La réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn : des marais tourbeux, des landes, des forêts et un lac

Situation de la réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn (Allemagne)

Situation de la réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn (Allemagne).
Carte : Ornithomedia.com

La réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn se trouve dans la commune de Vreden, dans l’État (Land) de Rhénanie du Nord-Westphalie (Allemagne), non loin de la frontière néerlandaise. Créée en 1938 et d’une superficie de 185 hectares, elle protège un vestige des vastes marais tourbeux qui recouvraient jadis la région. 
Cette réserve protège une mosaïque de tourbières, certaines étant dégradées et d’autres en cours de restauration écologique, des landes (dans les secteurs où la tourbe a été exploitée), des forêts marécageuses dominées par les bouleaux avec un sous-bois de myrtilliers, des chênaies dans les zones plus sèches et un lac parsemé d’îles, dont la plus grande est appelée Flamingoinsel (« île aux flamants ») depuis l’installation de ces échassiers dans les années 1980. La Linaigrette à feuilles étroites (Eriophorum angustifolium), à la floraison plumeuse blanche ressemblant à du coton, occupe de vastes étendues. 
La création de cette réserve, qui résulte de différents frontaliers entre l’Allemagne et les Pays-Bas et d’incertitudes concernant le droit de propriété des terrains concernés, a permis de mettre fin à l’exploitation de la tourbe. Un programme de restauration écologique, en grande partie financé par l’Union Européenne, a été lancé il y a près d’une vingtaine d’années : le comblement des fossés de drainage a contribué à restaurer l’équilibre hydrologique de l’écosystème, mais la reformation de tourbières actives entièrement fonctionnelles demandera encore des décennies.
Les landes sont pâturées par des moutons pour empêcher leur fermeture, et des accords passés avec les exploitants des parcelles voisines ont réduit considérablement l’emploi de pesticides et de fertilisants.

Accès et points d’observation

Carte de la réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn (Allemagne)

Carte de la réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn (Allemagne) et circuit d’observation (en rouge).
Carte : Ornithomedia.com

Depuis Münster à l’est, rejoindre Vreden, puis le petit village de Zwillbrock par la route L608. La réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn est située à proximité. Avant de la découvrir, il est recommandé de se rendre dans la station biologique de Zwillbrock (Zwillbrock Biologische Station), qui propose une exposition permanente sur la faune, la flore et l’histoire des tourbières et des landes de la région (explications en allemand et en néerlandais uniquement). 
Il est interdit de pénétrer dans le périmètre protégé, mais un sentier qui en fait le tour (6 km) et trois observatoires permettent de découvrir l’avifaune dans de bonnes conditions, à pied ou en vélo. Il peut toutefois être boueux, voire même localement inondé, après de fortes pluies. Il est notamment possible d’observer la colonie de Flamants roses (Phoenicopterus roseus) et du Chili (P. chilensis) installée entre mars et août sur l’île principale du lac de la réserve, même si les distances d’observation sont souvent assez grandes (environ 300 mètres) : une longue-vue est conseillée.
Il est également recommandé de visiter la réserve naturelle voisine de l’Ellewicker Feld, composée de prairies humides et de fauche et de petits plans d’eau, située à l’est du Zwillbrocker Venn (2 km aller-retour) : un observatoire y a été installé. La Barge à queue noire (Limosa limosa), le Chevalier gambette (Tringa totanus), le Courlis cendré (Numenius arquata) et depuis peu, la Grue cendrée (Grus grus) y nichent, et le Busard des roseaux (Circus aeruginosus) y chasse. 
Un grand itinéraire de cyclotourisme, long de près de 450 km et s’étendant de part et d’autre de la frontière germano-néerlandaise, appelé la Flamingo Route, permet de découvrir plusieurs secteurs protégés de tourbières regroupés sous l’appellation de Moore und Heiden des westlichen Münsterlandes (landes et tourbières de l’ouest du Münsterland) et couvrant ensemble une superficie totale de 2 325 hectares.

