De nombreuses espèces de passereaux qui nichent en Europe traversent le Sahara pour rejoindre leurs quartiers d’hivernage africains : c’est par exemple le cas de la Pie-grièche à tête rousse (Lanius senator), qui se reproduit dans le sud de l’Europe et en Afrique du Nord et qui hiverne au sud du plus grand désert du monde.

Pour effectuer ce trajet éprouvant, ces oiseaux doivent accumuler de l’énergie et des réserves avant leur départ, et faire des haltes sur leur parcours pour boire et reprendre de forces. Leur régime alimentaire durant leur migration est assez mal connu, du fait notamment que les données collectées se basent souvent uniquement des observations ponctuelles et sur des études de contenu stomachal. Les analyses moléculaires modernes, en particulier le métabarcodage alimentaire, qui consiste à analyser les séquences d’ADN trouvées dans les échantillons fécaux, peuvent fournir un outil puissant pour connaître les proies consommées  sans avoir besoin de multiplier les observations sur le terrain.

Situation de l'oasis de Yasmina (Maroc)

Situation de l’oasis de Yasmina (Maroc).
Carte : Ornithomedia.com

Dans un article publié en 2024 dans la revue Ostrich, des biologistes ont présenté les résultats d’une analyse du régime alimentaire en mars et en avril 2023 du régime alimentaire de trois Pies-grièches à tête rousse dans l’oasis de Yasmina, au nord de la ville de Merzouga, à la limite nord du Sahara (lire Séjour ornithologique au Maroc du 1er au 9 avril 2005 : deuxième partie), un secteur où une activité de baguage est menée depuis 2008. Des échantillons de fèces de ces individus capturés dans filets ont été collectés puis mis dans des tubes de verre contenant une solution de 2 ml contenant 2 % de dodécylsulfate de sodium, un réactif dégradant les cellules (= lyse). Ces tubes ont été conservés à température ambiante sur le terrain, puis congelés et analysés en Suisse. L’ADN a été extrait et séquencé, et 399 Unités Taxonomiques Opérationnelles (= espèces de proies) ont été identifiées, dont la tique Hyalomma dromedarii, qui parasite notamment les Dromadaires (Camelus dromedarius), et qui était présente dans les déjections des trois pies-grièches, et qui représentait plus de 50 % du total de l’ADN des proies ! Par ailleurs, du matériel génétique de dromadaire a aussi été trouvé dans l’un des échantillons.

Ces analyses montrent donc que les Pies-grièches à tête rousse consomment les tiques parasitant les dromadaires lors de leur halte migratoire printanière  dans l’oasis de Yasmina, ce qui corrobore les observations anecdotique de tiques consommées par ces oiseaux ou empalées.

C’est a priori la première fois que ce comportement alimentaire a été noté au sein du genre Lanius. D’autres espèces d’oiseaux sont connues pour manger occasionnellement des tiques, comme le Héron gardeboeufs (Bubulcus ibis), la Pintade de Numidie (Numida meleagris), le Vanneau couronné (Vanellus coronatus), le Rollier à longs brins (Coracias caudatus) , le Mésangeai du Canada (Perisoreus canadensis) et le Corbeau familier (Corvus splendens) (voir la vidéo ci-dessous), tandis que chez les Pique-bœufs à bec jaune (Buphagus africanus) et à bec rouge (B. erythrorynchus), elles représentent une part importante du régime alimentaire (lire Nombre record de pique-bœufs comptés sur un mammifère).

Les tiques contiennent peu de matières grasses, mais elles ont une teneur élevée en protéines (plus de 95 %, contre 67 % en moyenne pour les insectes), qui sont utiles dans les environnements arides car elles aident à la libération de l’eau pendant le métabolisme, ce qui atténue le stress hydrique.

Des observations effectuées dans l’oasis de Yasmina ont montré que les tiques entièrement gorgées de sang qui tombent des dromadaires se déplacent très lentement dans le sable, à la recherche d’un endroit où pondre leurs œufs, ce qui les rend faciles à voir et à capturer. Les bagueurs d’oiseaux ont parfois observé des Pies-grièches à tête rousse avec du sang séché sur leurs pattes, qui pourrait provenir de ces invertébrés.

Corbeaux familiers (Corvus splendens) prélevant des tiques sur des Dromadaires (Camelus dromedarius).
Source : Camel Lover

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