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Observation d’un Engoulevent à collier roux en Camargue en avril 2024 : retour sur une espèce disparue de France
Introduction
Le sud de la France a subi depuis le XIXe siècle plusieurs disparitions d’espèces d’oiseaux nicheuses, le Traquet rieur (Oenanthe leucura) et la Pie-grièche à poitrine rose (Lanius minor) étant les plus récents. Une autre extinction moins connue est celle de l’Engoulevent à collier roux (Caprimulgus ruficollis), qui nichait peut-être autrefois en Corse, en Provence et dans le Languedoc, et en tout cas de façon certaine dans le Roussillon (Pyrénées-Orientales). Il n’est désormais plus observé que de façon occasionnelle dans l’hexagone.
L’Engoulevent à collier roux ressemble à l’Engoulevent d’Europe (C. europaeus), mais il s’en distingue principalement par son collier, sa gorge et le haut de sa poitrine ocre-roux et par son chant répété (« potoc-potoc-potoc »). Son aire de répartition actuelle comprend la péninsule ibérique et le Maghreb.
Le 27 avril 2024, un individu a été découvert par Pierre-André Crochet à proximité des bassins de décantation des Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue (Bouches-du-Rhône), où il était encore présent le 4 mai au moins. Annoncée sur les listes de diffusion Telegram « Oiseaux Rares France » et « Oiseaux Rares LR & PACA », et sur les sites web collaboratifs eBird et Ornitho.fr, cette donnée a permis à plus de 46 observateurs de voir cet oiseau.
Après une présentation générale de cette espèce, nous évoquons son statut en Espagne, et notamment dans le nord de la Catalogne, sa présence passée en France et les observations récentes dans notre pays.
Abstract
The south of France has seen several disappearances of breeding bird species since the 19th century, the Black Wheatear (Oenanthe leucura) and the Lesser Grey Shrike (Lanius minor) being the most recent. Another less known extinction is that of the Red-necked Nightjar (Caprimulgus ruficollis), which perhaps once bred in Corsica, Provence and Languedoc, and in any case certainly in Roussillon (department of the Pyrenées- Orientales). It is now only occasionally watched in France.
The Red-necked Nightjar resembles the European Nightjar (C. europaeus), but it is mainly distinguished by its ocher-red collar, throat and upper chest and by its repeated song (« potoc -potoc-potoc ») with variable volume. Its current range includes the Iberian Peninsula and the Maghreb.
On April 27, 2024, an individual was discovered by Pierre-André Crochet near the settling basins of Saintes-Maries-de-la-Mer, in Camargue (Bouches-du-Rhône), where he was still present on May 4 at least. Announced on the “Oiseaux Rares France” and “Oiseaux Rares LR & PACA” Telegram mailing lists, and on the collaborative websites eBird and Ornitho.fr, this record allowed more than 46 birders to watch this bird.
After a general presentation of this bird species, we discuss its status in Spain, and particularly in northern Catalonia, its past presence in France and recent observations in our country.
L’Engoulevent à collier roux (Caprimulgus ruficollis)
Engoulevent à collier roux (Caprimulgus ruficollis) près des bassins de décantation des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône) le 28 avril 2024 (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Longueur : 30 à 34 cm.
Envergure : 64 à 66 cm.
Description : l’Engoulevent à collier roux ressemble à l’Engoulevent d’Europe (C. europaeus), mais il est un peu plus grand, son collier, sa gorge et haut de sa poitrine sont ocre-roux, le bord d’attaque (= avant) de ses ailes n’est pas sombre, les extrémités des plumes de ses couvertures alaires sont pâles, formant plusieurs barres de même épaisseur, et ses rémiges primaires et secondaires sont marquées de roux. Les deux sexes possèdent des taches blanches sur les ailes et aux coins de la queue, celles du mâle étant plus nettes.
Voix : le chant du mâle est une série sonore de motifs (« potoc-potoc-potoc ») longuement répétés mais dont l’intensité augmente puis décroit. La femelle lance des « teché-tché-tché » évoquant un bruit de vapeur.
