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Arrivée spectaculaire de 24 Oies naines suédoises en Grande-Bretagne en janvier 2025, peut-être à cause d’un brouillard dense en mer du Nord
L’Oie naine (Anser erythropus) ressemble fortement à l’Oie rieuse (A. albifrons), mais elle est plus petite, son plumage est plus sombre dessus, les taches noires de son ventre sont moins nombreuses et mieux définies, le dessus de sa tête est plus plat, avec un front plus abrupt, son cou est relativement plus court, les pointes de ses ailes dépassent un peu de la queue quand elles sont fermées, son bec est plus court et rose vif, l’adulte a un cercle orbitaire jaune or bien visible (certaines Oies rieuses présentent aussi un cercle oculaire jaune fin moins visible), son front blanc atteint le sommet du crâne, au dessus de l’œil et ses pattes sont d’un rose assez sombre. Le juvénile est semblable à l’adulte, mais il est plus sombre et il n’a pas de zone blanche sur la face, ni de barres noires sur le ventre (lire Comment identifier l’Oie naine et où l’observer en Europe ?).
Elle niche de la Scandinavie à la Sibérie orientale (péninsule de l’Anadyr). Suivant leur zone de nidification, elles hivernent dans différentes régions : Europe de l’Ouest (Pays-Bas, Allemagne), rives de la Baltique (lire Le delta du fleuve Niémen : la « Camargue balte »), Hongrie, Balkans (surtout en Roumanie, Bulgarie et Grèce), mer Caspienne (lire Plus de 8 000 Oies naines ont été comptées en Iran au cours de l’hiver 2018-2019), nord de la mer Noire, sud de la Russie, Moyen-Orient (Syrie, Irak), Chine et Corée.
L’Oie naine est une espèce menacée au niveau mondial, avec une population totale comprise entre 28 000 et 50 000 individus, soit un déclin de plus de 95 % depuis les années 1940 ! La petite population fenno-scandinave atteignait au moins 10 000 oiseaux au début du XXe siècle, mais elle était descendue à 30 à-50 couples au début des années 2000.
Entre 1989 et 1997, 143 oiseaux élevés en captivité ont été relâchés en Finlande à proximité des dernières zones de nidification dans ce pays, mais cette tentative a été un échec, leur taux de survie étant très faible et aucune tentative de reproduction n’ayant été constatée. Le dernier couple sauvage a niché en 1995.
Oies naines (Anser erythropus) issues du programme de réintroduction suédois et Oies cendrées (A. anser) dans la réserve naturelle de la Royal Society for the Protection of Birds de Titchwell Marsh, située dans le comté de Norfolk (Grande-Bretagne), le 20 janvier 2025 |
En Suède, les ultimes cas de reproduction ont été prouvés en 1991. Pour tenter de redresser la situation, 348 jeunes élevés par des Bernaches nonnettes (Branta leucopsis) ont été relâchés entre 1981 et 1999 en Laponie, l’objectif étant qu’ils suivent leurs parents adoptifs en migration et qu’ils hivernent comme eux en Allemagne et aux Pays-Bas, où ils risquaient moins d’être abattus que dans les zones traditionnelles d’hivernage de l’espèce en Russie et au Kazakhstan. Au printemps 1999, environ 50 individus semi-autonomes étaient recensés dans le nord de la Suède, et plus de vingt reproductions réussies ont été constatées. Ce projet a toutefois été abandonné car plusieurs scientifiques estimaient qu’il était artificiel de modifier le trajet migratoire d’une espèce. En outre, quelques cas d’hybridation entre des Oies naines et des Bernaches nonnettes avaient été découverts dans le nord de la Suède.
Pour diminuer ces risques de croisements, une autre méthode a été testée en 1999 : inciter des Oies naines nées en captivité à suivre entre la Suède et l’Allemagne un deltaplane, qui était piloté par Christian Moullec, un Français passionné d’ornithologie. Cette méthode, basée sur le phénomène d’empreinte ou « imprégnation », décrit par Konrad Lorenz dès 1935, avait été mise eu point au Canada dans les années 1980 par Bill Lishman. Elle a été utilisée depuis lors de plusieurs programmes de réintroduction : la Grue blanche (Grus americana) et le Cygne trompette (Cygnus buccinator) en Amérique du Nord, l’Ibis chauve (Geronticus eremita) en Autriche (lire « Capturez si possible Burgi, notre Ibis chauve qui s’est perdu ») et la Grue de Sibérie (Grus leucogeranus) en Russie. Le film « Donne moi des ailes » réalisé par Nicolas Vannier et qui est sorti sur les écrans de cinéma français le 9 octobre 2019 évoquait justement les premiers vols en 1995 de Christian Moullec (joué par Jean-Paul Rouve) avec des Oies naines 1995 à bord d’un deltaplane motorisé qu’il avait adapté.
