Le déclin du Grand Tétras dans les Vosges

Évolution démographique de la population du Grands Tétras (Tetrao urogallus) dans les Vosges

Évolution du nombre de Grands Tétras (Tetrao urogallus) dans les Vosges entre 1972 et 2020.
Source : Groupe Tétras Vosges

Le Grand tétras (Tetrao urogallus) compte douze sous-espèces, dont deux sont représentées en France : T. u. major dans les Alpes, le Jura et les Vosges, et T. u. aquitanicus dans les Pyrénées. On comptait environ 6 000 individus en 2018, dont la plus grande partie dans Pyrénées. Les populations des Cévennes et des Vosges, au bord de l’extinction, ne compteraient au mieux que quelques dizaines d’individus, et celle du Jura guère plus que 200 (lire Le Grand Tétras en France au printemps 2019 : bilan en demi-teinte et avenir sombre).
La population vosgienne est en diminution constante depuis une cinquantaine d’années : alors qu’un effectif de 1 100 coqs était estimé en 1930, il est passé sous le seuil des 500 dans les années 1980, et moins de dix mâles chanteurs ont été observés en 2020 sur l’ensemble du massif, répartis dans quatre places de chant (lire Gros plan sur le Grand Tétras). L’espèce occupait encore plus de 30 000 hectares en 1989, mais plus que 12 400 en 2015. 
Les causes du déclin dans le massif des Vosges sont multiples :

  • la modification et la fragmentation de l’habitat forestier (plantations, coupes à blanc et mécanisation).
  • Une forte densité de Cerfs élaphes (Cervus elaphus) et de Sangliers d’Europe (Sus scrofa), provoquant respectivement un broutage excessif des broussailles et des jeunes arbres et la prédation des couvées. Le Renard roux (Vulpes vulpes) et la Martre des pins (Martes martes) sont aussi des prédateurs bien présents.
  • La multiplication des infrastructures touristiques (stations de ski et routes).
  • La hausse de la fréquentation humaine (activités de plein air et autres).
  • La forte consanguinité des individus, confirmée par plusieurs études génétiques, liée au faible recrutement annuel de nouveaux individus, même si le taux de survie des adultes en place est relativement bon. La population vosgienne, isolée et réduite, subit dès lors une détérioration de sa diversité génétique, ce qui entraîne des conséquences négatives sur sa démographie (réduction de la fécondité des adultes et de la viabilité des œufs et des poussins).

Les résultats encourageants d’une étude préalable sur la faisabilité d’un renforcement de la population vosgienne de Grands Tétras

Grands Tétras (Tetrao urogallus) mâle et femelles

Grands Tétras (Tetrao urogallus) mâle et femelles dans le parc naturel régional des Ballons des Vosges. 
Photographie : A. Foltzer / Parc naturel régional des Ballons des Vosges

Depuis les années 1990, une stratégie de conservation de l’espèce dans le massif est pilotée par l’État et est animée par le parc naturel régional des Ballons des Vosges, dont le territoire est réparti sur les départements des Vosges, du Haut-Rhin, du Territoire de Belfort et de la Haute-Saône, sa gouvernance étant assurée par le comité Tétras Vosges qui rassemble tous les acteurs politiques, socio-économiques et associatifs concernés.
Dans ce cadre, plusieurs actions ont été mises en œuvre pour améliorer la qualité de son habitat. Citons par exemple la mise en place par l’Office National des Forêts depuis 1991 d’une politique sylvicole favorable sur une surface de 55 000 hectares dans l’aire de présence de l’espèce. L’habitat forestier fait également l’objet d’améliorations dans les secteurs les plus importants. Des moyens de surveillance, de médiation et de signalétique ont été mobilisés pour favoriser la quiétude dans les espaces naturels protégés. Le programme “quiétude attitude” promeut aussi les réflexes à adopter dans la nature pour préserver le calme nécessaire.
Ces actions n’ont toutefois pas été suffisantes pour enrayer le déclin de l’espèce dans les Vosges. Une étude a donc été menée en 2020 pour analyser la faisabilité d’un projet de renforcement de sa population. Ses conclusions étaient encourageantes, à condition toutefois d’amplifier les actions en faveur de l’amélioration de l’habitat forestier.
Après une consultation du comité Tétras Vosges, la Préfète des Vosges et le parc naturel régional des Ballons des Vosges ont décidé, en décembre 2021, de lancer un projet de renforcement de la population assorti d’un plan d’action dont les objectifs étaient d’améliorer les conditions d’accueil de l’espèce (qualité et quiétude de l’habitat forestier) et de sensibiliser les acteurs concernés sur le terrain.