Plus de 160 espèces d’oiseaux recensées

Vue du lac de la réserve de la Zwillbrocker Venn (Allemagne)

Vue du lac de la réserve de la Zwillbrocker Venn (Allemagne).
Photographie : Bernard de Wetter

Grâce à la diversité de ses habitats et à son rôle de refuge naturel dans une région où domine l’agriculture intensive, l’avifaune de la Zwillbrocker Venn est riche, avec plus de 160 espèces d’oiseaux recensées. Une importante colonie de Mouettes rieuses (Chroicocephalus ridibundus), installée depuis le début des années 1930 sur la principale île du lac de la réserve, compte entre 4 000 et 6 000 couples (elle a dépassé 15 000 couples dans les années 1980 et constituait alors la plus grande colonie allemande).Du fait de cette forte concentration d’oiseaux, les gestionnaires ont érigé un barrage à la sortie des eaux du lac pour éviter que les nutriments trop abondants ne viennent perturber le fragile écosystème des tourbières acides voisines.
La Mouette mélanocéphale (Ichthyaetus melanocephalus) se reproduit aussi, mais avec des effectifs bien plus modestes. L’Oie cendrée (Anser anser) est représentée par une vingtaine de couples reproducteurs, et l’Ouette d’Égypte (Alopochen aegyptiaca) est désormais bien installée dans la réserve.
Parmi les autres nicheurs des marais et des plans d’eau de la réserve, citons les Grèbes castagneux (Tachybaptus ruficollis) et à cou noir (Podiceps nigricollis), les Canards siffleur (Mareca penelope) et souchet (Spatula clypeata), la Sarcelle d’hiver (Anas crecca), le Tadorne de Belon (Tadorna tadorna), le Fuligule morillon (Aythya fuligula), la Foulque macroule (Fulica atra), la Gallinule poule-d’eau (Gallinula chloropus), l’Huîtrier pie (Himantopus ostralegus), le Vanneau huppé (Vanellus vanellus), le Courlis cendré, la Barge à queue noire, le Chevalier gambette, la Bécassine des marais (Gallinago gallinago), le Râle d’eau (Rallus aquaticus), le Grand Cormoran (Phalacrocorax carbo), le Héron cendré (Ardea cinerea), le Busard des roseaux et plusieurs passereaux paludicoles dont la Gorgebleue à miroir (Luscinia svecica). Les landes sont le domaine de l’Engoulevent d’Europe (Caprimulgus europaeus).
Des groupes de Grues cendrées (Grus grus) y font halte en migration (surtout en automne), et l’on constate la présence estivale de plus en plus régulière d’immatures : les premiers cas de nidification de l’espèce ont d’ailleurs été notés ces dernières années dans la réserve naturelle voisine de l’Ellewicker Feld. 

Des Flamants du Chili nicheurs depuis les années 1980

Flamants du Chili (Phoenicopterus chilensis) nicheurs

Flamants du Chili (Phoenicopterus chilensis) nicheurs sur la Flamingoinsel (« île aux flamants »), dans la réserve de la Zwillbrocker Venn (Allemagne) en juin 2006.
Photographie : Stefan Scheer / Wikimedia Commons

La Zwillbrocker Venn est avant tout connue pour ses flamants. Tout commence en 1983, lorsque douze Flamants du Chili, originaires d’un parc zoologique peu éloigné, sont apparus soudainement dans la réserve. Après quelques tentatives vaines de les capturer, ils ont fini par s’installer sur la Flamingoinsel en compagnie de milliers de Mouettes rieuses. Deux poussins sont nés la même année. En 1985, trois jeunes oiseaux ont été envoyés dans des zoos, tandis qu’un autre a été relâché. De 1983 à 1989, 13 jeunes ont été placés dans des parcs animaliers. Environ 20 adultes sont présents chaque année, et cette petite colonie est la seule population « sauvage » en dehors de l’Amérique du Sud (lire Les flamants dans les Andes : une vie déjà rude, encore compliquée par l’Homme).

L’arrivée de Flamants roses en 1986

En 1986, les Flamants du Chili ont été rejoints par six Flamants roses, peut-être venus naturellement du sud de l’Europe, et des jeunes y naissent chaque année depuis 1993. Il s’agit de la colonie la plus nordique du monde.
Cette population atteint au maximum 100 oiseaux à la fin de l’été, mais la colonie en elle-même est composée de 35 à 60 adultes entre la fin mars et le début du mois de juillet, en fonction des conditions météorologiques et du niveau d’eau. En 1987, le jeune biologiste Philipp Kerler a commencé à équiper les jeunes Flamants roses de différentes combinaisons de bagues de couleur et depuis 1991, des bagues métalliques sont également posées. Depuis 1995, des bagues rouges, du même type que celles utilisées dans les colonies méditerranéennes, sont associées à une bague métallique.