Écoutez ci-dessous un enregistrement du chant de l’Engoulevent à collier roux réalisé par José Carlos Sires dans la commune de Coria del Río, province de Séville, Andalousie (Espagne), le 29 juillet 2015 (source : Xeno-Canto) :
Habitats : l’Engoulevent à collier roux niche dans des paysages ouverts variés peu accidentés, aux arbres et aux arbustes dispersés et au sol souvent sablonneux (pinèdes, chênaies claires, plantations d’eucalyptus, landes, etc.) jusqu’à 800 mètres d’altitude. Il se pose volontiers le soir sur les petites routes et les sentiers chauffés durant la journée.
Biologie : l’Engoulevent à collier roux est une espèce insectivore et migratrice, active principalement au crépuscule. Il arrive dans la péninsule ibérique entre la mi-avril et la fin mai et repart principalement en septembre et en octobre. La femelle pond ses œufs (généralement deux) sur le sol nu, profitant souvent d’une petite dépression, qu’elle borde de petits morceaux de bois. La première ponte se déroule au début du mois de mai et une seconde intervient en principe aux alentours du 20 juin. Les nids sont isolés, mais des colonies lâches regroupant une dizaine de couples ont déjà été observées en Tunisie.
Aire de nidification européenne (en rouge) de l’Engoulevent à collier roux (Caprimulgus ruficollis). En orange, possible extension de l’aire de répartition au XIXe siècle. L’emplacement des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône), où un oiseau a été découvert le 27 avril 2024, est indiqué. |
Aire de répartition et taxonomie : il niche dans l’est, le centre et le sud de l’Espagne, dans l’est, le centre et le sud du Portugal et dans le nord du Maghreb et il hiverne dans l’ouest de l’Afrique tropicale (de la Mauritanie au Liberia), plus au sud que l’Engoulevent d’Europe. Les oiseaux espagnols et portugais survolent le détroit de Gibraltar lors de leur migration.
Deux sous-espèces sont reconnues :
- C. r. ruficollis dans la péninsule ibérique et localement en Afrique du Nord.
- C. r. desertorum dans le nord du Maghreb. Elle se distingue de la sous-espèce nominale par son plumage plus pâle dessus et dessous et moins fortement rayé de sombre.
Une espèce en déclin en Espagne
En Europe, l’Engoulevent à collier roux ne niche que dans la péninsule ibérique. En Espagne, qui accueille la grande majorité des couples, il est présent dans le centre, le sud et l’est du pays, remontant jusqu’à la vallée de l’Èbre. Il est rare ou totalement absent dans le nord-ouest, dans les régions montagneuses et dans les îles Baléares, et il niche occasionnellement dans les îles Canaries. Une population isolée subsiste dans le nord de la Catalogne, près de la frontière française.
Selon la Liste Rouge des espèces européennes (2020), la population espagnole serait comprise entre 202 000 et 270 000 individus, avec une tendance à la baisse. La dernière estimation réalisée en Espagne remonte à 1994 et donnait une estimation de 100 000 à 130 000 couples reproducteurs selon le troisième Atlas des oiseaux nicheurs d’Espagne). Les données fournies par le programme de surveillance Noctua ont montré une diminution de 38,6 % entre 2006 et 2018. Des études locales réalisées dans l’Espace Naturel de Doñana (Andalousie) et dans la Communauté de Madrid indiquent des taux de déclin similaires pour ces deux zones. Il est considéré comme vulnérable dans l’édition 2021 du Livre rouge des oiseaux d’Espagne.
Parmi les menaces qui pèsent sur l’espèce figurent les collisions avec les voitures, l’urbanisation, l’installation de centrales photovoltaïques et de champs d’éoliennes, l’intensification de l’agriculture (utilisation de produits phytosanitaires et d’insecticides), la pollution lumineuse (lire La pollution lumineuse empêcherait l’engoulevent de s’installer dans certains secteurs en Suisse), la destruction des nids due au brûlage des chaumes et au piétinement du bétail, et l’augmentation du nombre de prédateurs opportunistes, comme les rats et les chats.
Une population isolée et fragile près de la frontière française
En Espagne, l’Engoulevent à collier roux atteint la Catalogne au nord, mais la plupart des 7 000 à 11 000 couples reproducteurs est concentrée dans les deux tiers sud de cette communauté autonome.
Une petite population isolée est localisée dans la comarque (région) de l’Empordà (province de Gérone), qui est limitée au nord par la chaîne des Pyrénées et par le massif des Albères et au sud par le massif des Gavarres.
