Les bâtiments d’élevage, même intensif, peuvent servir de refuges inattendus pour certains oiseaux nicheurs menacés

La Pologne est devenue le plus important producteur de viande de volaille de l’Union Européenne

L’Europe de l’Est a conservé plus longtemps que l’ouest du continent des paysages agricoles traditionnels accueillant une riche biodiversité et des populations d’oiseaux florissantes, mais le processus de modernisation, qui a commencé au début des années 1990 après la chute du Mur de Berlin et qui s’est poursuivi après 2004 avec l’adhésion de plusieurs pays à l’Union Européenne (UE), a changé la situation et entraîné également un appauvrissement de l’avifaune. Les surfaces des parcelles ont augmenté, l’usage des produits phytosanitaires s’est généralisé, et de grands bâtiments d’élevage de volailles et des porcs ont été construits. La Pologne est ainsi devenue le plus important producteur de viande de volailles de l’UE et un concurrent majeur pour les agriculteurs français (notamment) : en 2016, on y comptait ainsi 839 élevages intensifs de volailles (unités de 40 000 poulets) et 158 de porcs (plus de 2 000 porcs). L’impact de ces structures sur l’environnement étant globalement négatif, l’avifaune les fréquentant n’avait jamais été vraiment étudiée.

La zone d’étude

Situations des trois secteurs de l’étude en Pologne. Carte : Ornithomedia.com

Les ornithologues ont mené en 2021 une étude à grande échelle de l’avifaune de 101 fermes d’élevage installées dans le centre et le centre-est de la Pologne, où l’on trouve la plupart de ce type d’exploitation. Les paysages sont dominés par une agriculture extensive composée de terres arables (principalement des cultures de céréales, de maïs et de pommes de terre), de prairies permanentes et de petits boisements. Ils ont sélectionné 101 exploitations agricoles réparties autour des villes de Łask, de Mława et de Siedlce. Les fermes isolées (construites en bordure de village ou au milieu des champs) ont été prises en compte.
Toutes les exploitations choisies pratiquaient l’élevage industriel, principalement de poulets (88 %). Les bâtiments dédiés à cette activité étaient la plupart des cas entourés d’une clôture. La distance minimale entre les exploitations était de 500 mètres afin de garantir l’autonomie des communautés d’oiseaux nicheurs. Des arbres et des arbustes poussaient le plus souvent le long des clôtures, tandis que les bâtiments et les voies d’accès étaient situés au centre. Certaines exploitations comprenaient aussi des cultures de céréales ou de pommes de terre.

La méthodologie suivie

Bâtiment d’élevage de poulets. Photographie (prise en Grande-Bretagne) : Val Vannet / Wikimedia Commons

Les variables suivantes ont été prises en compte : les nombres de bâtiments, d’arbres et d’arbustes et présence de petits étangs, d’amas de gravats et de matériaux de construction. Les superficies des bâtiments, des parcelles labourées, des prairies, des jachères, des routes et de la totalité des exploitations ont été mesurées avec précision à partir de Google Earth.
Les comptages d’oiseaux ont été effectués tôt le matin par beau temps (afin de maximiser le nombre de contacts) à deux reprises (entre le 15 avril et le 15 mai et entre le 16 mai et le 30 juin) en 2021 dans les 101 exploitations sélectionnées.
Les observations ont été faites le long des clôtures (l’intérieur des fermes n’a pas été parcouru en raison de restrictions sanitaires liées à la grippe aviaire et à la peste porcine africaine). Les observateurs se promenaient lentement et notaient tous les oiseaux vus. Les comportements territoriaux et reproducteurs, ainsi que la présence de nids, ont été notés.
Deux analyses statistiques ont été menées à l’aide d’un modèle mixte linéaire généralisé implémenté dans la suite logicielle R. Les nombres d’espèces et de couples, utilisés pour évaluer la richesse ornithologique, ont été utilisés comme variables-réponses suivant une distribution de Poisson et transformées par une fonction de lien logarithmique. Des processus stochastiques (ou aléatoires) ont également été inclus.

Les résultats obtenus

Au cours des deux enquêtes, 61 espèces et 1 951 couples reproducteurs ont été trouvés dans 101 fermes. Les plus communes étaient par ordre décroissant l’Hirondelle de fenêtre (Delichon urbicum), la Bergeronnette grise (Motacilla alba), l’Étourneau sansonnet (Sturnus vulgaris), le Rougequeue noir (Phoenicurus ochruros), la Linotte mélodieuse (Linaria cannabina), le Moineau friquet (Passer montanus), l’Hirondelle rustique (Hirundo rustica), le Traquet motteux (Oenanthe oenanthe) et le Cochevis huppé (Galerida cristata). Ces neuf espèces représentaient près de 72 % des couples comptés. La richesse moyenne en espèces et le nombre moyen de couples par exploitation étaient respectivement de 8,4 et de 19,3.