Flamants roses (Phoenicopterus roseus)

Flamants roses (Phoenicopterus roseus) dans la réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn (Allemagne).
Source :  Zwillbrock Biologische Station e.V

En 2022, le niveau du lac était très bas tôt dans l’année, mais 20 petits sont tout de même nés, dont 19 ont été bagués en juillet et 17 ont ensuite pris leur envol. Les jeunes quittent la réserve en automne et y retournent plusieurs années plus tard. 
En 1994, un Flamant des Caraïbes (Phoenicopterus ruber), probablement échappé d’un parc zoologique, a été observé pour la première fois dans la colonie. En 1995, un couple a tenté de nicher, mais sans succès. Après la disparition du mâle en 1997, la femelle s’est appariée avec un Flamant rose et un jeune hybride est né en 2001 : il a été bagué (code ZV17), mais il n’a jamais été revu depuis son départ de la Zwillbrocker Venn. En 2003, ce couple a donné un nouveau poussin marqué ZV15 ou ZV18, l’incertitude provenant du fait qu’il n’a pas été possible de le distinguer de ceux issus de couples « purs ». Des hybrides entre les Flamants roses et du Chili sont également nés.
En 2006, un Flamant nain (Phoeniconaias minor) a été signalé pour la première fois dans la colonie, et des oiseaux isolés ont été notés jusqu’en 2010 au moins.   
Ces flamants se cantonnent principalement sur la Flamingoinsel, un îlot couvert de végétation rase ou buissonnante et bordé de plages vaseuses. C’est dans ce substrat que les oiseaux construisent leurs nids, à la façon de leurs cousins des lagunes du sud de l’Europe. Ils se nourrissent, en filtrant l’eau dans le bec, de petits crustacés et d’autres invertébrés qui abondent dans les eaux riches en nutriments du lac. Ils visitent également les prairies humides voisines (Ellewicker Feld et Krosewicker Feld).
Les périodes de sécheresse estivale des dernières années ont provoqué à plusieurs reprises (notamment en 2019) des hécatombes parmi les nicheurs, le faible niveau d’eau permettant aux prédateurs (renards et fouines) d’accéder sur l’île pour y dévorer les œufs et les poussins. Pour éliminer cette menace, les gestionnaires de la réserve ont fait approfondir le fond du lac tout autour de l’île, créant ainsi un fossé infranchissable.

Des mouvements vers les Pays-Bas en automne

Flamant du Chili (Phoenicopterus chilensis)

Flamant du Chili (Phoenicopterus chilensis) bagué dans la réserve de la Zwillbrocker Venn (Allemagne) et observé dans la dans la baie du Mont-Saint-Michel (Manche) entre octobre et décembre 2022. 
Photographie : Maude Lerenard

Les Flamants roses et du Chili ne sont présents qu’entre la fin du mois de mars et le début du mois d’août dans la réserve de la Zwillbrocker Venn. Depuis 1985, ils stationnent dans quelques sites côtiers des Pays-Bas, situés à plus de 120 km, comme les lacs saumâtres ou d’eau douce de l’IJsselmeer (notamment autour du Steile Bank, un grand banc de sable), du Veluwemeer (durant l’hiver 2004-2005 au moins), du Volkerakmeer (au niveau de l’Hellegatsplaten) et du Grevelingenmeer (près du port du Battenoord), mais aussi dans le delta du Rhin, et notamment dans le parc national Oosterschelde, situé en Zélande (lire Où observer les oiseaux dans la province de Zélande ?). De petits groupes sont également observés de manière irrégulière pendant les mois d’été depuis la digue de l’IJssel, entre Zwolle et Zutphen. Ils ont aussi été observés dans les bassins de la station d’épuration de Münster.
Maude Lerenard nous signale qu’un Flamant rosé bagué né en juillet 2018 dans la réserve de la Zwillbrocker Venn a séjourné dans la baie du Mont-Saint-Michel (Manche) entre octobre et décembre 2022 (voir la photo jointe).

Fallait-il tolérer les Flamants du Chili ?

L’apparition des Flamants du Chili dans la réserve de la Zwillbrocker Venn dès les années 1980 a suscité dès le départ des réactions contradictoires, tant dans l’opinion publique que dans les cercles des scientifiques et dans les couloirs des institutions chargées de la conservation de la nature. Fallait-il tolérer la présence de cette espèce exotique, ou au contraire l’éradiquer au plus vite, comme cela a été le cas de l’Ibis sacré (Threskiornis aethiopicus) en France dans les années 2000 (lire La campagne d’extermination des Ibis sacrés français est probablement injustifiée).
Les études menées n’ont pas permis de révéler une quelconque compétition des Flamants du Chili avec des espèces autochtones, ni aucune conséquence négative sur l’environnement. L’arrivée naturelle de Flamants roses a en outre changé la donne, et tous ces oiseaux sont devenus l’attraction principale de la réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn, attirant chaque année des milliers de visiteurs.

Quelle est l’origine des flamants de la Zwillbrocker Ven ?

