Brèves
Observation d’un Pouillot fitis au chant aberrant près d’Abbeville (Somme) en juin 2024
Le Pouillot fitis (Phylloscopus trochilus) est un petit passereau vif et remuant, verdâtre dessus et blanc-jaune dessous. C’est un petit oiseau migrateur, commun dans les parcs et les forêts d’Europe de l’Ouest et du Nord au printemps et en été (lire Identifier les oiseaux des jardins et des parcs au printemps et en été), et son chant mélodieux, agréable et typique agrémente les ballades à la belle saison. Il ressemble étroitement au Pouillot véloce (P. collybita), mais le chant de ce dernier est bien distinct (lire Comment distinguer les Pouillots fitis et véloce ?). Son aire de répartition est vaste, allant de l’Irlande aux confins du Kamtchatka (Russie), à travers toute la Sibérie.
Migrateur transsaharien, il passe l’hiver en Afrique subsaharienne jusqu’en Afrique du Sud. Trois sous-espèces sont reconnues : P. t. trochilus (nominale) nicheuse de l’Europe de l’Ouest et centrale aux Balkans. P. t. acredula (nordique) nicheuse du centre et du nord de la Scandinavie à l’ouest de la Sibérie, et P. t. yakutensis nicheuse dans le centre et l’est de la Sibérie (lire Découverte d’une population hybride de Pouillots fitis dans l’archipel finno-suédois d’Åland).
Situation d’Abbeville (Somme). |
Le 27 juin 2024, alors qu’ils se promenaient sur la traverse (sentier) du Ponthieu, près d’Abbeville (Somme), Noé Ferrari et Marilou Morat ont été surpris d’entendre un chant « hybride », un parfait mélange entre le « chiff-chaff » familier du Pouillot véloce et la cascade descendante typique du Pouillot fitis, évoquant ainsi vaguement le chant du Pouillot ibérique (Phylloscopus ibericus) qui avait été observé au début du mois juin 2024 dans la basse vallée de la Somme (lire Comment identifier le Pouillot ibérique ?).
Malgré cette structure générale « mixte », le motif « chiff-chaff-chiff » du chant de cet oiseau était plus rapide et sa tonalité plus haute que dans un chant typique de Pouillot véloce, comme le montre le sonogramme de la figure 1.
Ce chanteur était très actif et était facile à observer, même sans jumelles, dans le feuillage des noisetiers. Sa silhouette était fine et son plumage assez peu contrasté, sans détails particuliers.
Grâce à son smartphone, Noé Ferrari a pu faire un enregistrement audio. Écoutez ci-dessous un enregistrement du chant aberrant d’un Pouillot fitis près d’Abbeville (Somme) le 27 juin 2024 (source : Noé Ferrari) :
Une fois devant son ordinateur, il a consulté le site web Xeno-canto afin de comparer les chants des différentes sous-espèces des Pouillots fitis et véloce, sans rien de trouver de probant, exceptés quelques cas supposés d’hybridation entre ces deux passereaux.
Grâce à Thierry Rigaux, relayant une information de Stanislas Wroza (lire Stanislas Wroza : l’approche sonore pour étudier et identifier les oiseaux), Noé a découvert qu’il existait deux hypothèses pouvant expliquer ces cas d’oiseaux au chant mixte, la première étant qu’il s’agirait d’un individu hybride. Toutefois, pour la confirmer, il faudrait disposer d’une photographie assez précise des rémiges primaires afin de déterminer sa formule alaire, un outil d’identification correspondant à une description précise des mensurations de l’aile légèrement étendue. Combinée avec le chant, elle permettrait de vérifier si cet individu est issu d’un croisement.
Selon la seconde hypothèse, certains Pouillots fitis chanteurs auraient un chant « aberrant » (« aberrant song » en anglais), et plusieurs cas ont été notés en Europe, par exemple en France, au Royaume-Uni, en Irlande et en Suède : Rémi Hanotel, ornithologue et gestionnaire de la réserve naturelle régionale des étangs de Belval-en-Argonne (Marne) (lire Les étangs de Belval, des joyaux ornithologiques de l’Argonne), a ainsi indiqué avoir déjà remarqué ce comportement vocal.
Il faut distinguer la notion de chant mixte de celle du changement de chant : dans le premier cas, il s’agit d’un mélange étroit et complexe des chants de deux espèces, tandis que le second résulte du passage (permutation) d’un chant à un autre au cours de la même phrase. Selon Bentsz et al., un changement de chant chez le Pouillot fitis serait causé par la présence de potentiels concurrents territoriaux, qu’ils appartiennent à la même espèce ou qu’il s’agisse de Pouillots véloces.
Un chant mixte cohérent, c’est-à-dire un réarrangement fin de notes individuelles issues des chants des deux espèces, ne serait pas le résultat d’une imitation, mais pourrait constituer un indice d’hybridation. Pour compliquer les choses, un même individu peut combiner un changement de chant et un chant mixte. Pour expliquer l’incorporation de motifs du chant de Pouillot véloce chez un Pouillot fitis apparemment pur, Lawn (2018) avait évoqué une « convergence des caractères » (des chants dans ce cas) pouvant résulter de changements dans les populations et dans les habitats : dans les secteurs où les deux espèces cohabitent, comme à l’interface entre les boisements et les zones ouvertes, des Pouillots fitis imiteraient le chant du Pouillot véloce pour tenter de les concurrencer.
