Matériel et méthode

Océanite d'Elliot (Oceanites gracilis)

Océanite d’Elliot (Oceanites gracilis) au large de Callao (Pérou) le 15 octobre 2008 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Roar Johansen / Wikimedia Commons

Les auteurs ont prélevé des échantillons de sang sur plusieurs individus provenant de plusieurs localités du nord et du sud du Chili et de l’Équateur et appartenant à différents taxons : les sous-espèces gracilis (N = 4) et galapagoensis (N = 2) de l’Océanite d’Elliot (Oceanites gracilis), la sous-espèce O. o. chilensis (N = 10) de l’Océanite de Wilson (O. oceanicus) et l’Océanite pincoya (O. pincoyae) (N = 1).
Des échantillons génétiques des sous-espèces O. g. galapagoensis, O. o. oceanicus et O. o. exasperatus ont été obtenus à partir d’études précédentes et de la base de données GenBank. Des individus appartenant aux familles des Hydrobatidés, des Diomédeidés et des Procellariidés ont aussi été pris en compte.
L’ADN génomique a été extrait et le gène mitochondrial codant pour le cytochrome b a été séquencé. Un thermocycleur, un équipement de laboratoire qui permet de réaliser la réaction en chaîne par polymérase (PCR) de manière efficace et rapide, a été utilisé.
Les séquences obtenues ont ensuite été éditées et ont servi à élaborer un arbre phylogénétique après vérification statistique par approche bayésienne. Les distances génétiques entre les taxons ont été calculées avec le logiciel MEGA.
Plusieurs modèles biogéographiques ont été utilisés pour reconstruire le processus biogéographique qui a favorisé la spéciation au sein du genre Oceanites. Les auteurs ont construit une matrice de répartition de chaque taxon dans les océans Pacifique du Sud-Est, Austral (y compris l’Antarctique) et Atlantique.
Pour évaluer les différences morphologiques entre les taxons actuellement reconnus du genre Oceanites, ils ont créé une base de données contenant des informations morphologiques provenant d’individus capturés sur le terrain (puis relâchés) et de spécimens de musées. Cinq mesures ont été prises : longueurs de l’aile, du tarse, du bec, de la griffe du doigt médian et de la queue.
Des analyses statistiques ont été effectuées pour déterminer si les espèces prises en compte présentaient des différences morphologiques significatives.

Les principaux résultats obtenus 

Aires de nidification des océanites étudiés

Aires de nidification (totales ou partielles) des (A) Océanites des Galápagos (Oceanites galapagoensis), (B) d’Elliot (O. gracilis), (C) des Andes (Oceanites barrosi), (D) pincoya (O. pincoyae), (E) de la Terre de Feu (O. chilensis), (F) de Wilson (O. oceanicus) et (G) antarctique (O. exasperatus).
Carte : Ornithomedia.com d’après Heraldo V. Norambuena et al

L’arbre phylogénétique généré a révélé l’existence de quatre sous-clades (sous-groupes) majeurs au sein du genre Oceanites composés respectivement (1) de O. chilensis, (2) de O. exasperatus, (3) de O. gracilis, de O. pincoyae et d’une espèce non encore décrite, et (4) de O. oceanicus et de O. galapagoensis.
Il montre également que O. gracilis, O. galapagoensis, O. oceanicus, O. chilensis, O. pincoyae et O. exasperatus sont monophylétiques (= issus d’un ancêtre commun).
La population d’océanites vivant dans le centre du Chili (lire Observer les oiseaux dans le centre du Chili, des Andes à l’océan Pacifique) forme un groupe-frère avec O. pincoyae mais est fortement divergente.
O. chilensis forme un groupe basal (= à l’origine des autres). La distance génétique entre les taxons varie entre 4 et 19 %.
La divergence entre le genre Oceanites et les autres de la famille des d’Océanitidés s’est produite il y a environ 32,7 millions d’années, tandis qu’au sein du genre, la séparation entre O. chilensis et les autres remonte à plus de 21 millions d’années, celle entre O. pincoyae et le taxon non encore décrit datant du Miocène (vers – 6,7 millions d’années).
Les modèles biogéographiques utilisés suggèrent que le clade Oceanites est probablement originaire de l’océan Austral, à partir duquel il aurait colonisé l’océan Pacifique il y a entre 15 à 18 millions d’années, favorisant la formation de nouvelles espèces (O. gracilis, O. pincoyae et un taxon non encore décrit).
Un autre processus de colonisation se serait produit il y a environ 15 millions d’années et aurait entraîné la formation de O. galapagoensis et de O. oceanicus dans les océans Austral et Atlantique. Enfin, O. exasperatus aurait colonisé l’Antarctique il y a environ 17 millions d’années.
L’analyse morphométrique a notamment révélé l’existence de différences marquées de la longueur de l’aile entre certains taxons.

