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Le chœur de l’aube est bien plus qu’un simple concert d’oiseaux
Introduction
Entre mars et juillet, mais surtout en mai et en juin, généralement 30 à 90 minutes avant le lever du soleil, les chants de nombreuses espèces dans les régions nordiques et tempérées se mêlent et forment un concert matinal agréable mais très sonore (qui peut même raccourcir la nuit de certains riverains) appelé « chœur de l’aube ». Il se déroule dans une grande partie du monde et dans des habitats très variés, de la taïga aux forêts tropicales humides en passant par les régions arides.
Les raisons exactes de cette activité sonore intense, dont la durée peut varier en fonction de plusieurs facteurs (sociaux, environnementaux et internes), sont encore mal connues et plusieurs hypothèses ont été émises pour tenter de l’expliquer, de la recherche d’un partenaire à la défense d’un territoire en passant par des propriétés acoustiques plus favorables tôt le matin. Il s’agit en tout cas d’un des symboles du printemps dont il faut profiter : une journée du chœur de l’aube (« Dawn Chorus Day ») est d’ailleurs célébrée chaque premier dimanche de mai.
Dans cet article, nous présentons ce comportement complexe, les facteurs pouvant l’influencer et les explications possibles.
Abstract
In spring and at the beginning of summer (from March to July) in northern and temperate countries, generally 30 to 90 minutes before sunrise, the songs of many bird species mingle and form a superb morning concert that can be very loud and even shorten the night of people: this particular phenomenon, called dawn chorus, happens in a large variety of habitats, from the taiga to the rainforests through more arid regions, and in a large part of the world. This intense sound activity, which duration may vary depending on many factors (social, environmental and internal), is still poorly understood and several hypotheses have been proposed to try to explain it, from the search for the defense of a territory through acoustic reasons. In any case, it is one of the symbols of spring, and the Dawn Chorus Day is celebrated every first sunday of May.
In this article, we present this behavior, the factors that can influence it and hypothesis that may explain it.
I – Présentation du chœur de l’aube
L’Accenteur mouchet (Prunella modularis) est un participant bien connu du chœur de l’aube en Europe de l’Ouest. |
De nombreux participants
Le chœur de l’aube est un phénomène au cours duquel de nombreuses espèces d’oiseaux, majoritairement des passereaux (mais pas uniquement), chantent un peu avant le lever du soleil, généralement 30 à 90 minutes avant celui-ci. Il se déroule essentiellement durant la période de reproduction et dans des habitats très variés, de la taïga aux forêts tropicales en passant par les landes, les forêts tempérées, les jardins, les marais, le maquis, les savanes, les oasis ou les steppes.
Au printemps (dès mars) et au début de l’été (juillet), mais surtout en mai et en juin, dans les bois, les parcs et les jardins d’Europe de l’Ouest (lire Identifier les oiseaux du jardin et des parcs au printemps et en été), on peut entendre successivement (puis simultanément) le Merle noir (Turdus merula), la Grive musicienne (Turdus philomelos) et le Rougegorge familier (Erithacus rubecula), suivis du Pigeon ramier (Columba palumbus), du Troglodyte mignon (Troglodytes troglodytes), des Fauvettes à tête noire (Sylvia atricapilla) et des jardins (S. borin) et de l’Accenteur mouchet (Prunella modularis). Les Mésanges bleue (Cyanistes cyaneus) et charbonnière (Parus major), le Pinson des arbres (Fringilla coelebs) et le Moineau domestique (Passer domesticus) se joignent à eux quand la lumière est suffisante.
Parmi les autres oiseaux chanteurs fréquents à l’aube dans les parcs et jardins d’Europe de l’Ouest, citons le Rossignol philomèle (Luscinia megarhynchos) (qui arrive en avril et qui chante aussi la nuit), l’un des plus grands « virtuoses » d’Europe (lire Quel est le meilleur oiseau chanteur de France ?), les Pouillots véloce (Phylloscopus collybita) et fitis (P. trochilus), le Coucou gris (Cuculus canorus) et les Tourterelles turque (Streptopelia decaocto) et des bois (Streptopelia turtur).