L’espèce y était commune à la fin du XIXe siècle, et même durant une grande partie du XXe siècle, où elle était fréquente jusqu’à la fin des années soixante-dix. Depuis, un déclin important a été constaté : il a par exemple disparu au début du XXIe siècle des vignobles proches de Llançà et du cap de Creus.
En juin 2009, une petite population (moins de dix mâles) a été trouvée dans les vignobles de la plaine de Mollet de Peralada, et elle représenterait le plus important noyau de la province de Gérone.
Il existerait également un autre secteur de nidification entre Bisbal d’Empordà et Cruïlles, où des observations plus ou moins régulières ont été faites dans les années 2010.
Cette baisse pourrait être la poursuite d’un lent processus de régression qui a déjà provoqué la disparition de l’espèce en France au XIXe siècle (voir plus bas).
La population d’Engoulevents à collier roux de la comarque de l’Empordà étant réduite, isolée et en déclin, une tendance qui est confirmée par les résultats de deux atlas des oiseaux nicheurs de Catalogne, le risque de disparition à moyen terme est élevé, une évolution qui rappelle celle du Traquet rieur (Oenanthe leucura) (lire Le Traquet rieur semble poursuivre son déclin en Catalogne, mais sa situation pourrait s’améliorer dans le futur), qui nichait en France jusqu’à la fin du XXe siècle (lire Observer les oiseaux au cap Béar, ancien domaine du Traquet rieur).
Une espèce qui nichait encore en France au XIXe siècle
L’actuelle aire de reproduction de l’Engoulevent à collier roux comprend la péninsule ibérique, à l’exception de sa partie nord-ouest, ainsi que le nord du Maghreb. Selon Voous (1960), l’espèce se reproduisait encore en Sicile en 1960.
En France, des ossements datant du Pléistocène moyen (entre – 774 000 et – 129 000 ans) ont été trouvés en Provence et en Corse, et au Mésolithique (de – 9 700 à – 5 000 av. J.-C.) dans la grotte de Gonvillars (Haute-Saône) et dans l’abri de Châteauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône). La reproduction de l’espèce en Provence pendant la seconde moitié du XIXe siècle et/ou au début du XXe siècle a été évoquée par Loverec et Vigne (in Pascal et al., 2003), même si les preuves manquent. Selon Mayaud (1936), elle se reproduisait autrefois en Languedoc et en Provence.
L’espèce nichait en tout cas au XIX siècle dans les Pyrénées-Orientales : selon Crespon (1840), elle n’était en effet pas rare vers Perpignan au cours de la première moitié du siècle. Voous, dans son atlas de 1960, évoquait (avec un point d’interrogation) sa reproduction dans la zone méditerranéenne continentale française mais selon Dubois et al. (2000), aucun indice ne permet d’envisager une possible reproduction depuis le milieu du XIXe siècle en France : elle aurait donc disparu à cette période pour des raisons non établies à ce jour.
Des observations peu nombreuses et essentiellement printanières et estivales en France depuis le XXe siècle
Engoulevent à collier roux (Caprimulgus ruficollis) près des bassins de décantation des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône) le 28 avril 2024 (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Les observations de l’Engoulevent à collier roux sont actuellement soumises au Comité d’Homologation National. Seules six mentions d’individus égarés sont attestées pour les XIXe et XXe siècles en France, dont les plus anciennes remontent à 1820 et à 1850 près de Marseille (Bouches-du-Rhône) et à 1851 à Châlons-sur-Marne (Marne). Depuis 2011, au moins sept oiseaux ont été signalés (voir notre rubrique Observations) :
- un oiseau dans les bassins de décantation des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône) du 27 avril au 4 mai 2024 au moins (lire Où observer les oiseaux en Camargue ?).
- Un possible oiseau vu et entendu à Pianottoli-Caldarello (Corse-du-Sud) le 26 juillet 2021.
- Un ou deux oiseaux, dont un photographié, à Port-Vendres (Pyrénées-Orientales) le 4 juin 2020.
- Un oiseau au mas d’Angoulême près de Vic-la-Gardiole (Hérault) le 22 avril 2019.
- Un oiseau dans les salins de Gruissan (Aude) le 17 mai 2017 (lire Découvrir les oiseaux de l’étang de l’Ayrolle (Aude) et des environs).
