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Un Rougequeue de Moussier découvert dans l’Hérault en décembre 2024, une donnée remarquable mais pas exceptionnelle dans le sud de l’Europe
Introduction
Créé en 2014 et coordonné par la Ligue pour la Protection des Oiseaux et le Muséum National d’Histoire Naturelle, le Suivi Hivernal des Oiseaux Communs (SHOC) est une enquête visant à recenser les populations hivernales d’oiseaux communs afin de compléter les connaissances déjà acquises par le Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC) durant la période de reproduction. Il est basé sur des comptages visuels et auditifs le long de transects (= lignes imaginaires). C’est lors de l’un d’entre eux qu’Isabelle Cabirol et d’autres observateurs ont découvert le 26 décembre 2024 un mâle de Rougequeue (autrefois appelé également Rubiette) de Moussier (Phoenicurus moussieri) près d’un cabanon agricole non loin de Frontignan (Hérault), un habitat rocheux et arbustif qui rappelle l’habitat d’origine de ce passereau endémique d’Afrique du Nord (du Maroc à l’ouest de Libye), où il est sédentaire mais peut effectuer des mouvements postnuptiaux. Cette observation, qui est réellement remarquable (elle ne constitue que la seconde ou troisième donnée française confirmée), n’est toutefois pas exceptionnelle dans le sud de l’Europe : en effet, l’espèce a déjà été notée en Grèce, au Portugal, en Italie et surtout à Malte, où plus de quarante oiseaux ont par exemple été vus entre 1933 et 2012, dont 22 en automne et en hiver.
Après une présentation du Rougequeue de Moussier, nous abordons son statut en Europe, puis nous évoquons les explications possibles des arrivées sur notre continent. Nous remercions Alexandre Crégu et Christophe Lartigau pour nous avoir aidés à illustrer cet article.
Abstract
Created in 2014 and coordinated by the Ligue pour la Protection des Oiseaux and the Muséum National d’Histoire Naturelle, the Suivi Hivernal des Oiseaux Communs (Winter Monitoring of Common Birds) is a survey that aims to identify winter populations of common birds to supplement the knowledge already acquired by the Suivi Temporel des Oiseaux Communs (Temporal Monitoring of Common Birds) during the breeding season. It is based on visual and auditory counts along transects (= imaginary lines) along which the observer moves. It was during one of these that Isabelle Cabirol and other observers discovered on December 26, 2024 a male Moussier’s Redstart (Phoenicurus moussieri) near an agricultural shed not far from Frontignan (Hérault), a rocky and shrubby habitat reminiscent of the original habitat of this passerine bird endemic to North Africa (from Morocco to western Libya), where it is sedentary but can perform postnuptial movements. This record, which is truly remarkable (it is only the second or third confirmed French data), is however not exceptional in southern Europe: in fact, this bird species has already been noted in Greece, Portugal, Italy and especially in Malta, where more than forty birds were for example seen between 1933 and 2012, including 22 in autumn and winter.
After a presentation of the Moussier’s Redstart, we discuss its status in Europe, then we discuss possible explanations for its arrivals on our continent. We thank Alexandre Crégu and Christophe Lartigau for helping us illustrate this article.
Le Rougequeue de Moussier (Phoenicurus moussieri)
Rougequeue de Moussier (Phoenicurus moussieri) mâle de premiier hiver de Frontignan (Hérault) le 27 décembre 2024 (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Longueur : 12 – 13 cm.
Description : le Rougequeue de Moussier, appelé autrefois parfois Rubiette de Moussier, est un petit passereau trapu. Sa queue et ses ailes sont assez courtes. Le mâle adulte ne peut pas être confondu : il a le dessous et le croupion entièrement orange-rouille et le dessus noir avec une large tache alaire blanche. Il présente aussi une sortie de « diadème » blanc (une ligne blanche partant du front et se prolongeant vers l’arrière au-dessus des yeux et sur les côtés du cou). En plumage automnal, les parties noires portent des liserés bruns, comme le mâle de premier hiver, qui est toutefois globalement plus brun.
