Une maladie bactérienne découverte en Amérique du Nord dans les années 1990

Coloration négative d'une bactérie Mycoplasma gallisepticum

Coloration négative d’une bactérie Mycoplasma gallisepticum (échelle : 140 nm).
Photographie :  M.H.B. Catroxo et A.M.C.R.P.F. Martins / Wikimedia Commons

En février 1994, des Roselins familiers (Haemorhous mexicanus) aux paupières gonflées ou croûteuses et une vision altérée ont été repérés sur des mangeoires dans la banlieue de Washington (États-Unis). Les oiseaux les plus gravement atteints étaient amorphes et certains reposaient sur le sol. Ils souffraient de conjonctivite, mais aussi de sinusite et de rhinite. La bactérie Mycoplasma gallisepticum a été isolée dans des tissus prélevés, et une étude de terrain menée à la fin de l’année 1994 dans le Maryland a confirmé qu’elle était à l’origine de ces symptômes.
Depuis les premiers signalements dans le nord-est des États-Unis, les cas de mycoplasmose (ou conjonctivite à mycoplasmes) chez les Roselins familiers se sont multipliés vers le Nord, le Sud et l’Ouest. Lors d’enquêtes menées par le Cornell Laboratory of Ornithology, un pourcentage croissant d’observateurs a signalé des oiseaux malades : 11 % des 1 413 participants en novembre 1994, 17,3% des 1 239 participants en mars 1995, 28,1 % des 769 participants en novembre 1995 et 35,8 % des 1 047 participants en mars 1996.
La maladie a été confirmée pour la première fois à l’ouest des Montagnes Rocheuses en 2002, puis elle s’est depuis propagée aux populations occidentales.
En 2008, les enquêtes du Cornell Laboratory of Ornithology sur les Roselins familiers infectés ont pris fin, mais la surveillance de la maladie s’est poursuivie grâce au protocole de collecte de données du projet FeederWatch.
Durant l’hiver et le printemps 1995-1996, des Chardonnerets jaunes (Spinus tristis) présentant une inflammation des paupières ont été signalés en Géorgie, au Maryland, en Caroline du Nord et du Sud et dans le Tennessee, et en mars 1996, la bactérie Mycoplasma gallisepticum a été isolée chez deux individus en Caroline du Nord.

Une maladie qui touche principalement les élevages de volailles 

Poulet souffrant de mycoplasmose aviaire

Poulet souffrant de mycoplasmose aviaire.
Source : Griffin Poultry

La mycoplasmose aviaire est causée par plusieurs mycoplasmes pathogènes, parmi lesquels Mycoplasma gallisepticum et M. synoviae sont considérés comme les plus importants. M. gallisepticum est à l’origine de maladies respiratoires chroniques chez les volailles, notamment lorsque les élevages sont stressés ou que d’autres agents pathogènes respiratoires sont présents. La maladie se caractérise par un coryza, une conjonctivite, des éternuements et/ou une sinusite, en particulier chez les dindes et le gibier à plumes. Elle peut également provoquer une maladie des voies respiratoires supérieures. Chez les volailles, l’infection se propage verticalement par les œufs infectés et horizontalement par contact rapproché. La mycoplasmose peut entraîner des pertes de production importantes et le déclassement des oiseaux de type viande, ainsi que la perte de la production d’œufs.
Bien que la méthode de contrôle privilégiée soit le maintien de troupeaux exempts de M. gallisepticum et de M. synoviae, des vaccins vivants et inactivés sont utilisés chez les poulets. La vaccination ne doit être envisagée que dans des cas spécifiques sur la base de la situation épidémiologique de la région ou dans les exploitations où l’infection est inévitable. 
La bactérie Mycoplasma gallisepticum altère les composants antigéniques de surface des cellules, ce qui pourrait lui permettre de s’adapter à l’environnement de l’hôte, d’échapper à sa réponse immunitaire et de contaminer de nouvelles espèces.

Comment la mycoplasmose s’est-elle propagée des élevages de volailles aux Roselins familiers ?

Roselin familier (Haemorhous mexicanus)

Les Roselins familiers (Haemorhous mexicanus) visitent volontiers les mangeoires en hiver.
Photographie : Michele Dorsey Walfred / Wikimedia Commons