Plusieurs espèces distinctes et une nouvelle, l’Océanite des Andes

Sur la base de leurs analyses phylogénétiques et morphologiques, les auteurs proposent d’élever au rang d’espèces distinctes les sous-espèces exasperatus et chilensis de l’Océanite de Wilson, et O. g. galapagoensis de l’Océanite d’Elliot. Elles n’ont pas encore de noms officiels en français, mais Jimmy Gaudin (lire Une liste complète et à jour en français des espèces d’oiseaux du monde à télécharger) suggère de les nommer provisoirement Océanites antarctique (O. exasperatus), de la Terre de Feu (O. chilensis) et des Galápagos (O. galapagoensis).

Océanite des Andes (Oceanites barrosi)

Océanite des Andes (Oceanites barrosi) au large de Valparaiso (Chili) : notez les deux étroites bandes blanches sous les ailes (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Cristín Pinto

Ils confirment également la validité de l’Océanite pincoya (Oceanites pincoya), ainsi que l’existence d’une nouvelle espèce non encore décrite, qui était rattachée autrefois à la sous-espèce O. o. chilensis, et vivant dans le centre du Chili, qu’ils ont nommée l’Océanite des Andes (O. barrosi). Son nom scientifique est un hommage à l’ornithologue chilien Rafael Barros Valenzuela (1890–1972) qui avait observé les premiers spécimens dans les monts Aconcagua (Chili).
L’holotype (spécimen de référence) est une femelle adulte collectée à Río Blanco, dans la région de Valparaíso (Chili), le 7 avril 1924. Il a été choisi du fait de sa proximité géographique et de sa similitude morphologique avec les spécimens séquencés.
Cette espèce ressemble aux Océanites pincoya et de la Terre de Feu, mais elle s’en distingue par l’étendue plus réduite du blanc sur son bas-ventre et la présence de deux étroites blanches sous ses ailes, qui sont par ailleurs en moyenne plus longues (134 mm) que celles de O. chilensis, mais plus courtes que celles de O. pincoyae. Sa queue et ses pattes sont plus petites que celles de O. chilensis et plus grandes que celles de O. pincoyae. L’extrémité de sa queue est carrée et une tache blanche rectangulaire est bien visible sur son croupion. Ses pieds ont des membranes jaunes. Il n’y a pas de dimorphisme sexuel.
Il est distinct génétiquement des autres espèces du genre Oceanites et son aire de reproduction est limitée aux Hautes Andes chiliennes, au-dessus de la limite des arbres.

Des nids qui n’ont jamais été décrits

Ces résultats montrent la nécessité et l’urgence de découvrir les sites de reproduction des Océanites pincoya, des Galápagos et des Andes, dont les nids n’ont jamais été décrits, pour évaluer la taille de leurs populations et leur statut de conservation, qui devrait être réévalué étant donné le peu d’informations connues sur leur biologie (lire Des océanites mystérieux au Chili).

Réagir à notre article

Réagissez à cet article en publiant un commentaire