La femelle ressemble à celle du Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus), mais le dessous est plus orangé, et elle possède une vague tache claire sur les ailes.
Le Rougequeue de Moussier agite continuellement sa queue rouille et secoue fréquemment ses ailes. Il reste souvent à découvert, mais elle peut parfois être discrète.
Cris et chant : le cri de contact est un fin sifflement « hit ». Il pousse aussi des « tchirrr » doux. Son chant est un gazouillis fin, un peu irrégulier, rappelant celui de l’Accenteur mouchet (Prunella modularis), avec des sons grinçants parfois mêlés de brefs « tchirr ».
Écoutez ci-dessous un enregistrement du chant et des cris du Rougequeue de Moussier réalisé au Maroc (source : Xeno-Canto) :
Habitats : le Rougequeue de Moussier fréquente des habitats rocailleux et secs, du niveau de la mer jusqu’à 3 000 mètres d’altitude. Au Maroc, il occupe principalement les versants accidentés couverts d’une végétation arbustive et/ou de forêts claires entre 500 et 3 200 mètres d’altitude. On le trouve aussi dans les clairières de forêts de Cèdres de l’Atlas (Cedrus atlantica) et dans les steppes sèches au-dessus de la limite des arbres. Lorsque son aire de répartition atteint les régions côtières, on le rencontre principalement dans les buissons d’Arganier (Argania spinosa), bien qu’il soit également présent dans les vergers, les jardins et les vallées cultivées.
Une espèce endémique d’Afrique du Nord
Le Rougequeue de Moussier est un endémique d’Afrique du Nord : son aire de répartition couvre une grande partie des territoires du Maroc et de la Tunisie, le nord de l’Algérie le nord de l’Algérie et le nord-ouest de la Libye, où sa nidification n’a toutefois pas été prouvée. C’est un passereau majoritairement sédentaire à basse altitude et un migrateur altitudinal, les oiseaux qui se reproduisent au-dessus de 2 000 mètres d’altitude descendant vers des niveaux inférieurs en hiver. Au Maroc, les oiseaux commencent à quitter le Haut Atlas à partir de la mi-septembre, sont absents de novembre à février et reviennent entre la mi-février et le début du mois de mars.
Une espèce rare mais pas exceptionnelle en Europe du Sud
Rougequeue de Moussier (Phoenicurus moussieri) mâle de premier hiver près de Frontignan (Hérault) le 27 décembre 2024 (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Le Rougequeue de Moussier est une espèce sédentaire et endémique en Afrique du Nord, qui réalise toutefois dans une certaine mesure des mouvements postnuptiaux, principalement vers les zones côtières.
Des oiseaux ont été observés dans plusieurs pays du sud de l’Europe, dont la Grèce (au moins deux oiseaux en 1988 et en 1994), l’Italie (au moins huit oiseaux entre 1906 et 2015), Malte (au moins 21 oiseaux entre 1933 et 2012), l’Espagne (au moins cinq oiseaux entre 1985 et 2015, et plusieurs autres depuis, principalement en Andalousie), le Portugal (au moins un oiseau en 2006) et la France (deux oiseaux entre 1993 et 2013). Un mâle a par ailleurs été noté le 24 avril 1988 sur Dinas Head, à Dyfed, dans le Pays de Galles (Grande-Bretagne).
La majorité des oiseaux sont des mâles, peut-être parce qu’ils sont plus faciles à identifier que les femelles, qui ressemblent à celles du Rougequeue à front blanc et qui peuvent donc passer inaperçues.
Sur Malte, la fréquence des observations a nettement augmenté au cours de ces dernières années, la plupart des oiseaux arrivant à partir de la fin du mois d’octobre et hivernant sur place, parfois jusqu’à la fin du mois de mars. Jusqu’en 2010, il n’y avait que neuf données sur l’île, et uniquement des mâles, mais des recherches ont permis de collecter 15 autres données, dont des femelles. Entre 1933 et la fin du mois de novembre 2012, un total de 40 oiseaux a été atteint, dont 24 mâles, 18 d’entre eux ayant été notés au printemps et 22 en automne et en hiver. Depuis 2005, près de 22 observations ont été effectuées, dont la grande majorité en automne, et certains individus ont passé l’hiver sur l’île.
