La méthodologie de l’étude

Colibri géant (Patagona gigas) au Chili

Colibri ou Patagon géant (Patagona gigas) à San Antonio (Chili) en février 2020 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Marc Fasol

Les auteurs de l’article publié en 2024 dans la Proceedings of the National Academy of Science ont posé des émetteurs satellitaires et des géolocalisateurs sur plusieurs Colibris ou Patagons géants (Patagona gigas) au Chili pour suivre leurs déplacements migratoires depuis leurs zones de reproduction côtières.
Ils ont par ailleurs collecté des données sur les capacités respiratoires de plus de 175 individus originaires de toute l’aire de répartition de l’espèce.
Ils ont également analysé les séquences génomiques de 101 individus issus des différentes populations. Ils ont séquencé les génomes complets de 36 individus et les régions codantes dites ultra-conservées de 65 individus appartenant aux populations sédentaires et migratrices : ils ont en particulier analysé trois ensembles de polymorphismes nucléotidiques (Single Nucleotide Polymorphisms), des variations qui se produisent lorsqu’un seul nucléotide dans une séquence d’ADN est remplacé par un autre nucléotide.
Pour étudier les particularités physiologiques des Colibris géants sédentaires et migrateurs, ils ont analysé les génotypes de l’hémoglobine, la capacité du sang à transporter de l’oxygène et les tailles du cœur et des poumons de 175 individus provenant de trois populations : la région côtière du Chili, les Hautes Andes péruviennes (de 2 908 à 4 082 mètres d’altitude) et le nord du Pérou (lire À la recherche des colibris endémiques du Pérou).
Ils ont enfin mesuré 361 Colibris géants et étudié les différences de plumages de spécimens naturalisés pour décrire les différences phénotypiques entre les populations.

Des mouvements migratoires extrêmes en latitude et en altitude

Aires de répartition des Patagons géant et chaski

Aires de répartition approximatives du Colibri géant du Nord ou Patagon chaski (Patagona chaski) (A) et du Colibri ou Patagon géant (P. gigas) (C). En (B), il existe une incertitude sur la répartition des deux espèces.
Le trajet migratoire en boucle du Colibri géant est indiqué (flèches noires).
Carte : Ornithomedia.com d’après The Cornell Lab et Jessie L. Williamson et al

Les auteurs ont découvert que les Colibris géants du Chili effectuaient une remarquable migration en boucle passant par le plateau andin central, d’une longueur pouvant atteindre plus de 8 335 km et d’un dénivelé de plus de 4 100 mètres. Une divergence génétique s’est produite à la fin du Pliocène (de – 5,33 à -2,58 millions d’années) entre deux populations isolées d’un point de vue reproductif, l’une résidant toute l’année en haute montagne, et l’autre migrant vers les Andes centrales : les Colibris géants du Chili entament ainsi leur migration d’automne (austral) de la mi-février au début du mois de mars et effectuent un trajet mesurant de 5 457 à 8 335 km aller-retour, longeant les Andes vers le Nord pour atteindre le haut plateau central. Ils atteignent leur zone d’hivernage, située dans le sud et le centre du Pérou, du début du mois de mai à juillet, soit de 90 à 150 jours après le début de leur migration, et repartent au printemps vers le Sud en longeant le versant occidental des Andes, traversant le désert d’Atacama (lire Périple ornithologique au Chili durant le printemps austral, de la Terre de Feu à la réserve nationale Rio Los Cipreses). Il s’agit de l’une des plus longues migrations connues de colibris dans le monde, égalant celle du Colibri roux (Selasphorus rufus), qui effectue un trajet aller-retour de près de 8 200 km (lire Les colibris, des oiseaux étonnants).
Les Colibris géants migrateurs suivis par satellite lors de cette étude ont séjourné de 4 à 77 jours dans le département de Cusco (Pérou) avant d’atteindre le point le plus septentrional de leur voyage, où ils ont passé de 30 à 199 jours. 
Cette boucle semble être synchronisée avec la production de nectar de certaines fleurs : le retour printanier vers le Sud coïncide ainsi avec la floraison de certains cactus colonnaires poussant sur le versant ouest des Andes, comme Weberbauerocereus weberbaueri, et de plusieurs plantes grasses du centre du Chili, notamment Echinops litoralis et Eriocyse subgibbosa (lire Le nectar des puyas, source de nourriture pour les colibris d’altitude au Pérou).

