La Sterne d’Afrique, une espèce tropicale rare sur la côte atlantique marocaine

Situation d'Akhfenir (Maroc)

Situation d’Akhfenir (Maroc).
Carte : Ornithomedia.com

La Sterne d’Afrique (Thalasseus albididorsalis) a récemment été séparée de la Sterne royale américaine
(T. maximus) et élevée au rang d’espèce distincte (lire La Sterne royale d’Afrique devrait être élevée au rang d’espèce distincte) : des études génétiques ont en effet révélé qu’elle était plus proche de la Sterne voyageuse (T. bengalensis) que de la Sterne royale, en dépit de leurs ressemblances morphologiques (lire Comment distinguer les Sternes royale et d’Afrique ?).
Elle se reproduit sur les côtes de l’ouest de l’Afrique, de la Guinée au Banc d’Arguin (Mauritanie), à la limite du Paléarctique occidental (lire Qu’est-ce que le Paléarctique occidental ?). Une petite partie de la population nichant au banc d’Arguin remonte vers le nord, le long de la côte marocaine, après la saison de reproduction. Les jeunes et les adultes restent normalement dans le voisinage de leur colonie pendant plusieurs semaines avant de commencer leur véritable dispersion, qui peut les conduire à des centaines, voire à des milliers de kilomètres de leur colonie.
La plupart des oiseaux du banc d’Arguin s’envolent vers le sud pour hiverner du Sénégal à l’Angola, certains atteignant même la Namibie, mais une faible proportion d’entre eux se disperse vers le nord, atteignant le détroit de Gibraltar, rarement au-delà : il y a ainsi 41 données acceptées en Espagne (50 oiseaux) pour la période 1970-2014, principalement sur la côte entre Huelva et Malaga et dans le détroit de Gibraltar en été et en automne. Ce mouvement concerne généralement des oiseaux isolés ou des groupes de trente oiseaux maximum, mais des rassemblements plus nombreux ont déjà été notés sur la côte atlantique marocaine.

Carte près d'Akhfenir (Maroc) et bons sites d'observation

Carte près d’Akhfenir (Maroc) et bons sites d’observation.
Carte : Ornithomedia.com

Dans un article publié en 2023 dans la revue Élément d’Ornithologie Marocaine, Karim Laïdi et Benoît Maire ont publié une synthèse de leurs observations du 24 au 28 août et 17 au 19 septembre 2021 dans le secteur côtier incluant les embouchures de trois oueds sahariens (Oueds El Ouaar, Ouma Fatma et Chebeika), la zone autour d’Akhfenir (plage au sud de la ville, falaises au nord et décharge), la lagune de Naïla (parc national de Khnifiss) et le port de Tarfaya. Parmi les données publiées, citons :

  • 42 Sternes d’Afrique en compagnie de 170 Sternes caugeks (T. sandvicensis) et d’une vingtaine de Sternes pierregarins (Sterna hirundo) sur la plage d’Akhfenir le 27 août 2021.
  • 134 Sternes d’Afrique posées en compagnie de 270 Sternes caugeks dans la décharge d’Akhfenir le 28 août 2021.
  • 6 Sternes d’Afrique sur la lagune de Naïla (parc national de Khnifiss) le 17 septembre 2021.
  • 20 Sternes d’Afrique lors d’une séance d’observation de deux heures et demie depuis le port de Tarfaya le 17 septembre 2021.
  • 70 Sternes d’Afrique lors d’une séance d’une heure 45 minutes d’observation depuis la plage d’Akhfenir le 19 septembre 2021.
  • 58 Sternes d’Afrique en compagnie de 110 Sternes caugeks à l’embouchure de l’oued El Ouaar le 19 septembre 2021.

Ces mouvements atteignent leur maximum en août-septembre, et la plupart des sternes retournent ensuite vers le sud, très peu restant en hiver, sauf dans la baie de Dakhla (Sahara occidental), où par exemple 360 oiseaux ont été comptés en décembre 1995 (lire Observer les oiseaux au Sahara occidental).

