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Description au Chili d’une nouvelle espèce du genre Oceanites, l’Océanite des Andes
Introduction
La famille des Oceanitidés (océanites) est composée de petits oiseaux marins principalement noir et blanc appartenant aux genres Oceanites, Garrodia, Pelagodroma, Fregetta et Nesofregetta répartis dans les mers tropicales, tempérées, subantarctiques et antarctiques des hémisphères nord et sud. Elle était considérée comme une sous-famille des Hydrobatidés avant les résultats d’études phylogénétiques moléculaires récentes. Toutefois, la systématique des Oceanitidés reste floue, en particulier celle du genre Oceanites. Actuellement, elle est composée de trois espèces, les Océanites de Wilson (O. oceanicus), d’Elliot (O. gracilis) et picoya (O. pincoyae), le statut taxonomique de leurs sous-espèces restant encore à éclaircir. Sur la base d’observations menées sur le terrain, Howell et Zufelt (2019) avaient toutefois remis en question cette taxonomie.
Les études menées jusqu’à présent sur la systématique du genre Oceanites ont été incomplètes, n’incluant pas tous les taxons. Dans un article publié en 2024 dans le journal Zootaxa, une équipe internationale, composée de biologistes chiliens, péruviens et néo-zélandais, a présenté les résultats d’analyses génétiques et morphologiques menées sur un échantillon représentatif des taxons du genre Oceanicus, comprenant toutes les espèces et cinq sous-espèces, et ils proposent une nouvelle classification, élevant au rang d’espèces les sous-espèces exasperatus et chilensis de l’Océanite de Wilson et galapagoensis de l’Océanite d’Elliot, et décrivant une nouvelle espèce, qu’ils ont nommée Océanite des Andes (O. barrosi).
Abstract
The Oceanitidae family (Storm-Petrels) is composed of small, mainly black-and-white seabirds belonging to the Oceanites, Garrodia, Pelagodroma, Fregetta and Nesofregetta genera and distributed in tropical, temperate, subantarctic and Antarctic seas of the northern and southern hemispheres. It was considered a subfamily of Hydrobatidae before the results of recent molecular phylogenetic studies. However, the systematics of Oceanitidae remains unclear, particularly that of the Oceanites genus. Currently, it is composed of three species, Wilson’s (O. oceanicus), Elliot’s (O. gracilis) and Picoya (O. pincoyae) Storm-Petrels, with the taxonomic status of their subspecies still unclear. However, based on field observations, Howell and Zufelt (2019) had questioned this taxonomy.
Studies conducted so far on the systematics of the Oceanites genus have been incomplete, not including all taxa. In a paper published in 2024 in the Zootaxa journal, an international team, composed of Chilean, Peruvian and New Zealand biologists, presented the results of genetic and morphological analyses carried out on a representative sample of taxa of the Oceanicus genus, including all species and five subspecies, and they proposed a new classification, elevating to the rank of species the exasperatus and chilensis subspecies of the Wilson’s Storm-Petrel and galapagoensis of the Elliot’s Storm-Petrel, and describing a new species, which they named Andean Storm-Petrel (O. barrosi).
Matériel et méthode
Océanite d’Elliot (Oceanites gracilis) au large de Callao (Pérou) le 15 octobre 2008 (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Les auteurs ont prélevé des échantillons de sang sur plusieurs individus provenant de plusieurs localités du nord et du sud du Chili et de l’Équateur et appartenant à différents taxons : les sous-espèces gracilis (N = 4) et galapagoensis (N = 2) de l’Océanite d’Elliot (Oceanites gracilis), la sous-espèce O. o. chilensis (N = 10) de l’Océanite de Wilson (O. oceanicus) et l’Océanite pincoya (O. pincoyae) (N = 1).
Des échantillons génétiques des sous-espèces O. g. galapagoensis, O. o. oceanicus et O. o. exasperatus ont été obtenus à partir d’études précédentes et de la base de données GenBank. Des individus appartenant aux familles des Hydrobatidés, des Diomédeidés et des Procellariidés ont aussi été pris en compte.