Une ascension par étapes, comme les alpinistes

Les Colibris géants migrateurs font partie d’un « club » d’une centaine d’espèces d’oiseaux dont le dénivelé de la migration dépasse les 2 000 mètres, et qui s’acclimatent donc deux fois par an à des températures et à des pressions atmosphériques drastiquement différentes. Lors de leur migration, certains Colibris géants suivis par satellite ont atteint une altitude de 4 160 mètres. Depuis l’océan Pacifique, ils ont effectué une brusque montée, suivie d’une pause de huit jours entre 1 640 et 2 270 mètres d’altitude, d’une seconde ascension et d’une pause de neuf jours entre 2 290 et 3 215 mètres, avant un dernier effort pour atteindre une altitude supérieure à 3 995 mètres.
Un Colibri géant équipé d’un émetteur est parti de Coquimbo (Chili) et a survolé les Andes jusqu’à Catamarca (Argentine) en 45 heures, entre le 19 et le 21 février 2019, parcourant 685 km à une vitesse moyenne de 15,3 km/h, arrêts compris.
L’ascension par étapes du Colibri géant ressemble à la méthode des alpinistes, qui alternent de longues périodes d’acclimatation dans des camps en altitude avec des montées. Des études ont démontré que séjourner à plus de 2 200 mètres d’altitude pendant 1 à 2 jours permettait une acclimatation respiratoire, et que rester six jours augmentait considérablement la tolérance à l’hypoxie et réduisait l’incidence et la gravité du mal des montagnes. Les trois épisodes de montée, entrecoupés de deux périodes de repos à mi-altitude, constituent donc probablement une stratégie comportementale du Colibri géant pour réduire le risque de dommages pouvant être causés par une montée trop rapide.

Deux espèces distinctes de Colibris géants

Colibri géant (Patagona gigas)

Colibri ou Patagon géant (Patagonas gigas) sur un cactus colonnaire au sud d’Huancayo (Pérou) en 2011 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Devon Pike / Wikimedia Commons

Les auteurs ont identifié deux populations isolées génétiquement et sur le plan reproductif, qui forment deux espèces séparées : une septentrionale, sédentaire et montagnarde vivant du sud de la Colombie au sud du Pérou (au moins), et une méridionale et migratrice, qui niche principalement au Chili et qui hiverne au centre du Pérou. Elles auraient divergé entre -2,1 et -3,4 millions d’années et formeraient des espèces distinctes. Un hybride entre les deux espèces a toutefois été collecté dans le centre-ouest du Pérou, ce qui suggère la persistance d’un faible flux génétique entre ces deux espèces, dont l’ampleur reste inconnue, mais qui ne remettrait pas en cause la spéciation.
Le changement de comportement migratoire entre ces deux espèces s’est probablement produit suite au soulèvement du plateau central andin, qui a eu lieu de la fin du Miocène (de – 23,03 à – 5,33 millions d’années) au Pliocène (de – 5,33 à -2,58 millions d’années), soit immédiatement avant leur spéciation.

Des phénotypes proches mais différenciables

Le Colibri géant du Nord est en moyenne plus gros que celui nichant plus au Sud, et son bec, ses ailes, sa queue et ses tarses sont plus longs. Les mâles des deux espèces sont plus lourds et plus grands que les femelles. Une analyse discriminante linéaire a correctement identifié environ 80 % des individus.
La longueur plus courte (de 5,6 mm en moyenne) des ailes du Colibri géant migrateur semble paradoxale, les oiseaux effectuant de grands trajets ayant souvent des ailes plus allongées, mais la longueur de celles des colibris augmente avec l’altitude pour générer une plus grande portance de l’air : par conséquent, cette évolution serait peut-être davantage liée à une augmentation de la performance reproductive à haute altitude qu’à la nécessité d’une plus grande efficacité du vol.
La gorge et le haut de la poitrine des Colibris géants du Nord sont en moyenne plus clairs et de couleur cannelle que ceux des oiseaux du Sud.