Malgré un certain succès, toutes les tentatives de réintroduction de l’espèce en Suède ont été suspendues afin d’éliminer tout risque de transmission de pathologies éventuelles et de pollution génétique par des oiseaux relâchés avant 1999 : des spécialistes avaient en effet estimé que 5 à 10 % d’entre eux pouvaient porter des gènes d’Oies rieuses (A. albifrons) ou cendrées (A. anser). Toutefois, en 2020, David Díez-del-Molino et al ont publié un article montant qu’il était hautement improbable que ces lâchers aient pu provoquer la propagation d’un matériel génétique étranger.
Pour pouvoir poursuivre le programme de renforcement de la population suédoise, de jeunes Oies naines originaires de Russie ont été capturées et importées et sont devenues la base d’un nouveau « stock » reproducteur. En 2010, les lâchers ont pu reprendre, mais cette fois sans parents adoptifs.
Aires de nidification (en rouge) et d’hivernage (en bleu) des populations suédoise (1) et norvégienne (2) de l’Oie naine (Anser erythropus) et trajets migratoires automnaux (flèches). Le trajet possible des 24 Oies naines observées le 20 janvier 2025 dans la réserve naturelle de la Royal Society for the Protection of Birds de Titchwell Marsh (Grande-Bretagne) est indiqué (flèche rouge). |
Ces nouvelles mesures ont bien fonctionné et aujourd’hui, la population nicheuse suédoise est la seule de l’Union européenne : elle était estimée à 130 à 140 oiseaux en 2023. Néanmoins, des études ont montré que le succès de reproduction n’était pas suffisamment élevé pour compenser les pertes d’adultes pendant l’été : ainsi, même s’il a été relativement correct entre 2021 et 2024, avec plus de 100 jeunes qui ont pris leur envol pendant cette période, la situation de l’espèce reste fragile et des lâchers d’oiseaux élevés en captivité sont toujours nécessaires.
Les Oies naines nichent dans les montagnes d’Arjeplog, au nord de la Suède. Elles quittent leur site de nidification à la fin du mois d’août et font ensute une halte dans le centre du pays avant de repartir en octobre vers le sud-ouest pour hiverner finalement dans des polders en Allemagne (länder duSchleswig-Holstein et de Basse-Saxe) et aux Pays-Bas, principalement dans les provinces de la Frise (Anjumerkolken), de la Hollande-Septentrionale (Vereenigde Harger et Pettemerpolder) et de la Hollande-Méridionale (Oudeland van Strijen).
Au printemps, elles sont signalées à la fin du mois de mars dans le comté de Scanie, et elles atteignent en avril la réserve naturelle de Svartåmynningen, dans le comté d’Östergötland. La durée de leur séjour dépend généralement des conditions météorologiques. En mai, une grande partie des adultes se rassemble dans le comté de Västerbotten (où sont effectués des comptages prénuptiaux), attendant la fonte des neiges avant de nicher en altitude.
En Grande-Bretagne, l’Oie naine est un très rare visiteur hivernal, et donc l’arrivée le 20 janvier 2025 dans la réserve naturelle de la Royal Society for the Protection of Birds de Titchwell Marsh, située dans le comté de Norfolk, d’un groupe de 24 oiseaux bagués en Suède est vraiment remarquable : il s’agit seulement de la seconde troupe issue du programme de réintroduction suédois notée dans le pays, après sept individus observés durant l’automne 2024 depuis le promontoire de Flamborough Head, dans le comté de Yorkshire. Selon la page X de la réserve RSPB de Titchwell Marsh, l’un des 24 oiseaux était présent à Petten (Pays-Bas) une semaine plus tôt : le groupe pourrait avoir dépassé sa zone d’hivernage habituelle à cause d’un brouillard dense sur la mer du Nord.
Oies naines (Anser erythropus) issues du programme de réintroduction suédois arrivées le 20 janvier 2025 dans la réserve naturelle de la Royal Society for the Protection of Birds de Titchwell Marsh, située dans le comté de Norfolk (Grande-Bretagne).
Source : Steve Gantlett
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Compléments
Dans la galerie d’Ornithomedia.com
Ouvrage recommandé
Le guide ornitho de Lars Svensson, Killian Mullarney, Dan Zetterstrom et Guilhem Lesaffre
Sources
- James Lowen (2025). 24 January 2025 Lesser Y-fronts. www.jameslowen.com
- David Díez-del-Molino, Johanna von Seth, Niclas Gyllenstrand, Fredrik Widemo, Niklas Liljebäck, Mikael Svensson, Per Sjögren-Gulve et Love Dalén (2020). Population genomics reveals lack of greater white-fronted introgression into the Swedish lesser white-fronted goose. Scientific Reports. Nature. Volume : 10. Numéro : 18347. www.nature.com
- Project Fjällgås. Project Lesser White-fronted Goose. jagareforbundet.se
- Kees Koffijberg et Erik van Winden (2013). Lesser White-fronted Geese in The Netherlands: a review of trends, phenology, distribution patterns and origin. Sovon. stats.sovon.nl
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