Une diversité et complexité maximales des chants à l’aube
La Grive musicienne (Turdus philomelos) est l’un des chanteurs les plus matinaux du printemps. |
La fréquence, la diversité et la complexité des chants atteignent leur maximum durant le chœur de l’aube. Les espèces ne semblent pas interagir entre elles et commencent à chanter indépendamment les unes des autres. Dans certains secteurs, le chœur prend une telle ampleur qu’il peut empêcher les riverains de finir leur nuit ! Puis, quand la luminosité augmente, soit peu de temps après le lever du soleil, les chants diminuent brusquement et les mâles recommencent à se nourrir, à surveiller leur territoire, ou à parader. Leurs chants durant le reste de la journée deviennent généralement plus sporadiques, plus simples et moins rapides.
Les dates de début et de fin des chants de l’aube dépendent des espèces : en Amérique du Nord, le Moucherolle des aulnes (Empidonax alnorum) commence ainsi à chanter plus tôt que les Bruants chanteur (Melospiza melodia) et à gorge blanche (Zonotrichia albicollis), le Merle d’Amérique (Turdus migratorius), le Moucherolle phébi (Sayornis phoebe) et la Mésange à tête noire (Poecile atricapillus).
Une étude dans une forêt australienne
Une étude a été menée en Australie dans une forêt d’eucalyptus lors du printemps austral (octobre) chez neuf espèces d’oiseaux, et l’on a constaté que :
- le pic de l’activité vocale était atteint entre 5 et 30 minutes avant le lever du soleil chez les Méliphages à joues d’or (Caligavis chrysops) et à gouttelettes (Anthochaera chrysoptera), le Siffleur itchong (Pachycephala rufiventris), l’Acanthize ridé (Acanthiza lineata) et le Mérion superbe (Malurus cyaneus);
- chez le Siffleur gris (Colluricincla harmonica), le chant était particulièrement intense 25 minutes avant et 25 minutes après le lever du soleil;
- chez le Pardalote pointillé (Pardalotus punctatus), la Colombine lumachelle (Phaps chalcoptera) et la Gralline pie (Grallina cyanoleuca), le chant ne commençait qu’au moment du lever du soleil;
- chez les neuf espèces étudiées, les 20 à 40 minutes de chant intense étaient suivies d’une brusque réduction;
- seules trois espèces chantaient également régulièrement au milieu de la journée, mais le rythme de leur chant était dix à cent fois moins élevé que durant le chœur de l’aube.
Au Costa Rica, un ornithologue a effectué en 1991 des comptages par points d’écoute entre 30 minutes et cinq heures après le lever du soleil dans une forêt tropicale humide durant la saison sèche (janvier, mars et avril), donc avant la période de reproduction (mai-juin) de la plupart des espèces vivant dans cet habitat, et il a constaté que l’activité sonore déclinait significativement entre l’aube et le milieu de la matinée, que les oiseaux du sous-bois s’arrêtaient de chanter une heure après le début du chœur alors que ceux vivant dans la canopée étaient encore actifs deux heures plus tard.
Vidéo présentant l’ambiance sonore du chœur de l’aube le 26 mai 2013 près de la West Leith Farm dans le Hertfordshire (Royaume-Uni).
II- Un exemple chez une espèce tropicale : le Troglodyte barré
Troglodyte barré (Thryothorus pleurostictus). |
Une étude menée au Costa Rica
Une étude détaillée de l’activité vocale à l’aube du Troglodyte barré (Thryothorus pleurostictus) (découvrez son chant dans une vidéo) a été réalisée entre mai et juillet 2000 à 2002 dans le parc de Santa Rosa au Costa Rica. Des microphones enregistrant les chants simultanément ont été placés dans différents lieux stratégiques. Chaque territoire d’un mâle était bordé par ceux de trois ou quatre concurrents. Dans l’un des enregistrements, le chœur a débuté à 5 h 04 et a duré environ une heure. Durant les vingt premières minutes, les mâles ont chanté de façon continue. Vers 5 h 21, leur activité vocale est devenue plus variable. À 5 h 40, les mâles se sont à nouveau défiés vocalement de façon intense. À partir de 5 h 45, leurs chants sont devenus asynchrones et ils ont multiplié les pauses. Les chants étaient très variés, 22 motifs de chants ayant été identifiés. Pendant cinq minutes après le démarrage du chœur, les mâles étaient très mobiles, puis ils se sont placés au centre de leur territoire et y sont restés pratiquement immobiles jusqu’à 5 h 22 environ. Entre 5 h 27 et 5 h 43, ils ont effectué de petits déplacements et ils chantaient vigoureusement. Après 5 h 43, leurs mouvements sont devenus plus importants.