Un projet de renforcement soutenu par plusieurs partenaires, mais des premiers avis scientifiques défavorables  

Grand Tétras (Tetrao urogallus) mâle en Finlande

Grand Tétras (Tetrao urogallus) mâle en Finlande en mai 2012 : cette espèce apprécie les hivers neigeux.
Photographie : Marc Fasol

Tous les acteurs impliqués dans la protection du Grand Tétras dans le massif des Vosges (associations de protection de la nature, sportives et cynégétiques, région Grand Est, organismes publics et parc animalier de Sainte-Croix) ont été intégrés au sein d’un comité de pilotage, d’une équipe opérationnelle (chargée de la mise en œuvre des opérations de translocation) et de groupes de travail thématiques.
Depuis 2022, le parc naturel régional des Ballons des Vosges a monté un dossier technique et administratif pour justifier sa demande d’autorisation de lâchers de Grand Tétras dans le massif. Une première version du dossier a fait l’objet d’un examen par le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN) et le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel du Grand Est (CSRPN), qui ont rendu des premiers avis défavorables, accompagnés de plusieurs observations. Sur la base de ces remarques, le projet a été enrichi et complété avec l’appui d’un groupe de scientifiques mis en place par la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) du Grand Est : il a notamment abordé et la sélection des secteurs les plus favorables pour les lâchers et l’impact du changement climatique sur le Grand Tétras et sur son habitat forestier. 
Les éléments rassemblés sur ce dernier point semblent montrer que cette espèce ne serait pas directement sensible au réchauffement d’un point de vue physiologique, mais que son milieu pourrait être modifié. Toutefois, son aire de répartition est vaste et comprend des régions méridionales, ce qui suggère une certaine capacité d’adaptation. En outre, le groupe scientifique a réalisé une analyse prospective concernant l’avenir des hêtraies et des sapinières susceptibles d’accueillir des Grands Tétras, et celles-ci ne devraient pas subir pas de dépérissements généralisés d’ici trente à quarante ans.  

Les avis mitigés des consultations locales et publiques

Dans le cadre de la procédure d’instruction de la demande d’autorisation du Parc naturel régional des
Ballons des Vosges, plusieurs consultations locales ont été réalisées, ainsi qu’une consultation publique qui s’est tenue en ligne du 4 au 24 mars 2024 et qui a recueilli près de mille contributions. 
Les avis recueillis étaient mitigés, certains acteurs estimant que cette opération de renforcement était vouée à l’échec étant donné les effets du changement climatique sur le massif et la dégradation des habitats vosgiens, tandis que d’autres pensant qu’elle devrait être tentée pour essayer de sauver l’espèce de l’extinction. Le coût de l’opération a également été critiqué.

Une autorisation de l’État à titre exploratoire pour une période de cinq ans 

L’analyse du projet et des consultations recueillies a permis de conclure qu’il y aurait davantage d’opportunités que de risques à lancer l’opération de renforcement de la population vosgienne de Grands Tétras, même si de fortes incertitudes demeurent. Par conséquent, l’État a autorisé le projet par arrêté préfectoral à titre exploratoire pour une première période de cinq ans. Il fera l’objet d’un suivi annuel par un comité de pilotage, qui pourra proposer des adaptations techniques du projet ou son abandon le cas échéant.

