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Ascension printanière du mont Kazbek (Géorgie), à la recherche des oiseaux montagnards du Grand Caucase
Introduction
Le Caucase est une chaîne montagneuse s’étendant sur près de 1 200 km de long, du détroit de Kertch (mer Noire) à la péninsule d’Apchéron (mer Caspienne). Il est partagé entre la Russie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Géorgie. Il est composé au nord du Grand Caucase, où l’on trouve les plus hauts sommets, dont le point culminant du massif, le mont Elbrouz (5 643 mètres d’altitude), et du Petit Caucase au sud, plus aride et au relief moins prononcé. Le climat du Grand Caucase est rude et les précipitations sont abondantes, permettant le développement de vastes forêts de feuillus jusqu’à 1 500 mètres d’altitude et de conifères jusqu’à la limite des arbres. Au-delà s’étendent des prairies alpines, des éboulis rocheux, des névés et des glaciers.
L’avifaune du Caucase ressemble globalement à celle des Alpes, mais on y trouve également des espèces qui font rêver les observateurs ouest-européens, comme le Tétraogalle (Tetraogallus caucasius) et le Tétras du Caucase (Lyrurus mlokosiewiczi), le Roselin tacheté (Carpodacus rubicilla) et le Rougequeue de Güldenstädt (Phoenicurus erythrogastrus).
Pour les voir, Marc Fasol (visitez sa galerie de photos) a effectué à la fin du mois de mai 2023 une randonnée sur les pentes du mont Kazbek, un volcan endormi de 5 047 mètres d’altitude situé près de la frontière russe. Il nous propose un récit illustré de son ascension.
Abstract
The Caucasus is a mountain range stretching almost 1,200 km from the Kerch Strait (Black Sea) to the Apsheron Peninsula (Caspian Sea). It is shared between Russia, Azerbaijan, Armenia and Georgia. It is composed in the north of the Greater Caucasus, where we find the highest peaks, including the highest point of the massif, Mount Elbrus (5,643 meters above sea level); and the Little Caucasus to the south, more arid and with less pronounced relief. The climate of the Greater Caucasus is harsher and precipitation is more abundant, allowing the development of vast deciduous forests up to 1,500 meters above sea level, then conifers up to the tree line, beyond which extend alpine meadows, rocky scree, snowfields and glaciers.
The avifauna of the Caucasus generally resembles that of the Alps, but there are also bird species that are a dream for Western European birders, such as the Caucasian Snowcock (Tetraogallus caucasius), the Great Rosefinch (Carpodacus rubicilla), the Güldenstädt Redstart (Phoenicurus erythrogastrus) and the Caucasian Grouse (Lyrurus mlokosiewiczi).
To watch them, Marc Fasol (visit his gallery) hiked on the slopes of Mount Kazbek at the end of May 2023, a dormant volcano 5,047 meters high located near the Russian border. He offers us an illustrated account of his ascent of the fifth highest mountain in the Caucasus.
Le mont Kazbek, un volcan endormi aux six glaciers
Situation du mont Kazbek (Géorgie). |
Le mont Kazbek est un volcan endormi (la dernière éruption volcanique remonte au VIIe siècle avant Jésus-Christ) culminant à 5 047 mètres d’altitude situé au nord de la Géorgie, près de la frontière russe. C’est le deuxième plus haut sommet du pays après le mont Chkhara et le cinquième du Caucase, et il est inclus dans le parc national de Kazbegi.
Il tire son nom de la petite ville voisine de Kazbegui, rebaptisée Stepantsminda depuis 2006, qui constitue un bon point de départ pour sa découverte. On peut atteindre son sommet après deux jours de marche en passant par le col de Sabertse (3 150 mètres d’altitude). Deux refuges permettent de passer la nuit sur place.
Son sommet compte six glaciers qui couvrent une superficie totale de 135 km², le nom géorgien (Mkinvartsveri) du mont Kazbek signifiant justement « montagne de glace » : le plus connu de ces glaciers est le Dyevdorak (ou Devdaraki), qui s’étend sur le versant nord-est, les autres étant le Mna, le Denkara, le Gergeti, l’Abano et le Chata.
