèchent, détruisent la litière et ses habitants (invertébrés) et donc privent les oiseaux insectivores et les autres prédateurs de leur nourriture. De par leur bruit effroyable, ils dérangent aussi ces animaux qui sont en pleine période de recherche de nourriture et d’abris avant l’hiver.
Des dégagements de poussières et de pollens et de la pollution
Dans certains secteurs et/ou par temps sec, les souffles puissants de ces engins répandent des poussières qui ont des effets négatifs sur la santé : elles pénètrent plus ou moins profondément dans les poumons et les plus fines peuvent, même à de faibles concentrations, irriter les voies respiratoires, ce qui est particulièrement problématique pour les personnes souffrant d’asthme. Elles contribuent aussi à éparpiller les pollens automnaux et résiduels, qui représentent des allergènes pour certaines personnes.
Les modèles à essence sont parfois très polluants : le Washington Post avait signalé qu’un moteur à deux temps émettait autant de polluants (monoxyde de carbone, hydrocarbures, protoxyde d’azote) qu’une grosse voiture !
La terre nue n’existe pas dans la nature !
Il n’est pas nécessaire d’éliminer les feuilles mortes car dans la nature, une terre nettoyée et nue n’existe pas. La technique du « mulch », qui consiste à couvrir le sol d’un couche minérale, végétale (paillage par exemple) ou même d’origine animale, est d’ailleurs de plus en plus populaire car elle permet de conserver l’humidité, de limiter la levée des graines en dormance (grâce à l’absence de lumière), de protéger la terre des effets (compactage et érosion) de la pluie battante et du vent et des températures extrêmes, et de limiter le contact de certains fruits et légumes (fraises ou cucurbitacées) avec la terre (ils sont ainsi plus propres et leur pourrissement est limité). Ce qui est paradoxal, c’est que les jardiniers et les agents municipaux qui utilisent leurs souffleurs en automne pour supprimer les feuilles mortes répandent en même temps des matières végétales (herbe coupée, paille de lin, de chanvre ou de miscanthus, cosses de cacao, écorces de pins..) autour des végétaux dont ils s’occupent !
Limiter au maximum l’usage des souffleurs
Vue du parc Gradski à Zemun (Serbie) en octobre : la présence de feuilles au sol fait partie du charme de l’automne… |
Le ramassage des feuilles mortes peut être utile (ponctuellement) pour des raisons esthétiques, de sécurité (les feuilles peuvent rendre la chaussée glissante en cas de pluie) ou en cas d’infestation par des maladies cryptogamiques (comme l’anthracnose) ou de parasitage (par l’aleurode ou mouche blanche par exemple), et les souffleurs constituent alors des outils pratiques. Toutefois, il convient de limiter au maximum leur utilisation et de privilégier en tout cas les modèles les moins bruyants (puissance acoustique inférieure à 70 dB) et les moins polluants (électriques). Il faut aussi éviter de les utiliser à plein régime pour réduire le bruit et les émissions de gaz nocifs.
Les souffleurs doivent être utilisés à bon escient et de manière rationnelle. Toute autre utilisation, par exemple pour enlever des déchets, est à proscrire. Pour souffler efficacement les feuilles mortes, il faut travailler de préférence le matin (mais pas avant 8 heures pour ne pas déranger les riverains), lorsque celles-ci sont humides. La période du repas (entre 12 et 14 heures) et la fin de journée (après 17 heures) seront épargnées.
Ces engins ne seront utilisés que là où les feuilles mortes posent vraiment un « problème » : trottoirs et places, voire pelouses très utilisées, très visibles ou couvertes d’une couche de feuilles trop épaisse. Par contre, les pieds des arbres et des arbustes et les parterres ne seront pas nettoyés.
Les feuilles collectées serviront à fabriquer de l’humus (une alternative écologique aux terreaux du commerce, généralement inertes et riches en tourbe) et/ou à protéger les plantations du froid et du dessèchement à place des matériaux végétaux (pailles diverses, écorces de pins, cosses de cacao…) achetés. Les feuilles étendues au sol devront rester entières (non broyées) et non tassées afin d’assurer une bonne circulation de l’air, améliorant ainsi l’isolation en cas de froid et diminuant les risques de pourriture due à l’humidité. Ces feuilles empêcheront que les végétaux ne soient envahis par les « mauvaises » herbes, permettant une économie de produits chimiques et de main-d’oeuvre (désherbage manuel). Elles serviront de refuge aux insectes et autres animaux.
Et si un tas de feuilles doit être brûlé, il faut vérifier avant qu’un hérisson ne s’y cache pas !
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Compléments
Ouvrages recommandés
- Comment attirer les oiseaux sur son balcon ou dans son jardin de E.Gismondi et Catherine Baldisserri
- Nourrir et abriter les oiseaux de André Mauxion
- Nourrir les oiseaux dans sa main de Wiberg
- Les oiseaux des parcs et jardins de Génération 5
Sources
- Permaculture Design. Le mulch en permaculture. www.permaculturedesign.fr/le-mulch-en-permaculture/
- Coalition inter-planétaire contre l’utilisation des souffleurs de feuilles. Les souffleurs de feuilles. http://sierra.mmic.net/souffleur.htm
- Adrian Higgins (2006). A Growing Clamor Over Leaf Blowers. Washington Post. Date : 9/11.www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2006/11/08/AR2006110800709.html
- Courrier International (2014). Plaidoyer contre les souffleurs de feuilles mortes. Date : 15/11. www.courrierinternational.com/article/2014/11/15/plaidoyer-contre-les-souffleurs-de-feuilles-mortes
- Office fédéral de l’environnement OFEV. Ce qu’il faut savoir sur les souffleurs et aspirateurs de feuilles mortes. Confédération Suisse. www.bafu.admin.ch/laerm/10526/10527/11751/index.html?lang=fr
- Didier Willery (2012). À propos des feuilles mortes. Jardinier autodidacte. http://lejardinierautodidacte.blogspot.fr/2012/11/a-propos-des-feuilles-mortes.html
- Vincent Albouy et al. Insectes auxiliaires, les alliés du jardinier. www.terrevivante.org/240-insectes-auxiliaires-les-allies-du-jardinier.htm
- Plantes et jardins.com. Utiliser les feuilles du jardin. http://mag.plantes-et-jardins.com/conseils-de-jardinage/fiches-conseils/utiliser-les-feuilles-mortes-au-jardin
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