Trois sites potentiels pour les lâchers de Grands Tétras et le choix du Grand Ventron

Vue de la réserve naturelle du massif du Grand Ventron (Haut-Rhin/Vosges)

Vue de la réserve naturelle du massif du Grand Ventron (Haut-Rhin/Vosges) depuis le Haut de Felsach (1 161 mètres d’altitude). Le Grand Ventron (1 204 m) est visible à l’arrière-plan.
Photographie : Anthospace / Wikimedia Commons

Les sites potentiels pour les lâchers de Grands Tétras ont été choisis selon plusieurs critères (soutien des acteurs locaux, habitat favorable, quiétude suffisante et équilibre correct entre la forêt et le gibier), et trois secteurs ont été présélectionnés : les réserves naturelles du massif du Grand Ventron (1 647 hectares) et de Tanet-Gazon du Faing (505 hectares) (lire Découvrir les oiseaux des Hautes-Vosges dans les environs de Ban-sur-Meurthe-Clefcy) et la réserve biologique dirigée de Longegoutte-Géhant (298 hectares).
Le massif du Grand Ventron et celui du Tanet-Gazon du Faing sont en effet protégés réglementairement, constituent des noyaux historiques majeurs pour l’espèce, comprennent d’importantes surfaces d’habitats de bonne qualité et leur fréquentation est encadrée. Par ailleurs, les actions de gestion et les moyens mis en œuvre ont conduit à une amélioration du biotope. Des concertations locales ont enfin été menées avec les acteurs locaux pour la préparation du projet de renforcement.
Le secteur de Longegoutte-Géhant est également intéressant, car il est également protégé (réserve biologique gérée par l’ONF et réserve naturelle régionale gérée par le Conservatoire d’espaces naturels de Lorraine), mais il n’a pas encore fait l’objet d’une concertation locale.
Finalement, c’est le massif du Grand Ventron qui a été retenu pour réaliser les premiers lâchers qui ont eu lieu en avril 2024. Le dialogue territorial va toutefois se poursuivre avec les acteurs locaux du massif du Tanet-Gazon du Faing, et une concertation locale sera également organisée au cours de l’année 2024 dans la réserve de Longegoutte-Géhant. En fonction des résultats des premiers lâchers dans la réserve du Grand Ventron, le projet pourrait à l’avenir être élargi à ces deux autres secteurs.

Des Grands Tétras ont été capturés en Norvège puis relâchés dans les Vosges dès avril 2024

Grands Tétras (Tetrao urogallus) mâles

Grands Tétras (Tetrao urogallus) mâles en Norvège le 12 avril 2024.
Source : piège photographique utilisé dans le cadre du plan de renforcement

Un partenariat a été mis en place avec la Norvège, qui a autorisé la capture d’individus pour l’opération de renforcement de l’espèce dans le massif des Vosges. Ce pays possède en effet l’une des plus importantes populations mondiales de Grands Tétras (près de 200 000 oiseaux) et la chasse y est autorisée (environ 15 000 oiseaux prélevés annuellement). Le secteur pour les captures a été choisi avec l’organisme gestionnaire des forêts publiques de Norvège (Statskog), et il a été convenu que les oiseaux concernés seront décomptés du quota de chasse norvégien.
Les opérations de translocation suivent plusieurs phases qui doivent garantir la réussite des opérations tout en maximisant le “bien-être” des oiseaux. Elles sont menées par des techniciens et des vétérinaires formés et suivent des protocoles spécifiques évaluant la survie des oiseaux, les causes de mortalité, leurs déplacements et leur reproduction.

Les différentes étapes des opérations de translocation sont :

  • la capture, avec un objectif de cinquante oiseaux (mâles et femelles) prélevés par an pendant cinq ans.
  • Un examen sanitaire, avec une équipe de vétérinaires dédiée au projet qui a élaboré un plan d’évaluation et de gestion visé par les autorités. L’état de santé de chaque oiseau est examiné avant le départ et au moment du lâcher.
  • La pose de balises GPS et de bagues. Tous les oiseaux transloqués sont en effet équipés afin d’assurer un suivi rigoureux (mortalité, déplacements et reproduction), d’améliorer les connaissances sur l’espèce et de permettre une évaluation du projet.
  • Le transport, qui est pris en charge par une entreprise agréée possédant des véhicules et du matériel adaptés pour garantir les meilleures conditions de transport et une bonne gestion de la procédure administrative.
  • Les lâchers, qui sont effectués directement à l’arrivée des oiseaux dans les Vosges via un dispositif adapté pour limiter leur stress.  