Le sommet du mont Kazbek (Géorgie) en mai 2023 (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Plusieurs habitats se succèdent en fonction de l’altitude, des massifs d’argousiers bordant la rivière Terek aux glaciers et aux éboulis rocheux du sommet, en passant par les peuplements de Hêtres d’Orient (Fagus orientalis), les forêts mixtes et de conifères et les prairies subalpines et alpines.
La flore est riche (1 347 espèces) et comprend de nombreuses plantes endémiques du Caucase (26 % du total), comme les dauphinelles Delphinium flexuosum et speciosum, les campanules Campanula hypopolia, petrophilla, sosnowskyi et speciosum, l’œillet Dianthus caucaseus, le Myosotis du Caucase (Eritrichium caucasicum), les fritillaires Fritillaria latifolia et lutea, le glaïeul Gladiolus tenuis, l’Aunée magnifique (Inula magnifica), la ligulaire Ligularia subsagittata et les primevères Primula cordifolia et darialica.
On y trouve des mammifères menacés inscrits sur la Liste rouge de la Géorgie, comme la Chèvre du Caucase oriental (Capra cylindricornis) et l’Ours brun (Ursus arctos), et surtout une avifaune remarquable incluant le Tétraogalle du Caucase (Tetraogallus caucasius), le Roselin tacheté (Carpodacus rubicilla), le Rougequeue de Güldenstädt (Phoenicurus erythrogastrus) et le Tétras du Caucase (Lyrurus mlokosiewiczi) (lire Séjour ornithologique à la fin de l’hiver dans le Grand Caucase et dans les plaines de l’est de la Géorgie).
Stepantsminda, un « Chamonix local »
Depuis la capitale Tbilissi, il faut d’abord rejoindre la petite ville de Stepantsminda, distante d’environ 155 km, soit trois heures de route. Cette bourgade, également appelée Kazbegi, est située dans la vallée du Terek,
à une altitude de 1 750 mètres et à quelques kilomètres de la frontière avec la République d’Ossétie du Nord-Alanie (Fédération de Russie).
Carte des environs du mont Kazbek (Géorgie) et emplacement du trajet suivi (en rouge) en mai 2023 par Marc Fasol. |
C’est une sorte de « Chamonix local » : on y trouve des commerces, des restaurants et des hébergements à des prix plus qu’abordables, et elle constitue une bonne base pour partir à la découverte du Grand Caucase géorgien. Quand le temps est clair, on peut voir l’imposante silhouette du mont Kazbek qui domine les environs.
Il n’y a pas de téléphérique dans la région : pour faire l’ascension du mont Kazbek afin d’essayer d’observer les oiseaux de haute montagne, il faut donc une bonne forme physique et des vêtements chauds. Le printemps et l’été sont les meilleures périodes pour faire cette ascension, mais comme de nombreux alpinistes effectuent la montée entre la mi-juin et le début du mois de septembre, la fin du mois de mai ou le début du mois de juin sont préférables pour la recherche des oiseaux, réserver un hébergement et bénéficier d’une relative tranquillité. Deux refuges ont été aménagés sur la voie qui mène au sommet : le premier, flambant neuf, a été érigé à 3 000 mètres d’altitude, en face d’un glacier. Il est idéal pour l’exploration des moraines et les éboulis rocheux à la recherche des oiseaux d’altitude.
Le second, situé à 3 650 mètres d’altitude, sert de camp de base aux alpinistes qui comptent gravir le sommet, mais il n’est pas indispensable de monter jusque-là pour les observateurs.
Serin à front rouge et Roselin cramoisi dès le départ
L’ascension des flancs du mont Kazbek se fait directement depuis Stepantsminda, où de nombreuses espèces d’oiseaux intéressantes peuvent déjà être observées dans les environs immédiats, comme le Roselin cramoisi (Carpodacus erythrinus) de la sous-espèce kubanensis, le Serin à front rouge (Serinus pusillus), la Pie-grièche écorcheur (Lanius collurio), les Bruants fou (Emberiza cia) et mélanocéphale (E. melanocephala), le Coucou gris (Cuculus canorus) et la sous-espèce samamisicus du Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus) à la plage alaire blanche bien visible. Des Chocards à bec jaune (Pyrrhocorax graculus) et des Craves à bec rouge (P. pyrrhocorax) sont souvent visibles en vol, ainsi que parfois le Vautour fauve (Gyps fulvus).
