Le lac artificiel de Madine, qui occupe une surface de 1 100 hectares, principalement dans le  département de la Meuse, et dans une moindre mesure dans celui de la Meurthe-et-Moselle, a été mis en eau en 1971. Situé dans la plaine marécageuse de la Woëvre, une région naturelle connue pour ses nombreux étangs (lire La réserve naturelle de Lachaussée, bastion lorrain du Butor étoilé), il fait partie du parc naturel régional de Lorraine et est protégé par le Conservatoire du littoral depuis 1985. On y trouve deux îles : du Bois-Gérard et Verte.

Situation du lac de Madine (Meuse)

Situation du lac de Madine (Meuse).
Carte : Ornithomedia.com

Bien qu’apprécié pour la pratique des sports nautiques, il accueille une avifaune riche et diversifiée tout au long de l’année grâce à la création de zones de quiétude. Il est surtout intéressant en hiver, quand de grandes troupes de canards, d’oies, de grèbes, de Foulques macroules (Fulica cristata) et de Grands Cormorans (Phalacrocorax carbo) y stationnent, attirant le Pygargue à queue blanche (Haliaeetus albicilla) (lire Le Domaine de Lindre, l’étang aux aigles pêcheurs). Durant les passages, le Balbuzard pêcheur (Pandion haliaeetus), des sternes, des guifettes et des limicoles y font une halte, et la rémiz penduline (Remiz pendulinus) est rare mais régulière en avril dans les roselières. Durant la période de nidification, certaines anciennes chênaies  qui le bordent, comme celle de la Sorbière, accueillent le Gobemouche à collier (Ficedula albicilla) (lire Où chercher le Gobemouche à collier en Lorraine ?),tandis que les phragmitaies sont le domaine du Blongios nain (Ixobrychus minutus), de la Locustelle luscinioïde (Locustella luscinioides) et les Rousserolles effarvattte (Acrocephalus sciparceus) et verderolle (A. palustris) (lire Distinguer les Rousserolles effarvatte et verderolle).

Roselin cramoisi (Carpodacus erythrinus) chanteur

Roselin cramoisi (Carpodacus erythrinus) chanteur sur les rives du lac de Madine (Meuse) le 23 juin 2024 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie (retouchée) : Michel Ottaviani

Des surprises sont toujours possibles, y compris en pleine saison de nidification. Le 23 juin 2024, après avoir navigué sur le lac, Michel Ottaviani (lire Michel Ottaviani et le premier volume de la “Monographie des Fringilles”) avait décide d’explorer la digue de Marmont, située près du village de Nonsard, à l’est du lac, pour y observer les limicoles et les autres oiseaux aquatiques. Un chant inhabituel a alors attiré son attention : après quelques minutes, il a aperçu un passereau à la couronne et à la poitrine rouges perché dans une cornée bordée d’une riche végétation lacustre composée de plantes herbacées, de phragmites, d’arbres et d’arbustes lacustres. Après avoir rapidement éliminé la Linotte mélodieuse (Linaria cannabina), au plumage superficiellement similaire, il a identifié un Roselin cramoisi (Carpodacus erythinus) mâle.

Il lançait à gorge déployée son chant, composé de strophes assez courtes de quatre à cinq notes aiguës  (« ti-tiou-ti-tiou »). Afin de stimuler son activité vocale et éviter qu’il ne s’éloigne, il a diffusé quelques instants un enregistrement du chant de l’espèce avec son téléphone portable (lire La repasse et les oiseaux : utilisation, avantages, risques et conseils). Il a tout de même fini par s’envoler, il s’est perché environ trente mètres plus loin sur un rameau de saule, muet et sur le qui-vive, puis il a disparu dans la végétation. Aucune femelle n’a été observée dans les environs. Les autres espèces présentes étaient un Pinson des arbres (Fringilla coelebs) chantant dans un grand saule voisin, des Bergeronnettes grises (Motacilla alba) posées sur des rochers en bordure de lac et divers oiseaux, comme la Foulque macroule, évoluant sur l’eau. Michel Ottaviani est retourné sur place le lendemain et le surlendemain, mais il n’a pas revu le passereau. Cinq jours plus tard, il semble avoir entendu un chant similaire dans des épicéas à environ 500 mètres du site d’observation, mais sans confirmation.

Habitat du Roselin cramoisi (Carpodacus erythrinus)

Vue de l’habitat où un Roselin cramoisi (Carpodacus erythrinus) chanteur a été observé sur les rives du lac de Madine (Meuse) le 23 juin 2024 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Michel Ottaviani

Il a ensuite contacté des membres de la Ligue pour la Protection des Oiseaux et du Centre Ornithologique Lorrain) et il a effectué des recherches sur Internet et dans des revues (Alauda et Ornithos) pour en savoir plus sur le statut de cette espèce dans le Grand Est : elle a déjà été observée en Alsace, en Franche-Comté et en Lorraine (Vosges), mais apparemment pas dans la Meuse. Son observation est actuellement en cours d’homologation auprès de Faune-France et devrait être validée, étant donné la qualité des photos prises (présentées dans cet article).

Le Roselin cramoisi niche de l’Europe centrale et du Nord à la Sibérie orientale et au sud de la Chine. C’est un migrateur rare en France, où il est principalement observé en automne (septembre et octobre) le long du littoral atlantique, par exemple sur l’île d’Ouessant dans le Finistère (lire Jean-Philippe Siblet et les oiseaux d’Ouessant). Depuis le début des années 1990, il se reproduit aussi de façon irrégulière, la France constituant l’extrémité occidentale de son aire de reproduction. Malgré la tendance à l’expansion de l’espèce vers l’Ouest (lire Le Roselin cramoisi en Europe : une expansion à vitesse variable), avec par exemple l’établissement de petites populations stables dans les Alpes bavaroises et sur les îles néerlandaises de la Frise, elle n’est pas encore établie dans l’hexagone, où le nombre de chanteurs notés chaque année est faible, variant entre trois et dix entre 2016 et 2022.

Cette observation remarquable et fortuite suggère que le nombre de chanteurs de Roselins cramoisis présents en France au printemps est peut-être sous-estimé, certains restant probablement inaperçus.  

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