Le statut taxonomique du Myzomèle de Banda a évolué depuis sa description au XIXe siècle

Situations des îles Banda, Tanimbar et Babar (Indonésie)

Situations des îles Banda, Tanimbar et Babar (Indonésie).
Carte : Ornithomedia.com 

Le Myzomèle de Banda (Myzomela boiei) a été décrit au milieu du XIXe siècle par Johann Wilhelm von Müller à partir d’un spécimen de référence collecté sur les îles Banda (Indonésie). Quarante ans plus tard, sur la base d’un individu prélevé par H. O. Forbes, Sclater (1883) a décrit M. annabellae sur les îles Tanimbar et a considéré que la population vivant sur l’île voisine de Babar n’était pas différenciable.
Hartert (1906) a estimé que M. annabellae ne pouvait pas être considérée comme une espèce distincte, malgré une taille inférieure et une bande noire plus étroite bordant sa gorge rouge que M. boiei.
Par la suite, le statut taxonomique du Myzomèle de Banda a évolué, et au début du XXIe siècle, la communauté ornithologique l’a presque unanimement traité comme une espèce polytypique composée de deux sous-espèces. En 2013, Colin Trainor et Philippe Verbelen ont remarqué que du fait de la grande distance séparant les aires de répartition de M. b. boiei et de M. b. annabellae, il était possible que ces deux taxons pouvaient être suffisamment isolés génétiquement pour être considérés comme des espèces distinctes.
Plus récemment (2011), James Eaton et al. les ont finalement séparés, une décision justifiée par de « fortes différences vocales et quelques différences de plumage » non précisées. La collecte récente d’enregistrements provenant des îles Banda, Tanimbar et Baba permettait enfin d’effectuer des analyses vocales.

Des mesures d’ailes, de la queue, des tarses et du bec

MMyzomèle de Banda (Myzomela boiei mâle

Myzomèle de Banda (Myzomela boiei) sur l’île de Banda Neira, dans l’archipel des Banda (Indonésie), le  8 décembre 2023 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie :  James Eaton

Des spécimens naturalisés issus des collections de l’American Museum of Natural History de New York et du Natural History Museum de Tring ont été étudiés : 11 mâles et 3 femelles de M. b. boiei provenant des îles Banda, trois mâles de M. b. annabellae provenant des îles Tanimbar et neuf mâles et deux femelles de M. b. annabellae provenant de l’île Babar.
Les mesures suivantes ont été prises : longueurs de l’aile, de la queue, du tarse et du bec et profondeur et largeur maximale de ce dernier. Les immatures n’ont pas été mesurés.
Les différences trouvées ont été analysées statistiquement à l’aide d’une Analyse en Composantes Principales. Pour comparer les différences biométriques entre les populations, des tests-t non appariés de Welch, servant à comparer la moyenne de deux groupes indépendants, ont été utilisés en appliquant une correction de Bonferroni. Seuls les mâles ont été analysés statistiquement en raison de l’absence de femelles provenant des îles Tanimbar. Des photographies de mâles de M. b. annabellae (deux des îles Tanimbar et un de Babar) conservés au Museum für Tierkunde, Staatliche Naturhistorische Sammlungen Dresden ont aussi été prises en compte.