Sterne d’Afrique (Thalasseus albididorsalis)

Sterne d’Afrique (Thalasseus albididorsalis) sur la lagune de Naïla, dans le parc national de Khenifiss (Maroc), le 26 août 2021 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : DR

Selon les auteurs, près de 400 Sternes d’Afrique (dont une moitié de jeunes) auraient séjourné à la fin du mois d’août 2021 dans le secteur côtier d’Akhfenir, un chiffre record pour cette période de l’année au Maroc, même si ce phénomène de dispersion postnuptiale vers le Maroc est connu depuis longtemps. Toutefois, cette région est relativement peu connue des observateurs. Lors de leur seconde visite durant la troisième semaine de septembre, les effectifs étaient moins importants, estimés à 200 oiseaux environ répartis sur les reposoirs de la plage d’Akhfenir et des grands oueds. Le reposoir de la décharge n’était plus utilisé et il n’y avait plus que quelques oiseaux à Naïla. En 2022, le nombre d’individus était plus faible. La reproduction de l’espèce au Maroc n’a pas encore été prouvée.

Le parc national de Khenifiss, une vaste zone humide peu connue

Le parc national de Khenifiss est situé sur la côte atlantique marocaine, au sud d’Akhfenir, entre cette ville et Tarfaya. Il couvre une superficie de 1 850 km² et protège la lagune de Naïla (ou de Khenifiss), formée par un bras de mer de 20 km de long et de quelques centaines de mètres de large, des plans d’eau temporaires, des étendues de zostères (un habitat assez rare sur la côte marocaine) et de salicornes découvertes à marée basse, des boisements de tamaris, des salines et un plateau désertique.  
Ce parc est une zone humide d’importance internationale et est inscrit sur la liste de la Convention de Ramsar depuis 1980. En 1998, la Direction marocaine du patrimoine culturel l’a ajouté à la liste indicative du Patrimoine naturel mondial de l’UNESCO. Cette zone protégée est importante pour la nidification, la migration et l’hivernage des oiseaux, avec plus de 210 espèces recensées. 

Accès : l’accès se fait par une petite route (parfois ensablée) fléchée indiquée « Réserve Biologique Naïla » à partir de la RN1, à environ 25 km au sud d’Akhfenir. Elle conduit à des baraques sur la bordure nord de la lagune, près desquelles on peut se garer. La lagune peut être visitée librement grâce à un sentier qui la longe et à des observatoires, hélas mal placés. Le meilleur moyen pour la découvrir reste toutefois de louer une barque au niveau de l’aire de stationnement. Par ailleurs, de nombreuses pistes permettent de sillonner le parc à partir des routes Akhfennir-Tarfaya (vers le Sud) et Akhfenir-Smara (vers l’Ouest). Ces pistes permettent d’observer la plupart des espèces désertiques. 

Vue du parc national de Khenifiss (Maroc)

Plateau désertique dominant la lagune de Naïla dans le parc national de Khenifiss (Maroc) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Dimworld / Wikimedia Commons