- Un oiseau capturé au filet sur l’île de Porquerolles (Var) le 18 avril 2016.
- Un oiseau près de l’étang de Canet-en-Roussillon (Pyrénées-Orientales) (F. Communier et Q. Giraudon) (lire Observer les oiseaux de l’étang de Canet ou de Saint-Nazaire).
Ces observations, concentrées entre avril et juillet, pourraient s’expliquer par le phénomène du dépassement d’aire (ou « overshooting ») printanier (lire Comment arrivent les oiseaux rares ?) : des espèces migratrices de retour de leurs quartiers d’hivernage d’Afrique tropicale continuent leur trajet plus au nord que la limite septentrionale de leur aire normale, parfois aidés par des vents favorables (par exemple le sirocco qui souffle du Sahara vers la Méditerranée). Les oiseaux concernés sont souvent des individus inexpérimentés, qui en sont à leur première migration de retour printanière. Ce phénomène expliquerait en partie les observations en avril-mai en Europe du Sud d’espèces originaires d’Afrique du Nord, des Balkans ou du Moyen-Orient (lire À propos du Traquet à tête blanche découvert dans l’Hérault le 1er mai 2015). Étant donné le déclin de l’Engoulevent à collier roux en Catalogne espagnole, le nombre d’observations en France demeurera sans doute faible dans le futur.
Une vidéo sur l’étude de l’Engoulevent à collier roux dans le parc national de Doñana (Espagne)
Vidéo sur l’étude de l’Engoulevent à collier roux (Caprimulgus ruficollis) dans le parc national de Doñana, en Andalousie (Espagne).
Source : El País
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Compléments
Ouvrages recommandés
- Les oiseaux rares en France de Philippe J. Dubois et Pierre Yésou
- Where to Watch Birds in Northern and Eastern Spain de Michael Rebane et Ernest Garcia (6 juin 2008)
- Where to Watch Birds in Southern Spain (Broché) de Ernest Garcia (Auteur), Andrew Paterson (Auteur)
- Ocells de Catalunya, País Valencià i Balears: Inclou també Catalunya Nord, Franja de Ponent i Andorra de Joan Estrada Bonell (Auteur), Francesc Jutglar Jutglar (Illustrations) et al
- Where to Watch Birds in Catalonia (Anglais) de Francesc Jutglar Jutglar (Illustrations), Antoni Strubel Trueta (Traduction)
Sources
- Cédric Peignot et le CHR-LR (2017). Les oiseaux rares en Languedoc-Roussillon de 2006 à 2017. Dixième rapport du Comité d’Homologation Régional du Languedoc-Roussillon. cdnfiles1.biolovision.net
- Àlex Ollé Torner (2020). Nota breu sobre la població nidificant de Siboc Caprimulgus ruficollis a l’Empordà i comarques veïnes. Birding Emporda. www.birdingemporda.com
- Carlos Alvarez-Cros (2013). El siboc (Caprimulgus ruficollis) a l’Empordà. Comitè Avifaunístic Empordanès. www.comiteempordanes.org
- CHR Langudoc-Roussillon (2011). Observations récentes. chr.lr.free.fr
- Philippe J. Dubois, Pierre Le Maréchal, Georges Olioso et Pierre Yésou (2008). Nouvel Inventaire des oiseaux de France. Delachaux & Niestlé, Paris, 560 pages.
- O. Lorvelec et J. D. Vigne (2003). L’Engoulevent à collier roux : Caprimulgus ruficollis Temminck, 1820. Pages 82-83, in Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M. Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith et P. Clergeau, coordonnateurs). Institut National de la Recherche Agronomique. Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d’Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l’Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003. inpn.mnhn.fr
- Philippe J. Dubois et Pierre Yésou (1976). Les oiseaux rares en France. Chabaud Editions.
- Ministerio para la Transición Ecológica y el Reto Demográfico. Chotacabras Cuellirrojo Caprimulgus ruficollis.www.miteco.gob.es
- SIOC (Servidor d’Informació Ornitològica de Catalunya). Siboc (Caprimulgus ruficollis). www.sioc.cat
- Guía de Aves de España. Chotacabras cuellirrojo. SEO Birdlife. seo.org
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