Flamants du Chili (Phoenicopterus chilensis) nicheurs

Flamants du Chili (Phoenicopterus chilensis) nicheurs sur la Flamingoinsel (« île aux flamants »), dans la réserve de la Zwillbrocker Venn (Allemagne) en mai 2014.
Photographie : Peter DausSch / Wikimedia Commons

Les Flamants du Chili et des Caraïbes de la Zwillbrocker Venn sont très certainement d’origine captive car ces espèces ne migrent pas naturellement vers l’Europe.
L’origine des Flamants roses est plus incertaine, mais ils pourraient tout à fait provenir des colonies du rivage méditerranéen, la plus « proche » étant celle de Camargue, sur le littoral provençal (lire Pourquoi les flamants ont-ils déserté cette année l’étang du Fangassier ?).
Cette espèce est en effet capable d’effectuer de grands déplacements, pouvant dépasser les 4 800 km, et des oiseaux isolés ou même des groupes sont parfois notés loin de leur aire de distribution normale.
Voici par exemple quelques données récentes en France en dehors de la zone méditerranéenne (voir une sélection d’observations dans notre rubrique Observations) :

  • 17 oiseaux dans les marais d’Orx (Landes) le 17 mars 2024  (28 le 26 mai 2023).
  • Trois oiseaux dans l’Espace Naturel Sensible des Olivettes à Trilbardou (Seine-et-Marne) le 11 août 2022.
  • Un oiseau sur l’étang Nouets au Veurdre (Allier) le 2 décembre 2021.
  • Neuf oiseaux dans le marais de la ferme des Loirs à l’Olonne-sur-Mer (Vendée) le 5 juillet 2019.
  • Un oiseau sur l’étang Durand à Mornand-en-Forez (Haute-Loire) le 1er octobre 2017.
  • Neuf oiseaux sur le lac de Chantecoq (Marne) le 9 septembre 2017.
  • Un oiseau aux Escardines près d’Oye-Plage (Pas-de-Calais) le 15 mai 2016.
  • Un oiseau dans l’espace Nature des Grands Vernes à Vaulx-en-Velin (Rhône) le 14 septembre 2015.
  • Un oiseau en baie de Somme le 29 décembre 2014.
  • Un oiseau à Rosières-aux-Salines (Meurthe-et-Moselle) le 2 juin 2013.
Flamants roses (Phoenicopterus roseus) et du Chili (P. chilensis)

Flamants roses (Phoenicopterus roseus) et du Chili (P. chilensis) dans la réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn (Allemagne) le 30 juin 2012.
Photographie : Frebeck / Wikimedia Commons

Durant l’été 2020, un groupe d’une dizaine de Flamants roses, accompagnés de deux Flamants du Chili, a été observé dans la réserve naturelle des Marker Wadden, près de Lelystad (Pays-Bas) : on en a conclu rapidement que ces oiseaux provenaient de la Zwillbrock Venn, jusqu’à ce que l’on constate que deux des Flamants roses avaient été bagués dans une colonie du sud de l’Espagne (lire Pour la première fois, une colonie de Flamants roses a niché avec succès en 2020 sur la lagune de Torrevieja). Cette donnée confirme l’existence d’échanges et de rencontres entre les Flamants roses « allemands » et méditerranéens.
En outre, au cours des dernières décennies, la population de cette espèce a fortement augmenté dans le bassin méditerranéen, de nouvelles colonies s’étant formées en Espagne (lire  Pour la première fois, une colonie de Flamants roses a niché avec succès en 2020 sur la lagune de Torrevieja), en Italie, en Turquie, en Afrique du Nord (lire Le Flamant rose a niché au Maroc en 2022, soit plus de 50 ans après la disparition de la dernière colonie connue) dans le delta du Danube (lire Comment expliquer l’arrivée soudaine et récente de Flamants roses dans le sud du delta du Danube) et en Crimée, située à moins de 500 km de la Roumanie (lire La Crimée : des steppes, des lagunes, des montagnes et des oiseaux). 
Il n’est donc pas impossible qu’une petite colonie se soit installée en Allemagne, stimulée par la nidification de Flamants du Chili.
Des Flamants nains isolés ont également été observés dans le Zwillbrocker Venn : ils pourraient provenir d’un parc zoologique, ou peut-être également du sud de l’Europe, où cette espèce tropicale niche désormais (lire Le Flamant nain n’est plus considéré comme une espèce rare en Espagne).

Une vidéo sur les Flamants roses et du Chili de la Zwillbrock Venn (Allemagne)

Flamants roses (Phoenicopterus roseus) et du Chili (P. hilensis) ans la réserve naturelle de la Zwillbrocker Venn (Allemagne) en 2021.
Source : Otger Rotthues

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