Les présences remarquables du Cochevis huppé et du Traquet motteux

Cochevis huppé (Galerida cristata). Photographie : Marc Le Moal

La diversité et le nombre de couples de certaines espèces d’oiseaux étaient assez élevés, les valeurs étant généralement supérieures à celles obtenues dans les villages voisins de superficie similaire, notamment pour le Rougequeue noir, et la Bergeronnette grise. La nidification du Cochevis huppé n’a d’ailleurs été notée qu’autour des bâtiments agricoles. Alors que le Rougequeue noir augmente en Europe et que la Bergeronnette grise est une légère baisse, les deux autres espèces sont en fort déclin.
Les densités de la Linotte mélodieuse et de l’Étourneau sansonnet, deux passereaux en diminution sur le continent, étaient proches dans les fermes et dans les villages. 
Les clôtures entourant les bâtiments limiteraient le risque de prédation par les chats, les chiens et les mammifères sauvages, en particulier pour les espèces nichant au sol. Dans les villages, le nombre de chats est souvent beaucoup plus élevé qu’autour des bâtiments d’élevage modernes.
La présence du Cochevis huppé est remarquable : cette espèce a en effet globalement disparu des zones agricoles de la région étudiée il y a 20 à 30 ans, mais des effectifs relativement importants ont récemment été découverts autour de bâtiments agricoles dans l’est de la Pologne (lire Le Cochevis huppé ne survit plus que dans les zones commerciales en Bohème).
Le nombre plus élevé d’espèces dans les fermes que dans les villages (61 contre 53) est également le résultat de la proximité de différents habitats (champs, prairies et forêts). Cette situation permet ainsi la nidification du Bruant proyer (Emberiza calandra), du Petit Gravelot (Charadrius dubius), du Pipit rousseline (Anthus campestris) et de la Mésange noire (Periparus ater). En raison de l’absence de grands habitats ouverts et de vieux arbres dans les limites du village, ces espèces n’y ont pas été recensées. Néanmoins, il faut préciser que les densités de Moineaux domestiques et d’Hirondelles rustiques y étaient nettement plus fortes que dans les exploitations.

Les facteurs favorisant la richesse ornithologique

Linotte mélodieuse (Linaria cannabina) mâle. Photographie : Jean Morillon

La richesse en espèces dans les exploitations étudiées augmentait avec le nombre de bâtiments, même modernes, qui offrent des lieux de nidification à plusieurs espèces comme les Hirondelles rustique et de fenêtre, les Moineaux domestique et friquet, la Bergeronnette grise, l’Étourneau sansonnet et le Rougequeue noir.  
Les arbustes et arbres augmentent la richesse spécifique et le nombre de couples de certains passereaux comme les fauvettes, les mésanges et les pics. Dans la zone d’étude, c’est la Linotte mélodieuse qui semble profiter le plus de la présence de buissons. En Pologne, la construction de bâtiments agricoles est soumise à une autorisation administrative qui impose aux demandeurs de planter des arbres et des arbustes : le Thuya occidental (Thuya occidentalis) est l’espèce la plus souvent plantée dans les haies, or elle est particulièrement appréciée par la Linotte mélodieuse.
La présence de petits réservoirs d’eau constitue un atout supplémentaire car ils fournissent de l’eau aux oiseaux, de la boue pour la construction des nids des hirondelles (lire Comment fournir de la boue aux hirondelles pour les aider à construire ou à réparer leurs nids ?), et leurs berges servent de sites de nourrissage pour la Bergeronnette grise.
La présence d’amas de gravats et de matériaux de construction est également positive car ils constituent des sites de reproduction pour le Traquet motteux et même parfois pour la Huppe fasciée (Upupa epops). En outre, les hautes herbes qui poussent entre les graviers et les rochers fournissent des graines.

En conclusion

Dans la zone d’étude, les bâtiments d’élevage et leurs environs immédiats semblent donc parfois constituer des refuges pour certaines espèces d’oiseaux menacés des milieux agricoles, et pour le Traquet motteux et le Cochevis huppé, ce sont même désormais les seuls sites où ils se reproduisent encore. Le nombre de bâtiments et d’arbres, la présence de petits étangs et de tas de gravats sont des éléments favorisant la richesse ornithologique.
La connaissance de la composition de l’avifaune autour des bâtiments peut revêtir une importance pratique pour connaître les risques de transmission d’agents pathogènes bactériens et viraux par les oiseaux sauvages (lire Les Anatidés sauvages, le sous-type H5N8 du virus de la grippe aviaire et les élevages de volailles).

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