Des duos
Les auteurs ont constaté que les mâles cessaient de chanter quand les femelles les rejoignaient, les deux partenaires chantant parfois brièvement en duo. Après le chœur de l’aube, les chants redevenaient plus simples et moins rythmés, et les mâles se remettaient à rechercher de la nourriture et/ou à patrouiller le long des limites de leur territoire.
III- Les facteurs influençant le chœur de l’aube
Bulbul à oreillons blancs (Pycnonotus leucotis) chantant dans un parc de Dubaï. |
Le chœur de l’aube peut être influencé par plusieurs facteurs environnementaux, sociaux et internes.
La période de l’année
Le chœur de l’aube se produit principalement durant la période de reproduction : cela se vérifie facilement dans les régions tempérées et nordiques, les concerts matinaux étant particulièrement prononcés entre mai et juin, mais aussi dans les régions tropicales, où un pic est constaté durant la saison humide, et dans les régions arides, où le maximum de l’activité vocale se produit à la fin de l’hiver. Une étude menée près de Riyad en Arabie Saoudite a montré que les Bulbuls à oreillons blancs (Pycnonotus leucotis) étaient surtout actifs à l’aube à partir de la fin janvier, qui marque le début de leur saison de nidification. Ils continuaient de chanter jusqu’au début du mois de juillet, mais leur intensité vocale diminuait progressivement de mois en mois.
L’heure du lever du soleil
Plusieurs travaux ont permis de vérifier que l’heure du lever du soleil avait une influence importante sur le début du chœur. Le Pouillot fitis chante par exemple de plus en plus tôt durant la première partie de la période de nidification, et l’heure de début du chant du Bruant à couronne dorée (Zonotrichia atricapilla) se « calque » sur celle du lever du soleil durant toute sa période de nidification. Dans les régions nordiques, les nuits courtes poussent les oiseaux à commencer à chanter plus tôt. La quantité de lumière disponible et la photopériode (durée du jour) constituent en effet d’importants stimuli du concert de l’aube.
Le cycle lunaire
La luminosité lunaire, et donc son cycle, constitue aussi un facteur important de démarrage du chœur de l’aube : une étude récente menée chez le Mahali à sourcils blancs (Plocepasser mahali) a révélé que les mâles chantaient plus tôt si la lune était pleine (et donc très lumineuse) et au-dessus de l’horizon à l’aube. Par contre, aucune relation de cette nature n’a été trouvée chez le Merle d’Amérique (Turdus migratorius). En Amérique du Nord, des ornithologues ont montré chez six espèces que les mâles commençaient à chanter plus tôt après une lune gibbeuse croissante ou pleine. Des lumières artificielles nocturnes peuvent modifier l’heure de début du chœur.
Les dimensions des yeux
Le Rougegorge familier (Erithacus rubecula) a des yeux relativement grands et il chante donc très tôt. |
Les dimensions des yeux (et donc de leurs pupilles) des espèces auraient une influence sur l’heure du début du chant : leur sensibilité et leur acuité visuelle sont en effet potentiellement importantes, ce qui leur permet de détecter plus tôt les faibles luminosités. Une étude basée sur des éléments phylogénétiques et morphométriques (mesure du diamètre maximum des pupilles) a permis de confirmer que les oiseaux aux yeux les plus grands chantaient plus tôt que les autres : c’est le cas par exemple du Rougegorge familier par rapport au Moineau domestique.
Dans les zones urbaines, les lumières artificielles peuvent perturber les heures naturelles du début du chœur en les avançant.