Une adaptation physiologique à l’altitude

L’hypoxie (le manque d’oxygène) liée à l’altitude constitue une forte pression sélective qui peut entraîner une adaptation génétique rapide, et les différences d’altitude importantes entre les zones de reproduction et d’hivernage nécessitent des réponses physiologiques.
Les auteurs ont constaté que l’hémoglobine des deux espèces de Colibris géants était bien adaptée à la vie en haute montagne. Les oiseaux migrateurs font preuve d’une flexibilité saisonnière frappante : en montagne, leur taux d’hémoglobine est plus élevé, ce qui montre qu’ils sont capables de s’adapter à la réduction de la quantité d’oxygène pendant leur ascension vers le plateau andin central, se rapprochant ainsi du phénotype sanguin des oiseaux sédentaires montagnards du Nord.
Lors d’une étude sur les oiseaux chanteurs d’Amérique du Nord et sur les colibris, Carey et Morton avaient découvert que les caractéristiques sanguines des migrateurs d’altitude et des sédentaires montagnards ne différaient pas.
L’hématocrite, qui mesure la portion du sang occupée par les cellules (globules rouges, globules blancs et plaquettes), est toutefois significativement plus élevé chez les Colibris géants migrant vers le plateau andin, ce qui suggère une surproduction de globules rouges pendant leur stationnement en altitude.
Enfin, la masse pulmonaire des Colibris géants montagnards sédentaires est nettement plus importante (+ 23 % environ) que celle des migrateurs (lire La respiration chez l’oiseau).

La description d’une nouvelle espèce, le Colibri géant du Nord ou Patagon chaski 

Colibri géant du Nord (Patagona chaski)

Colibri géant du Nord ou Patagon chaski (Patagona chaski) en Équateur (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Michael Woodruff / Wikimedia Commons

Le Colibri géant (Patagona gigas) avait été décrit en 1824 à partir d’un spécimen collecté au Chili. Une sous-espèce P. g. peruviana avait été ensuite identifiée à partir de deux à trois spécimens prélevés dans le sud du Pérou, mais les caractéristiques de son plumage étaient en fait dues à l’usure et à l’âge, et des analyses génétiques ont montré que les individus utilisés pour la décrire appartenaient aux populations nordiques et méridionales : ce taxon est donc invalide.
Les résultats des analyses génétiques, physiologiques, morphologiques et migratoires de l’étude publiée en 2024 ont révélé que les Colibris géants sédentaires, montagnards et septentrionaux formaient une nouvelle espèce que les auteurs ont nommée Colibri géant du Nord (Patagona chaski), du mot quechua « chaski » signifiant « messager ». Il pourrait être appelé Patagon chaski en français selon Jimmy Gaudin (lire Une liste complète et à jour en français des espèces d’oiseaux du monde à télécharger). Son holotype (ou spécimen de référence) avait été collecté en mars 2009 à 4 030 mètres d’altitude à Choquechaca, dans le département de Cusco (Pérou).
Par rapport au Colibri géant (Patagona gigas), sa gorge est cannelle et contraste avec les stries brunes du dessous. Le cercle oculaire et l’arrière des yeux sont chamois, créant une zone pâle.
Il vit dans les zones arides et semi-arides (formations buissonneuses, forêts claires et cultures) sur le versant occidental des Andes et dans les vallées transversales entre 1 800 et 4 300 mètres d’altitude, de l’Équateur au Chili.

Une vidéo du Colibri géant du Nord

La vidéo ci-dessous, filmée en mars 2020 à Cotopaxi (Équateur), montre probablement un Colibri géant du Nord ou Patagon chaski (Patagona chaski).

Probable Colibri géant du Nord ou Patagon chaski (Patagona chaski) à Cotopaxi (Équateur) en mars 2020.
Source : Andean Birding

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