Les premiers passereaux auraient été contaminés à partir de petits élevages de volailles en plein air, par exemple dans des cours de fermes ou chez des propriétaires privés. Des analyses ont montré que la souche les infectant était différente, suggérant une mutation. La propagation remarquable de la conjonctivite à mycoplasmes chez les Roselins familiers s’explique par la proximité de ces derniers avec les installations et activités humaines, et en particulier par leur habitude de visiter les mangeoires, favorisant les contacts entre oiseaux sains et infectés et avec des surfaces contaminées : en effet, les individus malades se frottent souvent les yeux sur les mangeoires car ils les démangent. 
Jusque dans les années 1940, les Roselins familiers étaient présents uniquement dans l’ouest de l’Amérique du Nord, mais ils ont été relâchés dans la nature dans l’Est après que les animaleries ont mis fin à la vente illégale de « roselins d’Hollywood », comme on les appelait communément dans le commerce des oiseaux de compagnie. Les oiseaux relâchés se sont reproduits avec succès et se sont rapidement répandus dans tout l’est de l’Amérique du Nord, où ils peuvent migrer sur plusieurs centaines de kilomètres et ainsi disséminer l’agent infectieux dans une vaste zone géographique. Il a même été introduit avec succès en Europe (lire Le Roselin familier, une potentielle nouvelle espèce exotique invasive en Espagne ?).
Malgré leur large aire de répartition, le patrimoine génétique limité des populations de Roselins familiers pourrait avoir contribué à sa sensibilité apparemment élevée à la mycoplasmose.
La combinaison de ces facteurs, ainsi que d’autres encore inconnus, a entraîné l’émergence d’une maladie infectieuse grave qui s’est rapidement propagée au sein de la population de Roselins familiers, puis a touché d’autres espèces de fringilles nord-américains. 

Une maladie surtout active en hiver 

La fréquence de la conjonctivite à mycoplasmes varie selon les saisons et les régions : dans le nord-est des États-Unis, elle est plus fréquente en hiver, tandis que dans le sud-est, elle est plus courante en été et au début de l’automne. Selon une étude récemment publiée dans la revue Ecosphere, la bactérie Mycoplasma gallisepticum pourrait rester active à basse température jusqu’à sept jours sur la surface des mangeoires, mais elle ne survivrait que deux jours par temps chaud. Cette découverte explique pourquoi cette maladie est surtout active et se propage essentiellement en hiver, quand les oiseaux ont besoin de plus de nourriture et se rapprochent des jardins. D’autres facteurs abiotiques seraient susceptibles d’influencer la persistance et la pathogénicité de l’agent pathogène sur les mangeoires, comme l’humidité et l’exposition aux ultraviolets du soleil.  
Cette étude a également révélé que les symptômes étaient plus sévères par temps froid.  

Quelles sont les espèces sauvages les plus touchées en Amérique du Nord ?

Roselin familier (Haemorhous mexicanus) mâle souffrant de mycoplasmose

Roselin familier (Haemorhous mexicanus) mâle souffrant de mycoplasmose.
Source : Richard Rathe

En Amérique du Nord, les oiseaux sauvages les plus impactés par la mycoplasmose sont les fringilles : Roselins familier et pourpré (Haemorhous purpureus), Chardonneret jaune, Durbec des sapins (Pinicola enucleator) et Gros-bec errant (Hesperiphona vespertina) (lire L’irruption prévue de Gros-becs errants en Amérique du Nord durant l’automne 2022 a bien eu lieu). D’autres espèces d’oiseaux maaldes ont été signalées, comme le Cardinal rouge (Cardinalis cardinalis), le Geai bleu (Cyanocitta cristata) (et d’autres Corvidés),  la Mésange à tête noire (Poecile atricapillus) ou le Plectrophane des neiges (Plectrophenax nivalis).

La maladie est-elle aussi présente en Europe ?

Des infections naturelles d’oiseaux sauvages par Mycoplasma gallisepticum ont été signalées dans le monde entier et ont été décrites chez des espèces variées, mais les cas semblent beaucoup plus rares qu’en Amérique du Nord. Lors d’une étude menée de juillet 2019 à février 2020 dans le Gers (France), 207 individus appartenant à 12 espèces, dont 40 Fringillidés, 92 Moineaux domestiques (Passer domesticus), 53 Bergeronnettes grise (Motacilla alba) et des ruisseaux (M. cinerea), 19 Étourneaux sansonnets (Sturnus vulgaris) et trois Charadriiformes (gravelots), ont été capturés avec des filets japonais près d’un élevage de canards. En octobre et en novembre 2019, des prélèvements ont aussi été effectués dans des fientes de Hérons garde-bœufs (Bubulcus ibis) prélevées sous un dortoir. Aucun des 40 Fringillidés n’était infecté, même si certains élevages étaient touchés dans le département : leur rôle dans l’épidémiologie de cette bactérie dans la zone étudiée semblait donc négligeable, contrairement à ce qui est observé aux États-Unis. Les autres espèces échantillonnées et connues pour être sensibles à la maladie, comme les limicoles et les étourneaux, ne semblaient pas non plus jouer de rôle dans l’épidémiologie régionale. Des mycoplasmes d’une autre espèce ont été trouvés dans une proportion significative d’étourneaux, mais ils semblaient peu transmissibles aux autres espèces sauvages et aux volailles.  

Comment reconnaître les oiseaux infectés ?