Les conditions météorologiques
Les conditions météorologiques influencent de nombreuses activités des oiseaux, y compris leur chant. Plusieurs études ont montré qu’une couverture nuageuse épaisse, des précipitations et/ou un vent fort retardaient généralement l’heure de début du chœur de l’aube. Les températures nocturnes jouent aussi un rôle important. On a constaté chez la Mésange charbonnière et le Rougegorge familier l’existence d’une corrélation positive entre les températures nocturnes et le début et la durée du chœur de l’aube. Dans les zones arides, les oiseaux ont tendance à commencer à chanter plus tôt pour avoir suffisamment de temps pour mener ensuite leurs autres activités avant qu’il ne fasse trop chaud.
Le bruit
Des expériences ont montré que le bruit ambiant influençait le début et la durée du concert matinal. Durant une étude menée en 2011 près de l’aéroport de Madrid (Espagne), des ornithologues ont constaté que plusieurs espèces d’oiseaux avaient avancé l’heure de début de leur activité sonore matinale (en moyenne de 24 minutes) par rapport au site de référence le plus calme. Les espèces chantant normalement relativement tard dans la matinée, comme le Coucou gris et le Serin cini (Serinus serinus), sont celles qui ont le plus avancé le début de leur activité vocale à cause des avions, tandis que le Rossignol philomèle et la Bouscarle de Cetti (Cettia cetti), qui chantent surtout la nuit ou très tôt le matin, ont peu changé leurs habitudes. Les cas de la Mésange bleue et du Merle noir sont intermédiaires (lire Les oiseaux vivant près des aéroports chantent plus tôt).
La condition physique de l’oiseau
On a observé que des Mésanges à tête noire (Poecile atricapillus) à qui l’on avait distribué des vers de farine chantaient davantage que les autres. On a aussi observé que des Mésanges charbonnières chantaient moins à l’aube dans un site fortement pollué par les métaux lourds que dans une zone où l’air est plus pur.
IV – Les explications possibles
Le chœur de l’aube est un phénomène complexe, et plusieurs hypothèses (non exclusives les unes des autres) ont été avancées pour tenter d’expliquer cette activité sonore intense, complexe, longue et qui ne concerne que certaines espèces. Staicer et al les ont classées en trois catégories : internes (par exemple le cycle circadien du taux de testostérone), environnementales (par exemple une bonne transmission acoustique tôt le matin) et sociales (par exemple la sélection d’un partenaire).
Un important rôle dans la communication
Durant le chœur de l’aube, on est frappé par la multiplicité des chants : les participants doivent réussir à s’adresser spécifiquement à leurs rivaux et à écouter les messages de leurs voisins. L’hypothèse selon laquelle le chœur de l’aube servirait de réseau de communication entre mâles (acteurs) et femelles (observatrices) est privilégiée par plusieurs ornithologues : en effet, chez de nombreuses espèces, on a découvert que les chanteurs utilisaient tôt le matin des signaux sonores spécifiques, au rythme et à la fréquence particuliers, permettant d’éviter les risques de chevauchements et de « dilutions », qu’ils étaient attentifs aux réponses et aux messages sonores émis par leurs voisins, et qu’ils dirigeaient leur tête vers ceux-ci pendant qu’ils chantaient.
Choisir un partenaire
Le Merle noir (Turdus merula) chante plus longtemps à l’aube s’il a suffisamment accumulé d’énergie. |
Pour les espèces fidèles et les couples déjà formés, le chant de l’aube servirait à renforcer les liens avant l’accouplement : on a constaté chez la Mésange charbonnière que le chant du mâle démarrait alors plus tôt et durait plus longtemps au moment de son pic de fertilité.
Le chœur de l’aube permettrait aussi aux femelles célibataires de collecter des informations sur les qualités des prétendants possibles. En écoutant leurs performances vocales, elles pourraient relever certains indices comme l‘endurance, l’âge ou le rang social. Les réserves énergétiques étant en partie entamées à la sortie de la nuit, un mâle qui réussirait à maintenir longtemps une activité vocale soutenue serait potentiellement en bonne santé. On a pu vérifier chez le Merle noir et le Rougegorge familier qu’un apport de nourriture augmentait la longueur et le rythme de leur chant, et que les individus parasités chantaient moins vite et d’une façon moins élaborée.