L’ADN génomique a été extrait et le gène mitochondrial codant pour le cytochrome b a été séquencé. Un thermocycleur, un équipement de laboratoire qui permet de réaliser la réaction en chaîne par polymérase (PCR) de manière efficace et rapide, a été utilisé.
Les séquences obtenues ont ensuite été éditées et ont servi à élaborer un arbre phylogénétique après vérification statistique par approche bayésienne. Les distances génétiques entre les taxons ont été calculées avec le logiciel MEGA.
Plusieurs modèles biogéographiques ont été utilisés pour reconstruire le processus biogéographique qui a favorisé la spéciation au sein du genre Oceanites. Les auteurs ont construit une matrice de répartition de chaque taxon dans les océans Pacifique du Sud-Est, Austral (y compris l’Antarctique) et Atlantique.
Pour évaluer les différences morphologiques entre les taxons actuellement reconnus du genre Oceanites, ils ont créé une base de données contenant des informations morphologiques provenant d’individus capturés sur le terrain (puis relâchés) et de spécimens de musées. Cinq mesures ont été prises : longueurs de l’aile, du tarse, du bec, de la griffe du doigt médian et de la queue.
Des analyses statistiques ont été effectuées pour déterminer si les espèces prises en compte présentaient des différences morphologiques significatives.
Les principaux résultats obtenus
Aires de nidification (totales ou partielles) des (A) Océanites des Galápagos (Oceanites galapagoensis), (B) d’Elliot (O. gracilis), (C) des Andes (Oceanites barrosi), (D) pincoya (O. pincoyae), (E) de la Terre de Feu (O. chilensis), (F) de Wilson (O. oceanicus) et (G) antarctique (O. exasperatus). |
L’arbre phylogénétique généré a révélé l’existence de quatre sous-clades (sous-groupes) majeurs au sein du genre Oceanites composés respectivement (1) de O. chilensis, (2) de O. exasperatus, (3) de O. gracilis, de O. pincoyae et d’une espèce non encore décrite, et (4) de O. oceanicus et de O. galapagoensis.
Il montre également que O. gracilis, O. galapagoensis, O. oceanicus, O. chilensis, O. pincoyae et O. exasperatus sont monophylétiques (= issus d’un ancêtre commun).
La population d’océanites vivant dans le centre du Chili (lire Observer les oiseaux dans le centre du Chili, des Andes à l’océan Pacifique) forme un groupe-frère avec O. pincoyae mais est fortement divergente.
O. chilensis forme un groupe basal (= à l’origine des autres). La distance génétique entre les taxons varie entre 4 et 19 %.
La divergence entre le genre Oceanites et les autres de la famille des d’Océanitidés s’est produite il y a environ 32,7 millions d’années, tandis qu’au sein du genre, la séparation entre O. chilensis et les autres remonte à plus de 21 millions d’années, celle entre O. pincoyae et le taxon non encore décrit datant du Miocène (vers – 6,7 millions d’années).
Les modèles biogéographiques utilisés suggèrent que le clade Oceanites est probablement originaire de l’océan Austral, à partir duquel il aurait colonisé l’océan Pacifique il y a entre 15 à 18 millions d’années, favorisant la formation de nouvelles espèces (O. gracilis, O. pincoyae et un taxon non encore décrit).
Un autre processus de colonisation se serait produit il y a environ 15 millions d’années et aurait entraîné la formation de O. galapagoensis et de O. oceanicus dans les océans Austral et Atlantique. Enfin, O. exasperatus aurait colonisé l’Antarctique il y a environ 17 millions d’années.
L’analyse morphométrique a notamment révélé l’existence de différences marquées de la longueur de l’aile entre certains taxons.