Entre le 22 et le 27 avril 2024, neuf Grands Tétras (quatre poules et cinq coqs) ont été capturés en Norvège, puis transportés et lâchés avec succès dans le massif du Grand Ventron. Leur bon état de santé et leur calme leur ont permis une découverte dans de bonnes conditions de leur nouveau milieu. Grâce à leurs GPS, les données quotidiennes collectées ont montré qu’à l’issue de leurs trois premières semaines dans les Vosges, ils étaient tous vivants et qu’ils continuaient à explorer leur environnement proche. Aucun déplacement lointain ni de comportement anormal n’ont été constatés, et leur dispersion est faible pour le moment, ce qui semble confirmer la justesse du choix du secteur du Grand Ventron, qui offre a priori les ressources et les conditions nécessaires à l’espèce. Les oiseaux norvégiens semblent donc s’adapter correctement à leur nouvel habitat, mais un suivi attentif va se poursuivre.

Les mesures prises ou prévues pour accompagner les lâchers de Grands Tétras

Cerf élaphe (Cervus elaphus)

Le rétablissement d’un équilibre entre la densité de Cerfs élaphes (Cervus elaphus) et la capacité d’accueil de l’habitat forestier occupé par le Grand Tétras (Tetrao urogallus) fait partie des mesures d’accompagnement du programme de renforcement.
Photographie : Isiwal / Wikimedia Commons

Des mesures d’accompagnement du projet de renforcement de la population vosgienne de Grands Tétras ont été identifiées par le parc naturel régional des Ballons des Vosges et ses partenaires, et un plan a été élaboré. Il prévoit les mesures suivantes :

  • des moyens humains supplémentaires pour la mise en œuvre du projet, la surveillance et la médiation dans les secteurs sensibles, et la coordination des travaux d’amélioration de l’habitat.
  • Des actions d’amélioration de la quiétude des secteurs d’accueil (canalisation de la fréquentation, renforcement de la signalétique, plan de circulation et fermeture de certains accès).
  • La réalisation d’un programme de travaux d’amélioration de l’habitat forestier conduit par l’Office National des Forêts.
  • Une modification des pratiques cynégétiques par la fédération des chasseurs des Vosges (interdiction de l’agrainage sur les bans communaux dans les communes concernées par les lâchers).
  • Des projets de développement durable, comme la requalification de l’auberge du Grand Ventron en espace scientifique et de sensibilisation.

D’autres mesures sont prévues :

  • le développement d’actions de médiation et de sensibilisation autour des sites sensibles.
  • Une réduction du nombre de sentiers balisés par la Fédération du Club vosgien.
  • Une sensibilisation des chasseurs pour une évolution de leurs pratiques cynégétiques.
  • Une réflexion sur le rétablissement d’un équilibre entre la densité du gibier et l’habitat forestier sur les hautes crêtes des Vosges.
  • La mise en place d’un groupe de travail avec les acteurs socio-économiques pour intégrer les enjeux environnementaux dans leurs pratiques.
  • La pose de balises anticollision sur certaines lignes électriques et sur les câbles de remontées mécaniques.

Le coût annuel du programme de renforcement

Le coût annuel prévu de l’opération de renforcement de la population vosgienne de Grands Tétras pour 2024 et 2025 est de 580 000 euros (puis de 200 000 euros annuellement), un montant qui comprend les frais de translocation, de suivi des oiseaux relâchés (équipement GPS et mise en œuvre du suivi), de pilotage et de coordination du projet, mais aussi de sensibilisation et d’information.
Des financements sont disponibles dans le cadre du Plan National d’Actions en faveur du Grand Tétras : ils contribueront à la mise en œuvre des mesures d’accompagnement destinées à l’amélioration de l’habitat, de la quiétude, de l’équilibre forêt-gibier et de l’appropriation locale. Cette opération bénéficie aussi du soutien financier de l’État, au travers des crédits des Fonds vert et National d’Aménagement et de Développement du Territoire pour le massif vosgien, ainsi que de la région Grand Est, qui se concentre sur les actions d’amélioration de l’habitat forestier et de leur quiétude.