Pouillot fitis (Phylloscopus trochilus) au chant aberrant Hardanges-en-Mayenne (Mayenne) le 5 juin 2024. |
Selon Helb et al., l’existence de chants aberrants chez le Pouillot fitis résulterait de l’absence de contacts avec des adultes « modèles » au chant typique pendant la phase d’apprentissage juvénile.
Concernant le pouillot noté près d’Abbeville en juin 2024, on assiste probablement à un cas de changement de chant, la première partie rappelant le « chiff-chaff » de P. collybita, tandis que la suite ressemble à la cascade descendante de P. trochilus : il s’agirait d’un Pouillot fitis pur imitant un Pouillot véloce, un comportant pouvant peut-être s’expliquer par les changements progressifs que connaît l’habitat depuis quelques années, comme l’artificialisation des surfaces agraires ou l’accroissement des milieux forestiers au profit de zones ouvertes.
En conclusion, pour tenter d’identifier un hybride entre les Pouillots fitis et véloce, il convient de combiner l’étude du chant et les critères de structure (formule alaire et silhouette) et de plumage. Par défaut, il sera préférable de le considérer comme un individu pur appartenant à l’une ou l’autre espèce.
Noé Ferrari tient à remercier Antoine Griboval, Bruno Tailliez et Lucien Gues pour la relecture de cet article, ainsi que Rémi Hanotel et Marilou Morat pour leurs avis.
Julien Souriou et son fils Robin ont également photographié (voir photo ci-contre) et enregistré le 5 juin 2024 un Pouillot fitis au chant aberrant à Hardanges-en-Mayenne (Mayenne). Vous pouvez écouter son chant ci-dessous.
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Compléments
Auteur
Noé Ferrari
Dans la galerie de photos d’Ornithomedia.com
Ouvrages recommandés
- Warblers of Europe, Asia and North Africa de Kevin Baker
- The Chiffchaff (Hamlyn Species Guides) de Peter Clement et Norman Arlott
- Guide ornitho de Lars Svensson et Killian Mullarney
- Le Guide expert de l’ornitho: pour éviter les pièges de l’identification d’Alan Harris, Laurel Tucker et Keith Vinicombe
Sources
- Killian Mullarney, Lars Svensson et Dan Zetterström (2023). Pouillot fitis. Delachaux et Niestlé
- Alan Harris, Laurel Tucker et Keith Vinicombe (2020). Le Guide expert de l’ornitho : pour éviter les pièges de l’identification. Pouillot fitis. Delachaux et Niestlé
- Mike Law (2018). Interspecific territoriality by mixed-singing and song-switching Willow Warblers: a possible case of character convergence. British Birds. Volume : 111. Numéro : 6. Pages : 339–348. britishbirds.co.uk
- A. R. Dean (2017). Song switching and mixing in Willow warbler and Common chiffchaff – Willow Warblers, « mixed singers », West Midlands. Denear. deanar.org.uk
- Peter Clement et Norman Arlott (1995). The Chiffchaff. Hamelyn species guides.
- Xeno-Canto. Phylloscopus trochilus type : »aberrant »‘- Page 1. xeno-canto.org
- Migraction. Pouillot fitis. www.migraction.net
4 commentaire(s) sur ce sujet
Participer à la discussion !ybrouillard
Bar sur Seine
Posté le 29 juillet 2024
Même chant mixte, début Véloce-fin Fitis, entendu ce printemps au Bec d’Allier-58
Oiseau un temps pris pour un Ibérique, mais le plumage est de type Fitis (quoique les pattes semblent un peu sombres et la projection primaire potentiellement un peu courte…).
Hybride ? Fitis devant faire face à une concurrence accrue de Véloces dans un milieu en fermeture, dans un contexte de régression de ses congénères fitis ?
Quoi qu’il en soit, je pense qu’il faut réviser les données validées de P. ibériques dans le N de la France…
David
sevran
Posté le 29 juillet 2024
Bonjour, merci, c’est en effet un point intéressant : est-ce la compétition entre les deux espèces qui explique ces oiseaux au chant mixte ?
uyoqag8to
CRETEIL
Posté le 15 juillet 2024
Je ne connais strictement rien à l’ornithologie — hormis le nourrissage intermittent des mésanges qui fréquentent mon balcon — mais cet article m’évoque étrangement un ouvrage de la poétesse finlandaise Héléna Sinervo titré « Les chants de la mauvaise espèce » et qui en exergue propose ce texte de Jonathan Weiner tiré de l’ouvrage « Les oiseaux de Darwin. »
Je cite :
« Les oiseaux qui ont appris à chanter faux sont dignes d’intérêt, parce qu’ils prouvent qu’ils ont non pas une, mais deux identités différentes. » écrit Peter Grant. C’est là une façon pour les pinsons de Darwin de se croiser et produire des hybrides. Les mâles rompus aux chants faux appris se trouvent en butte aux mâles porteurs du même chant — c’est à dire aux mâles de la mauvaise espèce. Quand ils s’apparient, c’est le plus souvent avec une femelle de la mauvaise sorte. (Fin de citation)
Je suppose que les « chants faux appris » rapportés dans cet exergue sont cousins des « chants aberrants » de l’article publié dans votre revue. A défaut, vous aurez eu le plaisir de faire connaissance avec une poétesse de langue finnoise.
David
sevran
Posté le 15 juillet 2024
Bonsoir, merci beaucoup pour ces informations !