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Les mystérieux Aras hyacinthes « nains » du Pantanal brésilien
Introduction
Au cours des vingt dernières années, de nombreuses espèces de perroquets ont connu un fort déclin, et l’on estime que 42 % d’entre elles sont en voie de disparition ou sont menacées, les principales menaces étant la destruction de leur habitat (développement de l’agriculture et exploitation forestière), le commerce illégal et la chasse.
Au Brésil, 42 espèces sur 88 sont menacées : c’est le cas du Ara hyacinthe (Anodorhynchus hyacinthinus), le plus grand perroquet volant du monde, avec une longueur totale atteignant un mètre, dont le statut s’est toutefois amélioré depuis une quarantaine d’années, grâce notamment au projet « Arara Azul », qui a réussi à faire passer le nombre d’oiseaux de 2 500 en 1980 à 6 000 en 2018. Toutefois, en 2019 et en 2020, de nouvelles menaces ont été identifiées, comme l’empoisonnement par des produits agrochimiques et les incendies géants, qui ont considérablement augmenté le taux de mortalité des oisillons et des jeunes individus dans le Pantanal, l’une des plus vastes zones humides intérieures du monde. Les feux et les coupes ont par ailleurs diminué le nombre de Palmiers acuris (Scheelea phalerata), dont les fruits constituent la principale source de nourriture de l’espèce pendant sa période de reproduction, affectant le développement de leurs oisillons. Lors d’une étude menée entre 1991 et 2021 dans le Pantanal brésilien, les biologistes ont ainsi observé un pourcentage significatif de jeunes d’une taille et d’un poids nettement inférieurs à la normale, et qui pourraient être qualifiés de « nains ». Nous vous proposons une synthèse de leur étudie publiée en 2022 dans la revue Nature.
Abstract
Over the past twenty years, many parrot species have experienced steep declines, and an estimated 42% of them are endangered or threatened, with the main threats being habitat destruction (development of agriculture and forest logging), illegal trade and hunting.
In Brazil, 42 out of 88 species are threatened: this is the case of the Hyacinth Macaw (Anodorhynchus hyacinthinus), the largest flying parrot in the world, with a total length reaching one meter, whose status has however improved over the past forty years, thanks in particular to the « Arara Azul » project, which succeeded in increasing the number of birds from 2,500 in 1980 to 6,000 in 2018. However, in 2019 and 2020, new threats were identified, such as agrochemical poisoning and giant fires, which have significantly increased the mortality rate of nestlings and young individuals in the Pantanal, one of the largest inland wetlands in the world. Fires and logging have also reduced the number of Acuris Palms (Scheelea phalerata), whose fruits constitute the main source of food for the species during its reproduction period, affecting the development of their nestlings.
During a study carried out between 1991 and 2021 in the Brazilian Pantanal, biologists observed a significant percentage of young people of a height and weight significantly below normal, and who could be described as “dwarfs”. We offer you a summary of their study published in 2022 in the journal Nature.
Une espèce dont les jeunes dépendent longtemps des adultes
Poussins d’Aras hyacinthes (Anodorhynchus hyacinthinus) âgés de 55 et de 54 jours dans le Pantanal brésilien (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
L’Ara hyacinthe (Anodorhynchus hyacinthinus) est une espèce altriciale, c’est-à-dire dont la croissance et le développement des jeunes nécessitent des soins postnataux prodigués par les adultes. Ils
dépendent ainsi entièrement de ces derniers pendant environ trois mois et demi. Durant cette période, de nombreux facteurs peuvent influencer leur croissance, notamment les paramètres environnementaux (par exemple, la température et les précipitations), la qualité et la disponibilité de la nourriture, les maladies et les infestations d’ectoparasites, mais aussi le sexe, la taille de la couvée et les différences de date d’éclosion. Ces facteurs peuvent avoir un effet significatif sur le taux de croissance, qui à son tour entraîne une diminution de la compétition au sein d’une couvée et/ou de la fertilité.
