Le Gypaète barbu (Gypaetus barbatus) est un très grand rapace (envergure de 266 à 282 cm) aux ailes longues, étroites et pointues et à la longue queue cunéiforme (en forme de losange). L’adulte a le dessus noir, le dessous plus ou moins roussâtre (lire La coloration orangée du Gypaète barbu n’aurait pas de fonction antibactérienne), la tête plus claire avec un masque facial noir composé de vibrisses (= plumes étroites et raides qui ressemblent à des poils) courtes entourant les yeux prolongées sous le bec par deux touffes de longues vibrisses tombant de chaque côté du bec et formant une « barbe ».   

La structure de ces longues vibrisses est inhabituelle : selon Delaunay et al. (2022), elles sont composées de barbes (= lames insérées obliquement en deux séries de part et d’autre de l’axe central) placées à la base du rachis (= l’axe central de la plume) (lire Les plumes des oiseaux), dont certaines sont presque de la même longueur que ce dernier, comme si elles avaient évolué  pour « créer du volume ».

La barbe du gypaète atteint sa pleine longueur chez l’adulte, et sa fonction n’est pas encore claire : Brown (1989) avait suggéré qu’elle pourrait fonctionner, avec le masque, comme un organe tactile empêchant l’oiseau d’insérer sa tête trop profondément dans une carcasse fraîche et ainsi de trop salir son plumage, mais cela n’expliquerait pas pourquoi la longueur maximale des vibrisses n’est atteinte qu’au bout de plusieurs années.

Delibes et al. (1984) avaient trouvé des vibrisses plus denses sur la tête des Gypaètes barbus d’Eurasie que sur celles de leurs congénères africains, ce qui pourrait suggérer une fonction de protection contre le froid, mais cela ne permet pas non plus de comprendre la raison de la longueur particulière de la barbe.

Le masque facial noir contrastant fortement avec la couleur claire dominante de la tête et du cou chez l’adulte, une barbe plus longue pourrait jouer un rôle dans la parade nuptiale et dans les rapports sociaux entre individus. Certaines photos ont montré que les longues vibrisses de la barbe étaient orientées vers l’avant lors des moments d’excitation, mais d’autres les ont montré dans un autre angle. La barbe du Gypaète barbu serait ainsi un ornement orientable dont le développement complet est atteint à l’âge adulte.

Les vibrisses faciales peuvent être comparées aux filoplumes qui entourent la base des plumes de vol : or les récepteurs proches des follicules des filoplumes sont sensibles à la déformation causée par le flux d’air vers les plumes de vol, et donc les vibrisses faciales pourraient donc aussi l’être. Des milliers d’images de Gypaètes barbus sont disponible sur Internet, mais étant donné que la forme de leur barbe varie considérablement d’un individu à l’autre, et qu’elle peut également changer chez le même oiseau en raison de différents facteurs, seules des photos du même oiseau, réalisées à de courts intervalles, pourraient révéler s’il a adapté la forme et l’orientation de sa barbe aux conditions de vol. 

Dans un article publié en 2024  dans la Rivista italiana di Ornitologia, Tiziano Londei a présenté les résultats de son étude de nombreuses photos d’adultes, et il a en effet constaté que l’orientation de leur barbe variait en fonction de la direction du vol ou lorsqu’il portait une lourde charge, comme un crâne et ou la colonne vertébrale d’un bouquetin. Dans ce dernier cas, les longues vibrisses sont dressées. Il faudrait toutefois analyser un grand nombre de photos pour mieux comprendre la fonction de la barbe dans le vol. 

Trois considérations justifieraient une étude approfondie : tout d’abord, le vol du Gypaète barbu adulte est plus acrobatique que celui des jeunes, dont les vibrisses faciales sont plus courtes. Par ailleurs, en supposant que les vibrisses jouent un rôle d’isolant contre le froid et en considérant que la température perçue dépend du flux d’air, une augmentation générale de la longueur et de la densité de ces plumes faciales particulières pourrait à la fois assurer une meilleure protection contre les intempéries et une perception accrue des courants. Enfin, la fonction sensorielle des vibrisses faciales serait cohérente avec l’ancienneté du genre Gypaetus, qui pourrait remonter au Miocène (de- 23 à – 5 millions d’années), comme le genre Neophron : or les jeunes Percnoptères d’Égypte (Neophron percnopterus), le plus proche parent existant du Gypaète barbu, présentent des soies faciales assez visibles, qui sont conservées, bien que sous une forme réduite, sur les faces nues des adultes. Cette espèce a un vol moins agile que celui du Gypaète barbu, et sa répartition dans des zones habituellement moins froides pourraient expliquer la quasi-disparition de ses vibrisses faciales.

Le Gypaète barbu pourrait avoir ajouté une fonction ornementale à la fonction sensorielle primaire de sa barbe et de son masque facial.

Bande-annonce du documentaire « BA La Fabuleuse Histoire du Gypaète ».
Source : Lapied Film

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