Rejoindre d’abord en véhicule l’église de la Trinité de Guerguéti
Pour économiser un peu d’énergie et gagner du temps pour effectuer l’ascension du mont Kazbek, il est conseillé d’emprunter en voiture ou en minibus la petite route sinueuse qui rejoint l’église de la Trinité de Guerguéti (Gergeti), située à 2 150 mètres d’altitude. Récemment asphaltée sur 6 km, elle traverse la forêt de Guerguéti (Gergeti), où l’on peut observer la curieuse sous-espèce krynicki du Geai des chênes (Garrulus glandarius), à la calotte et aux moustaches noires. On peut laisser son véhicule sur l’aire de stationnement proche de l’édifice religieux jusqu’à son retour.
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Une montée de quatre heures jusqu’au premier glacier
Le sentier de randonnée est ensuite bien marqué et parfois même assez fréquenté. L’ascension jusqu’au premier glacier dure environ quatre heures. Les Pipits spioncelles (Anthus spinoletta) de la sous-espèce orientale coutellii étaient très communs pendant toute la montée, et l’on a facilement repéré le Pouillot de Lorenz (Phylloscopus sindianus lorenzii), une sous-espèce du Pouillot montagnard parfois considérée comme une espèce distincte, reconnaissable à sa calotte brune et sa gorge blanche, près de la limite des arbres, dans les peuplements de Noisetiers communs (Corylus avellana) et de Bouleaux de Litvinov (Betula pubescens litwinowii) déformés par le poids des congères hivernales.
Les Linottes à bec jaune (Linaria flavirostris) ont de quoi surprendre l’observateur : la sous-espèce sédentaire brevirostris, qui est présente du Caucase au nord de l’Iran, a en effet un bec de couleur corne, des barres alaires bien visibles et une poitrine fortement contrastée. Parmi les autres espèces rencontrées en chemin, citons encore la sous-espèce amicorum du Merle à plastron (Turdus torquatus), aux rémiges secondaires blanches, la sous-espèce penicillata de l’Alouette haussecol (Eremophila alpestris), que plusieurs auteurs ont élevé au rang d’espèce distincte, l’Alouette du Caucase (Eremophila penicillata), et l’Accenteur alpin (Prunella collaris).
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Les premiers Tétraogalles du Caucase !
Tétraogalle du Caucase (Tetraogallus caucasius) sur le mont Kazbek (Géorgie) en mai 2023 (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Au niveau des premières plaques de neige persistante, nous avons entendu les premiers chants des Tétraogalles du Caucase : ce sont des sifflements un brin mélancoliques, légèrement montants et qui portent loin. Cette sorte de “bruit de fond” ne facilite toutefois pas vraiment le repérage de ce grand gallinacé au plumage grisâtre, qui remplace le Lagopède alpin (Lagopus muta) dans le Caucase.
Pour réussir à l’observer, il faut s’armer de patience, et parfois une seconde visite est nécessaire : je ne sais plus combien d’heures j’ai passé à balayer les versants dénudés avant d’en repérer un dans ce décor austère, entrecoupé de ravins et d’éboulis instables. Particulièrement mimétique et plutôt farouche, il est plus facile à voir, grâce à ses rémiges blanches, quand il s’envole, effectuant généralement quelques battements suivis de planés pour disparaître ensuite derrière une arête ou dans une gorge. Quand il reste immobile, seul le dessin blanc et gris de sa tête aide à le localiser, mais souvent juste quelques instants avant de le perdre de vue à nouveau.
Les larges rayures brun rouille de ses flancs le différencient du Tétraogalle de Perse (Tetraogallus caspius), qui est par exemple présent sur les versants arides et moins élevés (entre 1 800 et 3 000 mètres d’altitude) du Petit Caucase arménien (lire Séjour ornithologique en Arménie du 1er au 11 juillet 2019 : comptages et observations).
L’arrivée au premier refuge et le Rougequeue de Güldenstädt
Arrivés au premier refuge, nous avons fait une petite pause sur sa terrasse et nous avons scruté les alentours : alors que jusqu’à présent, nous n’avions vu que des Rougequeues noirs (Phoenicurus ochruros) de la sous-espèce nominale, nous avons enfin repéré un magnifique Rougequeue de Güldenstädt mâle qui s’est soudainement posé devant nous, sur un gros bloc. L’observation n’a duré que quelques secondes, mais elle valait le coup. Un dessin de ce passereau illustre d’ailleurs les panneaux du refuge. Voilà un vrai endémique caucasien !