Au bout d’un certain temps, les chanteurs se fatiguent pour des raisons neuromusculaires ou par démotivation, ce qui se traduit par une diminution de la qualité du chant ou « dérive » (augmentation des pauses entre les strophes) : la femelle pourrait repérer les mâles qui tiennent le plus longtemps. Les mâles qui ont le répertoire le plus riche et varié pourraient chanter plus longtemps car ils pourraient changer de type de motif et donc limiter les risques d’usure ou de lassitude. Cela a été observé chez les Mésanges bleue, charbonnière et noire (Periparus ater).
Chez la Mésange à tête noire, les chanteurs les plus actifs sont ceux qui ont le rang social le plus élevé. En outre, chez cette espèce, les chants des individus dominants se distinguent par certaines caractéristiques, ce qui permet aux femelles de les repérer plus facilement.
Chez le Mérion superbe, la femelle utiliserait le moment du chœur de l’aube pour choisir un mâle et commettre des « infidélités ». Durant ce concert matinal, deux types de chants peuvent être distingués, un babil complexe et variable, souvent utilisé par les mâles dominants, et des trilles répétés. Les trilles des mâles plus âgés, qui ont beaucoup de succès auprès des femelles souhaitant copuler en dehors de leur couple, sont plus longs et donc distinctifs. Chez le Mérion superbe, le chœur de l’aube sert donc à la fois aux mâles pour affirmer leur rang social et pour attirer des femelles.
Un pic de fertilité des femelles à l’aube
Les femelles sont particulièrement fertiles durant la première heure après avoir pondu. Or, chez beaucoup de passereaux, la ponte se produit tôt le matin : c’est pour cela qu’il est particulièrement important pour les mâles de chanter dès l’aube pour attirer une partenaire et peut-être s’accoupler avec elle. Chez la Mésange charbonnière, la durée du chant matinal est liée aux variations de la fertilité de la femelle. Chez cette espèce, le pic d’intensité du chœur de l’aube est atteint à la fin du printemps, quand les limites des territoires sont définies et que les couples sont formés. Les mâles cessent de chanter lorsque les femelles quittent les cavités où elles ont passé la nuit.
Défendre un territoire
En cas d’intrusion d’un rival, le Troglodyte mignon (Troglodytes troglodytes) chante plus fort à l’aube. |
La défense d’un territoire constitue l’une des fonctions du chant d’un mâle, et l’importante activité vocale à l’aube pourrait constituer un signal fort d’avertissement pour les intrus potentiels. Une expérience a été menée chez le Troglodyte mignon : des enregistrements de mâles rivaux ont été diffusés avant et après le lever le soleil, et les biologistes ont comparé le chant des mâles défiés avant et après leur diffusion : ils ont constaté qu’ils chantaient plus fort et plus longtemps avant le lever du soleil. Le chant à ce moment de la journée peut donc avoir une dimension territoriale.
Dans les forêts du Costa Rica, on a observé que lors des tentatives d’intrusion, les chants des Troglodytes barrés voisins devenaient très semblables et étaient émis simultanément, contribuant ainsi à l’augmentation du volume sonore du chœur.
Le chœur de l’aube pourrait permettre aux mâles à la recherche d’un territoire de s’informer sur les secteurs déjà occupés et sur leurs propriétaires. Une expérience a été menée chez le Rossignol philomèle : des mâles sans territoire équipés de radio-émetteurs ont été déplacés dans une zone d’étude, et l’on a noté qu’ils s’approchaient des mâles chanteurs avant le lever du soleil puis qu’ils se retiraient dans des zones inoccupées le reste de la journée.
Une stimulation sexuelle chez les mâles
Le chant de l’aube stimulerait la production de gonades sexuelles chez le mâle.
Un taux hormonal plus élevé
Chez les mâles, le taux de testostérone (hormone sexuelle) influence le comportement territorial et l’accouplement. Chez la Mésange bleue, la concentration plasmatique de testostérone fluctue durant la période de reproduction, augmentant par exemple durant le chœur de l’aube et diminuant lors du nourrissage des oisillons.