Plusieurs espèces distinctes et une nouvelle, l’Océanite des Andes
Sur la base de leurs analyses phylogénétiques et morphologiques, les auteurs proposent d’élever au rang d’espèces distinctes les sous-espèces exasperatus et chilensis de l’Océanite de Wilson, et O. g. galapagoensis de l’Océanite d’Elliot. Elles n’ont pas encore de noms officiels en français, mais Jimmy Gaudin (lire Une liste complète et à jour en français des espèces d’oiseaux du monde à télécharger) suggère de les nommer provisoirement Océanites antarctique (O. exasperatus), de la Terre de Feu (O. chilensis) et des Galápagos (O. galapagoensis).
Océanite des Andes (Oceanites barrosi) au large de Valparaiso (Chili) : notez les deux étroites bandes blanches sous les ailes (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Ils confirment également la validité de l’Océanite pincoya (Oceanites pincoya), ainsi que l’existence d’une nouvelle espèce non encore décrite, qui était rattachée autrefois à la sous-espèce O. o. chilensis, et vivant dans le centre du Chili, qu’ils ont nommée l’Océanite des Andes (O. barrosi). Son nom scientifique est un hommage à l’ornithologue chilien Rafael Barros Valenzuela (1890–1972) qui avait observé les premiers spécimens dans les monts Aconcagua (Chili).
L’holotype (spécimen de référence) est une femelle adulte collectée à Río Blanco, dans la région de Valparaíso (Chili), le 7 avril 1924. Il a été choisi du fait de sa proximité géographique et de sa similitude morphologique avec les spécimens séquencés.
Cette espèce ressemble aux Océanites pincoya et de la Terre de Feu, mais elle s’en distingue par l’étendue plus réduite du blanc sur son bas-ventre et la présence de deux étroites blanches sous ses ailes, qui sont par ailleurs en moyenne plus longues (134 mm) que celles de O. chilensis, mais plus courtes que celles de O. pincoyae. Sa queue et ses pattes sont plus petites que celles de O. chilensis et plus grandes que celles de O. pincoyae. L’extrémité de sa queue est carrée et une tache blanche rectangulaire est bien visible sur son croupion. Ses pieds ont des membranes jaunes. Il n’y a pas de dimorphisme sexuel.
Il est distinct génétiquement des autres espèces du genre Oceanites et son aire de reproduction est limitée aux Hautes Andes chiliennes, au-dessus de la limite des arbres.
Des nids qui n’ont jamais été décrits
Ces résultats montrent la nécessité et l’urgence de découvrir les sites de reproduction des Océanites pincoya, des Galápagos et des Andes, dont les nids n’ont jamais été décrits, pour évaluer la taille de leurs populations et leur statut de conservation, qui devrait être réévalué étant donné le peu d’informations connues sur leur biologie (lire Des océanites mystérieux au Chili).
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Compléments
Ouvrages recommandés
- Birds of Southern South America and Antarctica de M. R. de La Pena et al.
- Carte Chile and Patagonia Nelles Map de Nelles Verlag GmbH (2006)
- Petit Futé Patagonie (2014) de Petit Futé
- Birds of Chile: Including the Antartic Peninsular, the Falkland Islands and South Georgia de Alvaro Jaramillo (Auteur), Peter Burke (Illustrations) et David Beadle (Illustrations)
- Birds of Argentina & Uruguay: A Field Guide de Dario Yzurieta (Auteur) et Tito Narosky (Auteur)
- Guia De Aves Y Mamiferos De La Patagonia/ Birds And Mammals Guide Of The Patagonian Coast de Guillermo Harris (Auteur)
Source
Heraldo V. Norambuena, Rodrigo Barros, Álvaro Jaramillo, Fernando Medrano, Chris Gaskin, Tania King, Karen Baird et Cristián E. Hernádez (2024). Resolving the conflictive phylogenetic relationships of Oceanites (Oceanitidae: Procellariiformes) with the description of a new species. Zootaxa. Volume : 5486. Numéro : 4. Pages : 451–475. mapress.com
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