Certaines espèces d’oiseaux sont sujettes, de manière périodique, à des mouvements de grande ampleur, impliquant des dizaines de milliers d’individus, d’ordinaire plutôt sédentaires ou migrant sur de courtes distances. Ces irruptions seraient principalement liées à une raréfaction des ressources alimentaires dans leurs régions habituelles d’hivernage, même si cette relation est plus complexe qu’on ne le pensait (lire Les irruptions de Jaseurs boréaux ne seraient pas liées à une faible fructification des Sorbiers des oiseleurs en Scandinavie).

En Europe, on observe alors certains automnes, notamment depuis les sites de suivi de la migration, des effectifs très largement supérieurs (plusieurs dizaines ou centaines de fois) à ceux habituellement signalés pour certains passereaux, comme le Geai des chênes (Garrulus glandarius), les becs-croisés (lire Irruption de Becs-croisés bifasciés sur les îles écossaises en juillet 2019) ou le Tarin des aulnes (Spinus spinus) (lire Importants mouvements migratoires de Tarins des aulnes en octobre 2019), ainsi que parfois des espèces moins connues comme le Durbec des sapins (Pinicola enucleator) (lire Afflux de Durbecs des sapins dans le sud de la Scandinavie depuis le mois d’octobre 2021).

En Amérique du Nord, ces irruptions concernent surtout des passereaux de la taïga ou montagnards, comme la Sittelle à poitrine rousse (Sitta canadensis), le Jaseur d’Amérique (Bombycilla cedrorum), le Gros-bec errant (Hesperiphona vespertina), le Roselin pourpré (Haemorhous purpureus) ou la Grive à collier (Ixoreus naevius), qui doivent s’adapter aux variations de la fructification des conifères et de certains arbres caduques en parcourant parfois de grandes distances.

Aire de répartition du Gros-bec errant

Aire de répartition du Gros-bec errant (Hesperiphona vespertina) (en violet, la zone de nidification et en bleu, la zone d’hivernage). Zone violet sombre et flèches rouges : zone de départ et directions de l’irruption de l’automne 2022.
Carte : Ornithomedia.com

Le Finch Research Network est une association fondée par plusieurs biologistes dédiée l’étude de certains fringilles et de leurs habitats, qui publie chaque automne une anticipation des irruptions de certains passereaux de la forêt boréale dans le sud du Canada et dans le nord des États-Unis, appelé l’Annual Winter Finch Forecast, en se basant principalement sur le taux de fructification de plusieurs essences de la taïga, ainsi que sur son niveau d’infestation par certains insectes, comme la chenille de la Tordeuse des bourgeons de l’épinette (Choristoneura fumiferana). Ces prévisions, rédigées par Tyler Hoar, qui se sont souvent révélées justes (lire’L’irruption prévue de Gros-becs errants en Amérique du Nord durant l’automne 2022 a bien eu lieu), sont populaires parmi les observateurs américains.

Les prévisions pour l’hiver 2024-2024 ont été publiées en octobre 2024 sur le site web du Finch Research Network, et selon celles-ci, il ne devrait pas y avoir d’irruptions majeures de passereaux de la taïga.

Selon Tyler Hoar, les Durbecs des sapins devraient majoritairement rester dans la forêt boréale, et seule une petite partie devrait atteindre leur hivernage traditionnelle dans l’ouest et le sud-est du Canada et dans le nord-est des États-Unis. Les régions autour du lac Supérieur, et particulièrement du nord du Minnesota (lire Le Sax-Zim bog, un bout de taïga aux États-Unis), pourraient toutefois connaître des arrivées plus importantes car la fructification dans la taïga du nord-ouest de l’Ontario a été assez faible. 

Classiquement, les Roselins pourprés devraient visiter cet hiver le nord des États-Unis, des mouvements importants ayant déjà été observés en automne depuis le Hawk Ridge Hawk Watch près de Duluth, dans le Minnesota, ainsi que dans l’État de New York. Il ne devrait néanmoins pas y avoir d’arrivées majeures dans les Grandes Plaines et dans le sud des États-Unis. 

Les Sizerins flammés (Acanthis flammea) se nourrissent principalement de graines de bouleaux et d’aulnes en dehors de la saison de nidification, or leur fructification a été globalement assez bonne dans la forêt boréale, ce qui ne devrait pas inciter ces passereaux à aller au sud de leur aire d’hivernage habituelle.

Tarin des pins (Spinus pinus) et Bec-croisé bifascié (Loxia leucoptera) width=

Tarin des pins (Spinus pinus) et Bec-croisé bifascié (Loxia leucoptera) en hiver à Saint-Louis, dans le Missouri (États-Unis) le 12 décembre 2012.
Photographie : Andy Reago et Chrissy McClarren / Wikimedia Commons

Les Tarins des pins (Spinus pinus) devraient également rester cet hiver dans la forêt boréale. Toutefois, dans certains secteurs du Manitoba (Canada) et plus à l’est, qui ont été touchés par les infestations de Tordeuses des bourgeons de l’épinette, la production de cônes a été faible et leurs populations se déplaceront, principalement vers l’Est ou vers l’Ouest, mais une petite partie volera dès cet automne vers le sud et vers l’est des États-Unis.

Les Becs-croisés bifasciés (Loxia leucoptera) devraient également passer l’hiver dans la forêt boréale, la fructification de l’Épinette blanche (Picea glauca) et d’autres conifères ayant été plutôt bonne. Toutefois, en cas de vagues de froid, des groupes pourraient se déplacer vers le Sud.

Enfin, contrairement à ce qu’ l’on a constaté durant l’automne 2022, il ne devrait pas y avoir cette année d’irruption majeure de Gros-becs errants en Amérique du Nord, la production de graines d’arbres feuillus (trembles, frênes, érables, hêtres et ormes) et de conifères (pignons de pins), de bourgeons, de baies et de fruits ayant été plutôt correcte. Des mouvements significatifs ont quand même été notés dès le début du mois d’août 2024 à Tadoussac au Québec (lire 14e Festival des oiseaux migrateurs de la Côte-Nord au Québec), et donc des groupes pourraient quand même atteindre le centre des États-Unis. Par ailleurs, à cause d’épidémies de tordeuses des bourgeons de l’épinette autour du lac Supérieur, les États américains à l’ouest des Grands Lacs pourraient connaître des arrivées cet hiver. 

Il n’existe pas à notre connaissance de prévisions similaires pour l’Europe : si l’on suppose que les niveaux de fructification de la taïga scandinave et sibérienne sont comparables à ceux que l’on constate dans la forêt boréale canadienne, on ne devrait pas assister à des arrivées importantes de passereaux forestiers nordiques en Europe du Nord et centrale. Toutefois, de nombreux facteurs (composition forestière, conditions météorologiques, etc.) peuvent intervenir et rendent hasardeuse toute extrapolation à notre continent, d’autant plus qu’on a par exemple assisté en octobre 2024 à une arrivée importante de Durbecs des sapins dans le sud de la Scandinavie, selon la page X de Simon Rix. 

Gros-becs errants (Hesperiphona vespertina) visitant une mangeoire en hiver dans le Sax-Zim Bog près de Meadowlands, dans le Minnesota (États-Unis), en janvier 2024.
Source : The Sny

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