Compte tenu des nombreuses variables affectant la condition physique des Psittacidés dans la nature, les modèles de croissance de leurs oisillons, basés sur les données collectées dans les populations naturelles, constituent des outils importants pour contribuer à la conservation des espèces vulnérables ou menacées d’extinction, via la réhabilitation et la réintroduction dans la nature de spécimens capturés lors du commerce illégal, l’aide apportée aux couples vivant dans des habitats altérés et fragmentés ou l’élevage en captivité. L’étude des courbes de croissance permet aussi de surveiller l’état de santé de leurs populations et de leur environnement.
Une longue étude dans le Pantanal brésilien
Situation de Poconé, la principale ville du Pantanal brésilien. |
Entre 1991 et 2021, un suivi a été réalisé dans le Pantanal brésilien, une vaste (près de 140 000 km²) zone humide qui s’étend principalement dans les États brésiliens du Mato Grosso do Sul et du Mato Grosso, mais aussi en Bolivie et au Paraguay. Son climat est tropical et humide, avec une température moyenne annuelle de 25 °C. Les précipitations sont plus prononcées entre novembre et avril, ce qui créé deux saisons relativement bien définies : un hiver sec et un été pluvieux. Les précipitations annuelles varient entre 600 et 1 700 mm (moyenne de 1 250 mm) dans les basses zones inondables, mais sont généralement plus fortes dans les secteurs plus élevés, avec une moyenne de 1 500 mm. Le paysage est le résultat direct des cycles hydrologiques : pendant la saison des pluies, jusqu’à 80 % de la région sont inondés, ce qui rend l’accès difficile et explique la faible densité de population.
Le réseau hydrologique complexe et les grandes variations saisonnières du niveau d’eau ont créé un environnement riche en nutriments, qui offre abri et nourriture à une faune diversifiée et abondante (lire Observer les oiseaux dans le Pantanal brésilien). Le Pantanal est resté en grande partie intact et constitue l’un des biomes les mieux préservés du Brésil, au point d’avoir été désigné comme réserve de la biosphère par l’UNESCO et site du patrimoine mondial de l’Humanité. Toutefois, au cours des dernières décennies, il a souffert de l’expansion et de l’intensification des zones cultivées, de l’élevage, de l’exploitation minière et des grands projets d’infrastructures gouvernementales, altérant son équilibre écologique et provoquant une perte de biodiversité.
Les auteurs de l’étude ont reçu l’autorisation des propriétaires de pénétrer dans plusieurs fazendas (grandes exploitations d’élevage) pour suivre les Aras hyacinthes et surveiller leurs nids.
Les caractéristiques de la nidification du Ara hyacinthe
Aras hyacinthes (Anodorhynchus hyacinthinus) adultes dans leur nid dans le Mato Grosso do Sul (Brésil) (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
L’Ara hyacinthe est un grand perroquet sédentaire, monogame et exigeant dans le choix de ses sites d’alimentation et de nidification. En effet, 95 % de ses nids sont construits dans les cavités de l’arbre Panamá ou Manduvi (Sterculia apetala). Il existe une forte concurrence entre les couples et avec d’autres espèces pour le choix de ces sites, car seuls les arbres de plus de 60 ans offrent des cavités suffisamment grandes pour être utilisables. Environ 75 % des femelles pondent deux œufs, et parmi celles-ci, leur probabilité de perdre un œuf est de 53 %. Selon Guedes, pour 100 œufs pondus, seulement 25 % produiraient des jeunes quittant leur nid.
Le protocole de l’étude
Le processus débutait par l’observation d’un couple défendant une cavité. Une fois la ponte constatée, le nid a été inspecté régulièrement jusqu’à l’envol du poussin, le premier jour correspondant à celui de l’éclosion. Une balance numérique, d’une capacité de 2 kg, a été utilisée pour déterminer le poids (g) des oisillons. La longueur totale (mm) et la longueur médiane des plumes de la queue (mm) ont été mesurées avec une règle métallique.