Chardonneret jaune (Spinus tristis) souffrant de mycoplasmose

Chardonneret jaune (Spinus tristis) souffrant de mycoplasmose.
Source : Rachel Pennington

Les oiseaux atteints par la mycoplasmose ont souvent les yeux rouges, gonflés, larmoyants ou couverts de croûtes, des symptômes souvent accompagnés d’un écoulement oculaire clair. Dans les cas extrêmes, les yeux sont tellement gonflés ou couverts de croûtes que les individus deviennent pratiquement aveugles. ils bougent alors peu et volent mal, ce qui peut entraîner une mort par inanition ou par prédation.
La variole aviaire est une autre maladie qui peut toucher les Roselins familiers et d’autres passereaux : elle se caractérise par la présence d’excroissances verruqueuses et de lésions sur les zones dépourvues de plumes du corps, comme le contour des yeux, la base du bec, les pattes et les doigts, et elle peut être confondue avec la mycoplasmose lorsque seuls les yeux sont touchés (lire La variole aviaire ou poxvirose). 
La mycoplasmose aviaire ne présente aucun risque connu pour l’Homme ni pour les autres mammifères (chiens et chats).

Une multiplication des cas en février et en mars 2025 en Amérique du Nord

Sur sa page Facebook, l’Observatoire d’oiseaux de Tadoussac a indiqué le 27 février 2025 que de nombreux cas de mycoplasmose étaient rapportés partout au Québec, et sur le site web GoOiseaux, plusieurs commentaires ont signalé des cas d’oiseaux probablement infectés. La maladie s’est propagée dans l’est des États-Unis, jusqu’à la Virginie au moins. 

Comment soigner et limiter les risques de propagation de la mycoplasmose chez les passereaux ?

Roselin familier (Haemorhous mexicanus) mâle souffrant de mycoplasmose

Roselin familier (Haemorhous mexicanus) mâle souffrant de mycoplasmose se nourrissant à une mangeoire à Rigaud au Québec (Canada) le 9 décembre 2023.  
Source :  Now Then Media

Les activités humaines ont contribué à l’émergence et à la propagation de la mycoplasmose parmi les fringilles d’Amérique du Nord, et il n’existe pas de traitement à grande échelle permettant de la contrôler. Les signes cliniques de la conjonctivite à mycoplasmes peuvent être traités par des antibiotiques oraux ou ophtalmiques, mais soigner puis remettre en liberté des oiseaux capturés ou récupérés dans des centres de soins a un effet minime sur les populations sauvages et pourrait entraîner la diffusion de souches de M. gallisepticum résistantes aux antibiotiques. En outre, les oiseaux traités pourraient continuer à être infectés. Enfin, la présence de plusieurs espèces dans les centres de soins pourrait favoriser la contamination interspécifique. 
Comme c’est le cas pour d’autres maladies aviaires, comme la salmonellose (lire Nourrir les oiseaux : limiter les risques de salmonellose), la trichomonose (lire La trichomonose chez les oiseaux des jardins : présentation et prévention) ou la psittacose (lire Augmentation des cas de psittacose depuis la fin de l’année 2023 et nettoyage des mangeoires au printemps), les mesures les plus efficaces pour limiter les risques d’infection et de propagation de la mycoplasmose sont préventives.
Si vous trouvez un oiseau malade ou si des cas ont été signalés dans votre secteur, il est donc essentiel de prendre des précautions simples :

  • Ne manipulez pas les individus infectés (ou susceptibles de l’être) sans protection (gants), même si aucun cas de propagation à l’Homme n’est connu. S’ils sont encore vivants, placez-les dans une boîte en carton et appelez le centre de soins de la faune sauvage le plus proche, où des antibiotiques pourront être administrés afin de les soulager. S’ils sont morts et que vous désirez faire effectuer des analyses, enveloppez les cadavres dans quelque chose d’absorbant comme du papier journal, placez-les dans un sac résistant aux déchirures et maintenez-les au froid.
  • Signalez la découverte d’oiseaux malades pour suivre la propagation de la maladie. Au Québec, vous pouvez contacter le Centre Québécois de la Santé des Animaux Sauvages (CQSAS). Vous pouvez également saisir vos données sur le site web du projet Feederwatch du Cornell Lab of Ornithology.
  • Retirez immédiatement vos mangeoires et points d’eau, rincez-les bien à l’eau puis désinfectez-les dans un endroit bien aéré avec une solution d’eau de Javel diluée à 2 %. Rincez-les à l’eau savonneuse et laissez-les sécher. Attendez ensuite de une à deux semaines semaines avant de les remettre en place (lire Comment nettoyer une mangeoire pour réduire au maximum le risque de salmonellose ?). Nettoyez ensuite au moins une fois par semaine les mangeoires et les perchoirs. 
  • Préférez les mangeoires les plus faciles à nettoyer, en évitant celles avec de grands orifices, dans lesquels les oiseaux ont tendance à se frotter les yeux.
  • Espacez les mangeoires et les points d’eau pour limiter les concentrations d’oiseaux.
  • Retirez régulièrement les déchets et ne distribuez pas trop de nourriture en même temps.  

Une vidéo montrant un Roselin familier souffrant de mycoplasmose

Roselin familier (Haemorhous mexicanus) mâle souffrant de mycoplasmose se nourrissant à une mangeoire en Amérique du Nord.
Source : 1a2b3c4dx1

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