Les oiseaux : plusieurs espèces nichent sur les bords de la lagune, dont le Tadorne casarca (Tadorna ferruginea), la Sarcelle (Marmaronette) marbrée (Marmaronetta angustirostris), les Goélands d’Audouin (Ichthyaetus audouinii) et railleur (Chroicocephalus genei), la Sterne pierregarin, l’Échasse blanche (Himantopus himantopus), la Bergeronnette ibérique (Motacilla flava iberiae) et le Flamant rose (Phoenicopterus roseus) à nouveau depuis 2022 (lire Le Flamant rose a niché au Maroc en 2022, soit plus de 50 ans après la disparition de la dernière colonie connue). Une colonie mixte de Goélands brun (Larus fuscus), leucophée (L. michahellis) et marin (L. marinus) est installée sur une petite île. Le Goéland dominicain (L. dominicus) (lire Comment identifier le Goéland dominicain parmi des Goélands bruns ?) a déjà été observé à plusieurs reprises en février et en mars.
L’Aigrette garzette (Egretta garzetta) et le Héron cendré (Ardea cinerea) sont visibles toute l’année, mais ils ne sont pas nicheurs. 
Le Dromoïque du désert (Scotocerca saharae theresae) niche dans les buissons près de l’aire de stationnement, tandis que le Courvite isabelle (Cursorius cursor), le Sirli du désert (Alaemon alaudipes), le Cochevis de Thékla (Galerida theklae), le Roselin githagine (Bucanetes githagineus), les Traquets rieur (Oenanthe leucura) et du désert (O. deserti) et le Corbeau brun (Corvus ruficollis) sont nicheurs sur le plateau désertique.
Les Faucons lanier (Falco biarmicus) et de Barbarie (F. pelegrinoides), nicheurs sur les falaises maritimes voisines, se perchent parfois sur les pylônes. La sous-espèce maroccanus du Grand Cormoran (Phalacrocorax carbo), qui se reproduit dans le même habitat côtier, est facile à voir sur la lagune.  

Flamants roses (Phoenicopterus roseus)

Flamants roses (Phoenicopterus roseus) dans le parc national de Khenifiss (Maroc) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie :  ElWaliElAlaoui / Wikimedia Commons

Les migrateurs et les hivernants (plus de 25 000 individus) sont nombreux, incluant une belle diversité de limicoles, dont les plus réguliers sont l’Huîtrier pie (Haematopus ostralegus), le Pluvier argenté (Pluvialis squatarola), le Grand Gravelot (Charadrius hiaticula), le Petit Gravelot (C. dubius), le Gravelot à collier interrompu (C. alexandrinus), les Courlis corlieu (Numenius phaeopus) et cendré (N. arquata), les Barges rousse (Limosa lapponica) et à queue noire (L. limosa), les Chevaliers guignette (Actitis hypoleucos), gambette (T. totanus) et aboyeur (T. nebularia), le Tournepierre à collier (Arenaria interpres), les Bécasseaux maubèche (Calidris canutus), cocorli (C. ferruginea), sanderling (C. alba), variable (C. alpina) et minute (C. minuta), la Glaréole à collier (Glareola pratincola).
Des troupes de canards stationnent sur la lagune, comme les Sarcelles d’hiver (Anas crecca) et d’été (Spatula querquedula) et les Canards colvert (A. platyrhynchos) et souchet (S. clypeata). Des espèces plus rares ont déjà été vues : c’est le cas par exemple de la Bernache cravant (Branta bernicla), dont de petits groupes ont déjà été notés en hiver se nourrissant de zostères. 
Parmi les Sternidés, les Sternes caugek et pierregarin sont les plus communes, mais d’autres espèces sont visibles, notamment à la fin de l’été, en automne et en hiver : Sternes d’Afrique (voir plus haut), caspienne (Hydroprogne caspia), voyageuse, naine (Sternula albifrons) et Guifette noire (Chlidonias niger). La Sterne arctique (S. paradisaea) est très rare. 
Les passereaux migrateurs sont nombreux à se nourrir sur la lagune et dans les buissons (hirondelles, gobemouches, rougequeues, etc.).
Parmi les autres migrateurs réguliers, citons la Spatule blanche (Spatula clypeata), l’Ibis falcinelle (Plegadis falcinellus) et le Balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus). Le Faucon d’Éléonore (Falco eleonorae), la Cigogne noire (Ciconia nigra) et l’Ibis chauve (Geronticus eremita) sont plus rares.   