Des analyses vocales

Des enregistrements sonores, provenant des bibliothèques en ligne Xeno-canto et Macaulay Library et d’observateurs ayant visité les îles concernées, ont été étudiés. Les chants, qui jouent un rôle dans la sélection sexuelle, ont été pris en compte, les cris de contact et d’alarme ayant été exclus. Seul un type de chant par île a été trouvé.
Au total, 21 enregistrements de chants de M. boiei provenant des îles Banda (n = 6), Tanimbar (n = 8) et Babar (n = 7) ont été étudiés. Pour chacun d’entre eux, quatre paramètres de base ont été analysés : le nombre de notes dans une strophe, la longueur des strophes et les fréquences minimale et maximale (en kHz) de la strophe entière.
Les sonogrammes ont été visualisés et mesurés par le logiciel Raven Pro Version 1.6.
Pour chaque enregistrement, toutes les strophes chantées par un même oiseau ont été étudiées pour tenir compte des variations individuelles et la moyenne de chaque paramètre vocal pour chaque individu a été traitée. Les différences ont été analysées statistiquement à l’aide d’une Analyse en Composantes Principales et de tests-t non appariés de Welch.
Pour tester la capacité des populations à reconnaître et à distinguer les chants de mâles provenant des autres îles afin de provoquer des réactions, des enregistrements ont été diffusés lors de visites sur les îles Babar, Tanimbar et Banda : des chants d’individus provenant de la même population ou d’une autre île ont été diffusés pendant deux minutes maximum, et les comportements ont été observés puis classés (aucune réponse, réponse modérée ou forte). Au total, 152 expériences de ce type ont été réalisées.

Des différences de plumage et de dimensions

Myzomèle des Tanimbar (Myzomela annabellae) mâle

Myzomèle des Tanimbar (Myzomela annabellae) mâle sur les îles Tanimbar (Indonésie) le 11 novembre 2024 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie :  James Eaton / Birdtour Asia

Les trois populations étudiées de M. boiei provenant des îles Babar, Tanimbar et Banda sont différenciables par le plumage des mâles, leurs dimensions et leurs chants. Le taxon nominal M. b. boiei diffère de M. b. annabellae par sa plus grande taille, en particulier par les longueurs supérieures de ses ailes, de ses tarses et de son bec. La bande pectorale du mâle de M. b. boiei est également beaucoup plus large que celle des mâles de M. b. annabellae des îles Tanimbar et Banda, atteignant la partie inférieure de la poitrine, alors qu’elle est limitée au cou et à la partie supérieure de la poitrine chez M. b. annabellae. Les parties inférieures postérieures sont également plus sombres.
Il existe de petites différences entre les mâles des populations de M. b. annabellae des îles Tanimbar et Babar : les premiers sont légèrement plus petits, et en particulier, la longueur de leur queue est environ 10 % plus courte. Chez les cinq mâles étudiés provenant des îles Tanimbar, le dos et le manteau étaient considérablement plus noirs et moins mélangés de rouge écarlate que ceux de l’île Babar. Aucune différence entre les femelles adultes n’a été trouvée.

Des différences vocales

Les chants des trois populations de M. boiei diffèrent radicalement les uns des autres, et leurs sonogrammes sont distincts.
Le chant de la sous-espèce nominale M. b. boiei est composé d’une série de cinq à six notes aiguës largement espacées et réparties sur une large bande passante. Elles sont parfois suivies de notes variables, plus graves et émises rapidement. Ses strophes sont les plus longues des trois populations étudiées, avec une moyenne de 2,1 secondes, et leur fréquence maximale est la plus élevée (8,4 kHz en moyenne).
Le chant de M. b. annabellae des îles Tanimbar est composé d’une série variable de trois à cinq notes simples, espacées en moyenne de 0,7 de seconde et d’une fréquence variable. Il existe une certaine variété entre les chants des individus, mais tous ont une structure similaire.

Écoutez ci-dessous un enregistrement du chant du Myzomèle des Tanimbar (Myzomela annabellae) réalisé par Mike Nelson sur l’île de Yamdena, dans l’archipel des Tanimbar (Indonésie), le 21 octobre 2014 (source : Xeno-Canto) :

Les mâles de de M. b. annabellae de l’île Babar ont un chant totalement différent, composé de trois ou cinq notes courtes d’introduction suivies d’un trille rapide et régulier évoquant une « balle rebondissante ». Les strophes durent de 0,9 à 1,4 seconde et contiennent de 13 à 23 notes. Toutes les notes sont relativement graves, la strophe entière ayant une gamme de fréquence comprise entre 2,8 et 4,4 kHz. Les chants des mâles de l’île Babar présentent moins de variations que ceux de M. b. boiei et des oiseaux des îles Tanimbar.