Afin de minimiser les biais potentiels liés aux observateurs, les mesures ont été effectuées par la même personne pendant les quinze premières années et, par la suite, par deux autres chercheurs qui ont rigoureusement suivi le protocole.
En raison de l’emplacement en hauteur des nids, de la difficulté de se déplacer dans la zone d’étude et des inondations à certaines périodes de l’année, les poussins ont été pesés à des intervalles de jour et de temps différents.
Jeunes Aras hyacinthes (Anodorhynchus hyacinthinus) âgés de 104 et de 105 jours dans le Pantanal brésilien (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Une variation supplémentaire du poids était liée à la quantité de nourriture dans le jabot, dont le diamètre a été mesuré à l’aide d’un pied à coulisse numérique et le volume calculé. Pour cela, un jabot en latex a été réalisé en laboratoire pour estimer sa masse en fonction de son volume.
Le sexe a été identifié génétiquement à partir d’un échantillon de sang. En raison des difficultés logistiques pour pouvoir facilement les expédier au laboratoire, tous les poussins n’ont pas été sexés.
Sur les 837 oisillons sélectionnés, tous n’ont pas pris leur envol : 395 sont en effet morts, principalement à cause des prédateurs ou d’autres causes naturelles, comme une infection parasitaire. Pour les nids plus accessibles, 42 œufs, puis 30 oisillons ont été surveillés pendant 55 jours en moyenne. Par ailleurs, 412 autres poussins ont été mesurés, dès leur premier jour, à différents moments de la journée, pendant douze jours en moyenne.
Dans cette étude, seuls les individus mesurés et pesés jusqu’à ce qu’ils développent leur plumage complet ont été pris en compte. Lors de ce suivi, des jeunes anormalement petits, qualifiés de nains, ont été repérés à partir de différents critères (poids et longueurs totale et de la queue). Ces cas ont été observés chez le premier et le second oisillon d’une nichée, et chez les mâles et les femelles. Le nombre total d’aras « nains » trouvés a été de 31 individus sur les trente ans de l’étude, mais seuls 15, qui ont pris leur envol, ont été intégrés dans l’analyse.
Une analyse statistique basée sur des modèles
Les auteurs de l’étude ont effectué 89 mesures sur les 15 aras « nains » et 1 119 mesures sur les 381 oiseaux de taille normale. Des modèles asymptotiques, couramment utilisés pour l’analyse de la croissance des oiseaux, notamment ceux de Gompertz et de Richards, et logistiques (courbes sigmoïdales), ont été utilisés. Un modèle polynomial cubique a été appliqué sur les courbes de croissance les plus complexes. Tous les modèles ont été ajustés pour réduire les erreurs résiduelles.
Afin de sélectionner le meilleur modèle, les critères d’Akaike et de Hurvich et Tsai ont été utilisés en fonction de la taille de l’échantillon, ainsi que le test F. Les changements de paramètres de la courbe de croissance des jeunes ont ensuite été analysés, et les différences liées au sexe et à la date d’éclosion ont été prises en compte.
Les résultats obtenus : des oisillons nettement plus petits que la normale
La masse moyenne des 42 œufs pesés était de 33 grammes, celles des trente oisillons de taille normale de 23 grammes le premier jour, de 612 à trente jours, de 1 189 grammes à 60 jours et de 1 362 à 90 jours. Lorsque ces poussins ont quitté le nid après 107 jours, leur poids moyen était de 1 177 grammes.
Pour les 15 oisillons « nains », la date de départ du nid était de 126 jours et leur masse maximale était de 1 000 gammes, soit environ 22 % de celle des individus de taille normale. Cette différence a été constatée par les différents modèles utilisés. Leur gain de poids était également inférieur d’au moins 20 % de celui des oiseaux de taille normale. Ces jeunes grossissaient ainsi moins et plus lentement.
