Le Grèbe microptère (Rollandia microptera) mesure de 28 à 45 cm de long. En période nuptiale, l’adulte a le dessus brun-noir, le menton, la gorge et le front sont blancs, les côtés du cou et la nuque sont roux. Une petite crête est visible quand l’oiseau est excité. Le bec est jaunâtre. L’adulte non nicheur est plus pâle, plus terne et sans crête. Le juvénile est plus gris, avec une tête striée de sombre et le blanc de la gorge s’étend sur la poitrine.
Comme son nom l’indique, il a une particularité : ses ailes sont trop petites pour lui permettre de voler.

Situation du lac Titicaca (Pérou-Bolivie)

Situation du lac Titicaca (Pérou-Bolivie).
Carte : Ornithomedia.com

Il niche dans la végétation aquatique de quelques lacs de l’altiplano andin au Pérou et en Bolivie, des lagunes Arapa et Umayo aux lacs Uru-uru et Poopó, en passant par le lac Titicaca, qui constitue son bastion. Il recherche les massifs de Scirpes totoras (Schoenoplectus totora), de hautes plantes aquatiques aux inflorescences brunes sont peu voyantes, au sein desquels il niche, par exemple dans la baie de Puno et autour des îles Uros (lire Observer les oiseaux du lac Titicaca). Il utilise aussi les radeaux de myriophylles (Myriophyllum spp.).

Il s’agit d’une espèce rare et en danger, à cause principalement des filets de pêche dans lesquels il se retrouve prisonnier et de la baisse des ressources halieutiques causée par la surpêche, la pollution et l’introduction de salmonidés et de l’Athérine d’Argentine (Odontesthes bonariensis), un poisson originaire du Río de la Plata. Sa population totale avait ainsi été estimée à 1 600 adultes en 2006, tandis que pour Birdlife International (2024), elle serait comprise entre 250 et 999 oiseaux.

Dans un article publié en 2024 dans le Journal of Wildlife Management, des biologistes ont présenté les résultats de comptages effectués entre mars et août 2022 dans les parties boliviennes et péruviennes du lac Titicaca, depuis les berges et en suivant des transects (lignes imaginaires) à travers le plan d’eau. Ils se sont concentrés dans les zones où des populations de grèbes étaient connues. 

Ils ont utilisé un modèle d’entropie maximum pour évaluer les surfaces d’habitat favorable en limitant les biais géographique potentiels de la présence du Grèbe microptère , ainsi qu’un modèle d’occupation permettent d’estimer la présence de cette espèce tout en tenant compte des risques de détection imparfaite liée à sa répartition inégale sur le lac. Plusieurs covariables environnementales ont été prises en compte pour affiner ces modèles, comme la surface totale des massifs de Scirpes totoras, la profondeur du lac et la distribution des pêcheries. La méthode du seuil de présence le plus bas a servi à élaborer une carte d’abondance des grèbes, en conservant une approche prudente. Ils ont évaluer la taille de la population de cette espèce en multipliant la surface potentielle d’habitat favorable par la densité de population moyenne connue, qui avait été estimée 6,1 individus/km² par Martinez et al. (2006), et qui a été combinée avec celle obtenue par leurs propres comptages sur le terrain. 

Les auteurs ont observé 6 118 grèbes depuis 36 points de comptage et le long de 115 transects, l’intensité de la pêche constituant le principal facteur limitant. Ils ont estimé que la surface de l’habitat potentiellement favorable couvrait 3 747 km² et qu’il y avait 22 856 Grèbes microptères (7 722 – 38 033). Selon leur modèle d’occupation, la surface d’habitat potentiellement favorable couvrirait 4 072 km² (avec un seuil de probabilité de présence de 50 %), et la population serait de 43 488 oiseaux (26 324 – 60 667) sur la base des densités estimées par les auteurs, et de 24 839 oiseaux (8 391 – 41 332) sur celle estimée par Martinez et al. En tenant compte des surfaces les moins propices où l’espèce a été observée, ils proposent une estimation de 44 664 grèbes (27 035–62 306) sur la base de leurs estimations de densité et de 25 510 individus (8 618 _ 42 449) en utilisant la densité de Martinez et al.  

Massifs de Scirpes totoras (Schoenoplectus totora)

Massifs de Scirpes totoras (Schoenoplectus totora) dans la partie péruvienne du lac Titicaca (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Bobistraveling / Wikimedia Commons

Ces estimations sont donc bien supérieures à celles précédentes disponibles, comme celle de BirdLife International, qui considérait qu’il restait moins de mille individus dans le monde, et même celle de Villar et al. (2023), basée sur la surface de l’habitat de reproduction disponible, qui était comprise entre 5 000 et 10 000 individus. Le chiffre trouvé par les auteurs se rapproche des estimations obtenues  il y a quarante ans. Comme il n’y a pas eu de comptages sur le terrain au cours des deux dernières décennies, il est difficile de déterminer la cause exacte de cette augmentation apparente, qui pourrait être due à un accroissement des surfaces d’habitat favorable et/ou à une diminution des captures accidentelles dans les filets de pêche, liées à la baisse du nombre de pêcheurs, le tourisme ayant pris le relais comme principale activité économique, ainsi qu’au développement des piscicultures. La création de la réserve nationale du Titicaca a également eu des effets positifs sur la conservation de l’espèce, en lui servant  de refuge.

Même si la population du lac Titicaca semble en meilleure santé qu’on ne le pensait, on ne connaît pas bien l’état de celles sur les autres sites connus : l’espèce aurait ainsi disparu du lac Poopó et de la rivière Laka Jahuira, qui se sont asséchés à cause de la baisse des précipitations moyennes sur l’Altiplano depuis 2022 : des recherches supplémentaires seraient donc nécessaires pour évaluer la présence du grèbe sur les petits lacs et le long des rivières périphériques.

Les auteurs ne recommandent pas de modifier le statut de conservation de l’espèce car elle est sujette à des fluctuations importantes, son aire de répartition est restreinte et son habitat est menacé par la succession des épisodes de sécheresse. 

Si la situation du Grèbe microptère semble plus favorable qu’on ne le craignait, ce n’est pas le cas de deux autres représentants sud-américains de la famille des Podicipedidés : le nombre de Grèbes de Taczanowski (Podiceps taczanowskii) est ainsi passé de plusieurs dizaines de milliers d’individus sur le lac Junin (Pérou) dans les années 1930 à seulement quelques centaines dans les années 2010, tandis que des études menées sur le Grèbe mitré (P. gallardoi) en Patagonie ont montré que ses effectifs avaient baissé de plus de 80 % au cours des 25 dernières années. Pour ces deux espèces, les principales menaces sont la mortalité due aux prises accessoires des pêcheries, l’introduction de salmonidés invasifs, la pollution due à l’exploitation minière et le changement climatique. Il serait donc intéressant de comprendre comment la population de Grèbes microptères du lac Titicaca a réussi à se rétablir après avoir atteint un creux au début des années 2000, alors que les autres espèces de grèbes ont continué à décliner.

Grèbe microptère (Rollandia microptera) dans la partie bolivienne du lac Titicaca. 
Source : Bird Holidays

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