Un oiseau a aussi hiverné sur le Cabo de São Vicente en Algarve (Portugal) en 2006/2007 (lire Observer les oiseaux sur la péninsule de Sagres) et un autre sur l’île de Majorque, dans les Baléares (Espagne), en 2011/2012. Il est possible par ailleurs que ce passereau soit un hivernant régulier dans l’archipel italien des Pélagie (Lampedusa, Linosa et Lampione), situé non loin des côtes tunisiennes (lire Observer les oiseaux sur les îles de Lampedusa et de Linosa), mais la pression d’observation y est faible.
La découverte d’un mâle près de Frontignan (Hérault) en décembre 2024
Situation de Frontignan (Hérault). |
Lors d’un comptage effectué le 26 décembre 2024 dans le cadre du Suivi Hivernal des Oiseaux Communs (SHOC), une enquête coordonnée par la Ligue pour la Protection des Oiseaux et le Muséum National d’Histoire Naturelle et qui vise à recenser les populations hivernales d’oiseaux communs, Isabelle Cabirol et d’autres observateurs ont découvert un mâle de Rougequeue (anciennement Rubiette) de Moussier près d’un cabanon agricole non loin de Frontignan (Hérault) le 26 décembre 2024, où il était encore présent le 2 janvier 2025 au moins (lire Une première donnée française : un Chevalier de Sibérie découvert dans l’Hérault en février 2023). La présence de plumes brunes (juvéniles) sur les ailes suggère qu’il s’agit d’un oiseau de premier hiver. Selon les nombreux observateurs qui sont venus l’observer après l’annonce de sa découverte sur le site web Faune-lr.org, il est actif, assez peu farouche et reste souvent cantonné près du cabanon et d’un roncier, mais il passe facilement inaperçu quand il évolue au sol, dans les herbes hautes. Il se nourrit dans les vignes voisines.
Il s’agit a priori de la troisième donnée confirmée de cette espèce pour la France, après une femelle sur l’île d’Ouessant (Finistère) le 14 mai 1993 (source : Comité d’Homologation National) et un mâle adulte à Fraisse-sur-Agout (Hérault) le 7 mai 2013 (source : Netfugl.dk).
Comment expliquer les arrivées de Rougequeues de Moussier en Europe ?
Aires de nidification (en rouge) et d’hivernage (en bleu) du Rougequeue de Moussier (Phoenicurus moussieri) et explications possibles des observations sud-européennes et notamment maltaises : si les arrivées printanières s’expliquent sûrement par le phénomène du dépassement d’aire printanier (flèches orange), celles d’automne pourraient être dues à des vents soufflant du Sud, à un dépassement d’aire automnal (flèches marron) ou à la migration postnuptiale d’une population européenne inconnue (hypothèse avancée par Natalino Fenech et Michael Sammut). |
L’augmentation du nombre d’observations de Rougequeues de Moussier en Europe du Sud depuis les années 2000, et notamment sur l’île de Malte, qui concentre la majorité des données, pourrait en partie s’expliquer par l’accroissement du nombre d’observateurs et par l’amélioration de leurs connaissances, qui leur permettent de mieux repérer les femelles et les immatures.
Les arrivées en avril et en mai s’expliqueraient par le phénomène du dépassement d’aire printanier, au cours duquel des oiseaux méridionaux, voire désertiques, poursuivent leur trajet de retour au-delà de leur destination finale habituelle du fait de conditions météorologiques favorables (lire Comment arrivent les oiseaux rares ?) : ce serait par exemple comme cela qu’un Traquet à tête blanche (Oenanthe leucopyga) a été découvert dans le port de Palavas-les-Flots (Hérault) le 5 mai 2015 (lire À propos du Traquet à tête blanche découvert dans l’Hérault le 1er mai 2015).