Les embouchures des oueds El Ouaar, Ouma Fatma et Chebeika

Rassemblement de Laridés et de Grands Cormorans marocains (Phalacrocorax carbo maroccanus)

Rassemblement de Laridés et de Grands Cormorans marocains (Phalacrocorax carbo maroccanus) à l’embouchure de l’oued Chebeika (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie :  manalphotographer / Wikimedia Commons

Ces trois petites embouchures sont situées au nord d’Akhfenir. Leur régime hydrologique est typiquement saharien : leurs eaux ne s’écoulent généralement pas directement en mer, mais forment une guelta (plan d’eau) terminale isolée de l’océan Atlantique par un cordon dunaire, parfois interrompu en période de crue des oueds ou de forte marée et laissant alors pénétrer les eaux marines. Leurs lits sont profondément
creusés dans le plateau calcaire qui borde la côte ; les berges nord sont généralement envahies de duness éoliennes, les berges sud étant constituées de falaises dégagées de sable par les vents dominants. Des sansouires et des tamariçaies sont également présentes.

Accès : ces estuaires sont facilement accessibles depuis Akhfenir par la route côtière RN1. Pour les oueds El Ouaar et Ouma Fatma, il faut se garer le long de la route et observer de part et d’autre. Pour l’oued Chebeika, on peut s’arrêter sur la rive nord avant de traverser le pont, puis se promener en bordure de la lagune. On peut également observer depuis le sommet des falaises. 

Les oiseaux : le Tadorne casarca et le Gravelot à collier interrompu nichent régulièrement à l’embouchure de l’oued Chebeika. Les regs (étendues pierreuses) et falaises proches sont le domaine de la Buse féroce (Buteo rufinus), des Faucons lanier, de Barbarie et crécerelle (Falco tinnunculus), des Gangas couronné (Pterocles coronatus) et unibande (P. orientalis), du Cochevis de Thékla, des Traquets rieur, à tête grise (O. moesta) et du désert, du Dromoïque du désert et du Grand Corbeau (Corvus corax).
Les mêmes espèces de limicoles, de goélands et de sternes que dans le parc national de Khenifiss stationnent dans ces embouchures, mais naturellement avec des effectifs moindres, durant les migrations et en hiver. Les dortoirs de goélands peuvent être particulièrement importants (parfois plusieurs milliers d’individus) à l’embouchure de l’oued Ouma Fatma. Des raretés sont possibles : l’Aigle ravisseur (Aquila rapax) a par exemple déjà été observé à l’embouchure de l’oued El Ouaar en hiver. 

D’autres bons sites d’observation près d’Akhfenir

La jetée du port de Tarfaya (Maroc)

La jetée du port de Tarfaya (Maroc) est un bon site d’observation du passage des oiseaux marins (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Omarboulma1926 / Wikimedia Commons

  • La jetée du port de Tarfaya, bien située à un point d’inflexion de la côte, est extrêmement favorable à l’observation du passage des oiseaux marins durant les migrations et en hiver (sternes, labbes, pétrels, puffins fous, etc.).
  • Les falaises maritimes sur toute cette portion de côte sont le domaine du Grand Cormoran marocain, du Pigeon biset (Columba livia), des Faucons de Barbarie et lanier et du Traquet à tête grise. On peut également observer depuis leur sommet le passage des oiseaux pélagiques. 
  • La décharge au sud d’Akhfenir attire de nombreux oiseaux (laridés et sternes) en hiver.
  • La petite route qui part d’Akhfenir et rejoint la R101 Smara – Tan Tan traverse ou longe plusieurs habitats désertiques intéressants, comme la vallée encaissée de l’oued El Ouaar (voir la localisation de ce site sur Google Maps), où pousse une végétation dense (tamaris, joncs, phragmites, etc.) grâce à la présence permanente de l’eau. Plusieurs espèces intéressantes y nichent, comme les Traquet à tête grise (commun) et du désert, le Cochevis de Thékla, la Pie-grièche méridionale (Lanius meridionalis), le Rougequeue de Moussier (Phoenicurus moussieri), les Fauvettes mélanocéphale (Curruca melanocephala) et naine (C. nana) et le Cratérope fauve (Argya fulva). Les passereaux migrateurs y sont nombreux.

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