D’autres programmes de renforcement de Grands Tétras et de Tétras lyres en Europe

Parc naturel régional de Basse-Lusace (Allemagne)

Des Grands Tétras (Tetrao urogallus) ont été lâchés depuis 2012 dans les pinèdes du parc naturel régional de Basse-Lusace (Allemagne).
Photographie : Silvio John – Elsterwerda / Wikimedia Commons

D’autres projets de renforcement ou de réintroduction de Grands Tétras sont actuellement en cours en Pologne depuis 2002, où le bilan serait positif, et en Lusace et en Thuringe (Allemagne) depuis 2012. En Belgique, un programme de renforcement de la population de Tétras lyres (Lyrurus tetrix) dans les Hautes-Fagnes a débuté en 2017 (lire Observer le Tétras lyre depuis un podium dans les Ardennes belges). Des rencontres techniques ont eu lieu entre les autorités françaises et les contacts de ces programmes dans le cadre de la préparation du renforcement du Grand Tétras dans les Vosges.
Un voyage d’études a en particulier été organisé dans le parc naturel régional de Basse-Lusace (Niederlausitzer Heidelandschaft Nature Park) en Allemagne, et ses enseignements ont été éclairants pour le projet vosgien. La réintroduction du Grand Tétras y a débuté en 2012 à partir d’oiseaux sauvages originaires de Suède (60 par an environ) : en dix ans, 480 oiseaux ont ainsi été relâchés. Le parc comprend environ 60 000 hectares de forêts publiques et privées de Pins sylvestres (Pinus sylvestris) et de Chênes sessiles (Quercus petraea) poussant sur une plaine sablonneuse de 150 mètres d’altitude en moyenne. Les normales climatiques saisonnières y sont de 3 à 7°C plus chaudes que dans le massif vosgien, et la zone favorable au Grand Tétras couvre 16 000 hectares divisés en sept sous-massifs forestiers distincts. Des cas de reproduction ont été constatés dès la seconde année des lâchers. En 2022, la population était estimée à plus de cent oiseaux (entre 110 et 120) et 12 couvées ont été trouvées.
Par ailleurs, un partenariat technique a été initié avec les équipes du parc national de la Forêt-Noire (Nationalpark Schwarzwald), un massif comparable aux Vosges situé de l’autre côté du Rhin, et il a vocation à être développé.
L’exemple de la Strathspey National Forest en Écosse (Grande-Bretagne) est enfin intéressant : des lâchers n’y ont pas été effectués, mais plusieurs mesures ont été prises (des clôtures anti-cervidés ont été retirées et d’autres marquées pour les rendre bien visibles, les travaux forestiers ont été stoppés durant la période de nidification, et le couvert forestier a été légèrement éclairci pour permettre le développement des Myrtilles (Vaccinium myrtillus). Leurs résultats ont été positifs : alors qu’il ne restait plus que six mâles paradant en 2001, ce chiffre est passé à 43 en 2016, et l’objectif est d’atteindre à terme 200 mâles (lire Grand Tétras : la gestion « exemplaire » de la Strathspey National Forest).

Les arguments en faveur et contre le programme de renforcement de la population vosgienne de Grands Tétras

Grand Tétras (Tetrao urogallus) mâle en Finlande

Grand Tétras (Tetrao urogallus) mâle en Finlande en avril 2014. Pour les opposants aux lâchers d’oiseaux scandinaves dans les Vosges, la diminution de la couverture neigeuse dans ce massif en hiver serait un obstacle.
Photographie : Marc Fasol

Comme cela a été évoqué plus haut, il existe de réelles incertitudes concernant les chances de succès du programme de renforcement de la population vosgienne de Grands Tétras à partir d’oiseaux norvégiens, et c’est pour cette raison que l’État l’a autorisé à titre exploratoire pour une première période de cinq ans. Il fera l’objet d’un suivi annuel par un comité de pilotage qui pourra proposer des adaptations techniques du projet ou son abandon le cas échéant.
Plusieurs acteurs du monde de l’environnement (associations, scientifiques ou personnalités) le soutiennent plutôt, comme la Ligue pour la protection des Oiseaux en Alsace et Alsace Nature, tandis que le Groupe Tétras Vosges préfère rester neutre et l’accompagner au mieux. D’autres le critiquent et s’y opposent, comme les associations Vosges Nature Environnement et Oiseaux Nature ou le photographe animalier vosgien Vincent Munier. 
Voici ci-dessous une liste d’arguments en faveur du projet et les critiques émises par les opposants : 