Écoutez ci-dessous un enregistrement du chant du Myzomèle de Babar (Myzomela babarensis) réalisé par Philippe Verbelen sur l’île Babar (Indonésie) en août 2009 : il s’agit du premier enregistrement ce taxon (source : Xeno-Canto) :

Les mâles de trois populations réussissent parfaitement à faire la différence entre les chants sympatriques (= émis par des mâles de la même île ou du même archipel) et allopatriques (= émis par des mâles d’une autre île ou archipel), réagissant fortement aux premiers et étant indifférents aux seconds.

Le Myzomèle des îles Banda est bien une espèce distincte

Vue de Pulau Pisang, l'une des dix îles composant l'archipel des Banda (Indonésie)

Vue de Pulau Pisang, l’une des dix îles composant l’archipel des Banda (Indonésie) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie :  WIDI / Wikimedia Commons

Les données morphologiques et vocales obtenues révèlent donc l’existence de différences substantielles entre les trois populations insulaires de M. boiei. En appliquant les principes du concept d’espèce biologique, les auteurs confirment la décision de James Eaton et al. de considérer le Myzomèle de Banda (M. boiei) comme une espèce distincte : il est considérablement plus grand que les oiseaux des îles Tanimbar et Babar et il présente une bande pectorale beaucoup plus large et des parties inférieures plus foncées. Son chant est par ailleurs distinct, et les mâles ne réagissent pas à la diffusion des chants d’oiseaux des îles Tanimbar et Babar.
Prawiradilaga et al. (2017) avaient utilisé des critères similaires pour décrire le Myzomèle de Rote (M. irianawidodoae) (lire Description d’une nouvelle espèce d’oiseau en Indonésie, le Myzomèle de Rote). Irham et al. (2020) ont considéré le Myzomèle d’Alor (M. prawiradilagae) comme une espèce différente du Myzomèle de Wetar (M. kuehni) en se basant sur des différences morphologiques et vocales relativement subtiles (lire Description d’une nouvelle espèce en Indonésie : le Myzomèle d’Alor). Des éléments similaires ont également été utilisés pour reconnaître le statut spécifique du Myzomèle de Bacan (M. batjanensis).
Les auteurs proposent de renommer le Myzomèle de Banda (M. boiei) en Myzomèle des îles Banda, pour bien rappeler sa présence localisée sur cet archipel.

Proposition de reconnaissance d’une nouvelle espèce, le Myzomèle de Babar

En se basant sur les résultats obtenus des analyses morphométriques et vocales, les auteurs proposent de reconnaître une nouvelle espèce, le Myzomèle de Babar (M. babarensis), dont le mâle se distingue de celui des îles Banda par une bande pectorale noire beaucoup plus étroite, qui se limite à la partie supérieure de la poitrine, et par des parties inférieures blanc crème et non pas noires. Les femelles des deux populations semblent identiques. Les longueurs des ailes, du bec et des tarses du Myzomèle de Babar sont par ailleurs inférieures.
Il est morphologiquement très proche de M. annabellae, qui devrait aussi être considéré comme une espèce distincte, le Myzomèle des Tanimbar, même si ses ailes, ses tarses et son bec sont plus grands et si la couleur rouge écarlate des parties supérieures semble plus étendue, en particulier sur les sus-caudales. Les plumages des femelles semblent inséparables.
Ces trois espèces diffèrent surtout radicalement par leur chant, qui constitue un mécanisme essentiel d’isolement reproductif, et bien qu’il n’existe pas de données moléculaires disponibles pour étudier les différences génétiques, cet élément semble décisif. 
Les Myzomèles des Banda, des Tanimbar et de Babar semblent avoir une bonne capacité d’adaptation à la dégradation des milieux naturels et sont communs dans leurs aires de répartition respectives : en particulier, le Myzomèle de Babar est présent dans tous les types d’habitats boisés, ce qui le protège du déboisement qui touche son île.

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