Enfin des Roselins tachetés
Roselin tacheté (Carpodacus rubicilla) mâle à près de 3 000 mètres d’altitude parmi les blocs rocheux sur le mont Kazbek (Géorgie) en mai 2023 (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Comme toujours, le meilleur est souvent pour la fin. Déçus de ne pas avoir pu photographier des Roselins tachetés, pourtant entendus pourtant à plusieurs reprises à l’aller en longeant le glacier, nous nous étions résignés et nous avions entamé le chemin du retour. Peu après avoir rangé le matériel et quitté les lieux, nous avons traversé précautionneusement plusieurs névés orientés plein sud et donc particulièrement glissants. Au moment d’atteindre les éboulis de l’autre côté de la pente, un gros passereau, au plumage de la couleur d’une framboise écrasée, est apparu sous les énormes blocs. Il était accompagné d’un autre individu grisâtre : un couple de Roselins tachetés ! La scène était une réplique parfaite de l’illustration de l’espèce dans le Guide Ornitho. Ces oiseaux étaient-ils en train de choisir leur site de nidification ? C’est fort probable, mais on connaît peu les mœurs de cette espèce vivant dans un environnement peu accessible.
Le Tétras du Caucase, qui remplace ici le Tétras lyre (Lyrurus tetrix), ne se laisse facilement observer que durant la période nuptiale. Les arènes de parade, où les mâles s’affrontent, sont situées bien plus bas, à la limite des arbres, vers 2 000 mètres d’altitude, sur des prairies parfois extrêmement pentues. Il devient ensuite très discret et reste caché dans les buissons, où il passe alors le plus souvent inaperçu. La meilleure période pour l’observer se situe donc autour de la mi-avril. Avec un peu de chance, on peut le repérer sur les hauteurs de Stepantsminda, en se rendant par exemple dans les environs de la chapelle du prophète Saint-Elias, près des gorges de Kuro (voir notre carte).
Le long de la rivière Terek
Quand les chutes de neige sont importantes au printemps, plusieurs espèces d’oiseaux, qui avaient quitté les hauteurs pour passer l’hiver dans les vallées ou qui reviennent de migration, vont se nourrir dans les massifs d’argousiers le long de la rivière Terek, qui traverse la ville de Stepantsminda. Pour visiter cet habitat, il faut longer la route principale E17 (ou b3), traverser la rivière au niveau du pont et rejoindre le barrage au nord de la bourgade. C’est un excellent endroit pour observer le Tichodrome échelette (Tichodroma muraria) en hiver et au début du printemps, et l’on peut y voir des Rougequeues de Güldenstädt et même des Roselins tachetés se nourrissant de baies avant de rejoindre leurs sites de nidification en altitude.
D’autres photos prises sur les pentes du mont Kazbek (Géorgie)
Voici ci-dessous d’autres photos prises par Marc Fasol en mai 2023 :
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Compléments
Contact
Marc Fasol – Courriel : marc.fasol@icloud.com – Sa galerie de photos : www.oiseaux.net/photos/marc.fasol/
Sites web utiles
- Le site web de la compagnie Birding Caucasus : birdingcaucasus.com
- La page Facebook de la compagnie Birding Caucasus : www.facebook.com/BirdingCaucasus/ – Courriel : info@birdingcaucasus.com
- Site web utiles pour organiser son voyage en Géorgie : www.voyageursdumonde.fr
Ouvrages recommandés
- Birdwatching in Azerbaijan: A Guide to Nature and Landscape de Sebastian Schmidt, Kai Gauger et Nigar Agayeva (janvier 2008).
- Géorgie, Arménie et Azerbaidjan (2020) de Lonely planet fr
- Carte touristique Géorgie + Lexique français-géorgien (2023)
- Le Guide Ornitho de L. Svensoon et al
- European Breeding Bird Atlas 2: Distribution, Abundance (2020) de Verena Keller et al
Source
APAV. Biodiversity of Kazbegi National Park. apa.gov.ge
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