La longueur et la largeur moyennes d’un œuf (n = 42) d’Ara hyacinthe étaient respectivement de 47 et de 37 mm. Les trente poussins normaux suivis régulièrement mesuraient en moyenne 77 mm et avaient une longueur totale de 147 mm leur premier jour, de 249 mm le trentième, de 417 mm le soixantième et de 591 mm à 90 jours. À la sortie du nid, leur longueur totale moyenne était de 677 mm.
En général, les plumes de leur queue se développaient assez rapidement, les premières apparaissant au bout de 25 à 31 jours et, au moment où les oiseaux quittaient le nid, elles représentaient environ 50 % de leur longueur totale. Les plumes de la queue des 15 oiseaux nains étaient en moyenne environ 70 % plus petites que celles des oiseaux normaux, et leur croissance 30 % plus lente, les différents modèles le vérifiant plus ou moins.
Concernant la prise de poids, elle était nettement plus lente pour le deuxième poussin, même si des différences ont été constatées suivant les modèles. Les différences de croissance entre les sexes n’étaient pas statistiquement différentes, mais la taille de la queue était en moyenne 24 % plus grande chez les mâles que chez les femelles.
Un taux de croissance des oisillons assez lent
La période totale de développement d’un poussin de taille normale chez l’Ara hyacinthe était de 107 jours, et sa masse corporelle finale moyenne était de 1 177 grammes. Étant donné qu’il s’agit du plus grand perroquet volant du monde, qu’il niche dans des cavités, qu’il a de petites couvées et a un régime alimentaire spécialisé, il a un taux de croissance plus lent que celui d’autres espèces de Psittacidés, y compris du genre Ara.
Les Aras hyacinthes atteignent tardivement leur masse corporelle adulte, après avoir quitté leur nid, mais tout en ayant toujours besoin de soins parentaux. Cette particularité explique que certains des modèles statistiques utilisés lors de l’étude pour décrire leur courbe de croissance corporelle étaient plus performants que d’autres, le meilleur étant le polynomial cubique. Par contre, le modèle sigmoïde était le mieux adapté pour décrire l’évolution des longueurs totale et de la queue.
Les résultats obtenus et les observations sur le terrain ont montré des différences importantes de croissance selon les poussins, qui s’expliquent par la disponibilité des ressources alimentaires, les caractéristiques physiologiques et les performances reproductives des parents, la plasticité phénotypique, les facteurs environnementaux naturels et anthropiques.
Des poussins nains qui donneront des petits adultes
Lors de cette étude, des poussins nains atypiques, représentant 8 % des individus étudiés, dont l’augmentation de la masse corporelle et le gain de poids global étaient inférieurs de 54 % à la moyenne des jeunes de l’espèce, ont été repérés. Leur masse et les longueurs totale et de leur queue étaient respectivement inférieures de 22, 27 et 70 % à la moyenne. Ces individus n’atteindront jamais la taille d’un adulte normal et sont ainsi facilement reconnaissables sur le terrain. Toutefois, ils réussissent à s’accoupler avec des adultes plus grands et leur succès reproducteur n’est donc pas réduit.
Ces oiseaux de petite taille passent certainement inaperçus car ils peuvent être pris pour des jeunes. Cette réduction de taille et de poids pourrait être une adaptation à la diminution des disponibilités alimentaires, causée notamment par l’augmentation de la fréquence des incendies.
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Compléments
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À lire sur le Web
Le site web du projet Arara Azul : www.institutoararaazul.org.br
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Source
Neiva Maria Robaldo Guedes, Maria Cecília Barbosa Toledo, Fernanda Mussi Fontoura, Grace Ferreira da Silva et Reginaldo José Donatelli (2022). Growth model analysis of wild hyacinth macaw (Anodorhynchus hyacinthinus) nestlings based on long-term monitoring in the Brazilian Pantanal. Scientific Reports. Nature. Date : 13/09. www.nature.com
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