Ce mécanisme ne permet toutefois pas de comprendre pourquoi une partie importante des Rougequeues de Moussier découverts en Europe du Sud est observée en automne ou en hiver. Pour l’observateur maltais Raymond Galea, ils pourraient arriver à la faveur des forts vents soufflant depuis l’Afrique du Nord à cette période de l’année : en effet, il souligne que la plupart d’entre eux ont été trouvés sur la côte ouest de son île, qui fait face à la Tunisie. Il a bagué en octobre 2011 deux oiseaux sur l’île de Comino, qui fait partie de l’archipel maltais, lors d’une journée très venteuse. Toutefois, Malte n’est pas très grande, et donc la localisation des observations ne constitue peut-être pas un élément concluant. Les îles maltaises sont néanmoins idéalement placées pour accueillir des oiseaux accidentels africains car ce sont les premières terres que ces derniers rencontrent après avoir traversé des étendues marines.
Pour les ornithologues maltais Natalino Fenech et Michael Sammut, qui soulignent que les individus arrivent essentiellement à partir de la dernière semaine d’octobre, ces mouvements correspondraient plutôt à un dépassement d’aire automnal : alors qu’ils hivernent normalement sur les côtes du Maghreb, ces oiseaux auraient poursuivi leur voyage jusqu’aux îles européennes « voisines » de Malte et des Pélagie (Italie), voire jusqu’aux côtes espagnoles et françaises.
Ils émettent même une hypothèse très audacieuse : il pourrait exister selon eux une petite population nicheuse dans le sud-est de l’Europe, quelque part en Albanie, au Monténégro, en Macédoine, en Serbie ou en Grèce, où la pression ornithologique est faible. En tout cas, selon eux, cela mériterait plus de recherches et il serait judicieux d’effectuer un suivi en posant des émetteurs et/ou des bagues pour déterminer précisément leur origine (lire Les mystérieuses observations de Rubiettes de Moussier dans le sud de l’Europe).
Sur notre page Facebook, Geoffrey Dupont nous rappelle que le port de Sète (Hérault) n’est qu’à quelques kilomètres de Frontignan et que de nombreux navires assurent la liaison avec l’Afrique du Nord : pourrait-il donc avoir traversé la Méditerranée à bord d’un bateau (lire Un Rougegorge familier a atteint l’Amazonie après avoir probablement traversé l’océan Atlantique sur un bateau) ?
Le réchauffement climatique pourrait enfin jouer un rôle dans l’augmentation des observations de ce passereau en Europe, de la même façon qu’il serait impliqué par exemple dans l’expansion du Roselin githagine (Bucanites githagineus) dans la péninsule ibérique (lire Le Roselin githagine en Espagne : un grand gagnant du réchauffement ?), et plus récemment du Bruant du Sahara (Emberiza sahari) (lire Le Bruant du Sahara a niché pour la première fois en Europe en 2023).
Une vidéo d’un Rougequeue de Moussier observé en hiver sur l’île de Malte
Rougequeue de Moussier (Phoenicurus moussieri) mâle sur l’île de Malte le 1er décembre 2008.
Source : galearay
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Compléments
Dans la rubrique Observations d’Ornithomedia.com
Rougequeue de Moussier (Phoenicurus moussieri)
Dans la galerie d’Ornithomedia.com
Rougequeue de Moussier (Phoenicurus moussieri)
Ouvrages recommandés
- A Complete Guide to the Birds of Malta de Natalino Fenech
- Le guide Ornitho de L. Svensson et al
- La France à tire-d’aile : Comprendre et observer les migrations d’oiseaux de Philippe-J Dubois (Auteur), Elise Rousseau (Auteur), Allain Bougrain Dubourg (Préface)
- Migrations de Claude Feigné (Auteur), Pierre Petit (Auteur)
Sources
- Natalino Fenech et Michael Sammut (2013). Increased numbers of wintering Moussier’s Redstarts in Malta. Volume : 106. Pages : 42-44. British Birds
- Ray P. Tipper et Kev M. Wilson (2007). Moussier’s Redstart at Cabo de São Vicente, Portugal, in November 2006-January 2007. Dutchbirding. Volume : 29. Numéro : 5. Pages : 297-301. www.dutchbirding.nl
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