  • les lâchers de Grands Tétras norvégiens s’accompagnent de mesures d’amélioration des conditions d’accueil (qualité de l’habitat forestier et quiétude) qui pourront profiter à d’autres espèces, comme la Gélinotte des bois (Tetrastes bonasia). Le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel a toutefois estimé qu’il fallait d’abord poursuivre et amplifier les actions déjà en cours en vue de rétablir le bon fonctionnement de l’écosystème forestier. Il a également évoqué l’augmentation constante du tourisme et des activités de plein air au sein des espaces naturels vosgiens.
  • Le rétablissement d’un équilibre entre la densité du gibier et l’habitat forestier sur les hautes crêtes des Vosges et le changement des pratiques cynégétiques (interdiction locale de l’agrainage) font partie des mesures du plan d’accompagnement du programme de renforcement, mais pour l’association Oiseaux Nature, les populations de Cerfs élaphes et de Sangliers d’Europe sont actuellement trop élevées.
  • Les premiers lâchers, qui se sont déroulés en avril 2024, ont été réalisés dans la réserve naturelle du massif du Grand Ventron, un espace protégé et surveillé, ce qui devrait faciliter la surveillance et l’acclimatation des oiseaux, et il existe d’autres secteurs présélectionnés, mais pour le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel, les surfaces des habitats favorables seraient insuffisantes.
Femelle de Grand Tétras (Tetrao urogallus) au comportement aberrant

Femelle de Grand Tétras (Tetrao urogallus) au comportement aberrant relâchée sur le mont Lozère (Lozère) en mai 2011.
Photographie : Christian Nappée

  • Plusieurs programmes de réintroduction de Grands Tétras en Europe semblent en voie de réussir, comme dans le parc naturel régional de Basse-Lusace (Allemagne) ou en Pologne, mais l’association Vosges Nature Environnement rappelle l’échec de la réintroduction du Grands Tétras dans le parc national des Cévennes (région Occitanie) (plus de 600 oiseaux lâchés entre 1978 et 2005), qui a été accompagnée d’un piégeage des prédateurs. L’espèce y est à nouveau au bord de l’extinction (lire La détresse sexuelle d’une femelle de Grand Tétras en Lozère).
  • Des concertations ont été menées entre les organisateurs du programme et les acteurs locaux et elles se poursuivent, mais selon la présidente du Groupe Tétras Jura, la démarche a été faite dans la précipitation, sans suffisamment d’ancrage local.
  • Les éléments scientifiques rassemblés semblent montrer que le Grand Tétras ne serait pas directement sensible au réchauffement d’un point de vue physiologique, et qu’il pourrait s’adapter à une modification de son habitat, son aire de répartition étant vaste et comprenant des régions méridionales. En outre, les hêtraies et les sapinières susceptibles d’accueillir l’espèce ne devraient pas subir de dépérissements généralisés d’ici trente à quarante ans. Pour Vincent Munier, l’espèce n’aurait plus sa place dans les Vosges “car il n’y a plus les hivers qu’il faut”. Pour ce photographe, il serait aberrant d’introduire des oiseaux nordiques dans le massif alors qu’on commence à y planter des arbres originaires du sud de l’Europe et que la route des Crêtes ouvre de plus en plus tôt en raison du manque de neige. Pour l’association Vosges Nature Environnement, le climat actuel vosgien serait très éloigné des conditions optimales pour l’espèce, à savoir un manteau neigeux se maintenant longtemps, ce qui n’est plus le cas depuis plusieurs années, même sur les crêtes.

En conclusion, ce programme de renforcement pourrait réussir si les mesures d’accompagnement prévues sont suffisantes et efficaces. Un premier bilan sera fait au bout de cinq ans : espérons qu’il sera positif, car ce serait alors une très bonne nouvelle pour la biodiversité dans les Vosges. 

Un reportage de France 3 Grand Est sur la réintroduction du Grand Tétras dans les Vosges 

La chaîne de télévision France 3 Grand Est avait diffusé en avril 2024 un reportage intitulé “Faut-il vraiment réintroduire le grand tétras dans les Vosges ?”.

Le reportage de France 3 Grand Est intitulé “Faut-il vraiment réintroduire le grand tétras dans les Vosges ?”.
Source : France 3 Grand Est

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