La mélatonine (« hormone du sommeil ») serait aussi impliquée.
Dépenser un excès d’énergie accumulée la veille
Un oiseau doit faire des réserves de graisse en journée pour survivre pendant la nuit. L’excès d’énergie accumulée peut être utilisé à l’aube pour chanter. Si la nuit a été froide et donc nécessitant de puiser davantage dans les réserves, le chant est plus tardif et/ou moins intense à l’aube. Chez le Zostérops à dos gris (Zosterops laterali), un apport supplémentaire d’aliments rend le chant du mâle plus complexe et plus long. En outre, à l’aube, la luminosité est encore faible et donc la recherche de nourriture est moins aisée que durant le reste de la matinée : chanter à ce moment de la journée est ainsi intéressant du point de l’optimisation de l’énergie consacrée à l’alimentation.
Ne pas interférer avec le temps consacré à l’alimentation
Beaucoup d’oiseaux chanteurs sont insectivores au printemps, et la recherche de ces proies est souvent plus efficace durant la journée : chanter avant le lever du soleil, à un moment de la journée où la recherche de nourriture est moins efficace, leur éviterait de réduire le temps dédié à l’alimentation.
Un risque de prédation moindre
Les chanteurs seraient moins facilement localisables par des prédateurs durant le chœur de l’aube, car les sons fusent de partout et il est donc plus difficile de repérer chaque individu.
Des conditions acoustiques plus favorables
Le chant du Bruant à couronne blanche (Zonotrichia albicollis) se propagerait mieux à l’aube. |
La communication sonore des oiseaux dépend de plusieurs facteurs comme la fréquence, le volume et la complexité du chant, la capacité auditive du destinataire, le bruit ambiant, la présence d’obstacles (troncs, falaises…), la température, le vent ou le taux d’humidité. Plusieurs auteurs ont émis l’hypothèse que les chants se propageaient mieux à l’aube (notamment du fait de turbulences plus faibles de l’air). Henwood et Fabrick (1979) ont élaboré un modèle mathématique calculant l’atténuation des sons en fonction de la distance et des conditions microclimatiques, et ils ont découvert que les sons se propageaient plus loin à l’aube que le midi.
Une expérience a été menée sur des enregistrements de chants de Bruants des marais (Melospiza georgiana) et à couronne blanche (Zonotrichia albicollis) réalisés à des distances comprises entre 25 et 100 mètres : ils les ont diffusés dans une prairie ouverte et dans une forêt à l’aube et à midi, et ils ont constaté que la qualité de la transmission était significativement meilleure dans le premier cas. Chez le Bruant des marais, cette qualité restait même constante avec la distance.
Mais cette conclusion n’est pas toujours valable : une autre expérience menée chez la Fauvette à tête noire, au cours de laquelle des éléments représentatifs de son chant ont été enregistrés à trois moments de la journée (aube, milieu de la matinée et début de l’après-midi), diffusés dans une forêt, analysés (bruit de fond, rapport signal sur bruit, atténuation…) puis comparés, a montré que l’aube n’était pas forcément le meilleur moment de la journée pour communiquer sur de longues distances.
Il est en tout cas vrai que le bruit de fond est moindre très tôt le matin que plus tard dans la matinée.
V- Il existe aussi un chœur du crépuscule
Chez certains oiseaux comme les rapaces nocturnes, les grives, les troglodytes, ou les rousserolles, il existe aussi un chœur du crépuscule. Chez le Grand-duc d’Europe (Bubo bubo), cette période de la journée lui permet de combiner un message vocal et la mise en avant des plumes blanches de leur gorge (lire Les Grands-ducs d’Europe chantent davantage lors des nuits de pleine lune). Mais pour les passereaux, chanter à la tombée de la nuit est risqué car cela peut attirer des rapaces nocturnes…
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Ouvrages recommandés
- Coding Strategies in Vertebrate Acoustic Communication de Thierry Aubin et Nicolas Mathevon (
- Animal Communication Networks de P. K. McGregor
- Le guide des oiseaux de France de Jérôme Morin et Julien Norwood
- Oiseaux de nos jardins de Guilhem Lesaffre
Sources
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