Le premier guide photographique francophone complet sur l’avifaune néo-calédonienne

Couverture du Guide expert des Oiseaux de Nouvelle-Calédonie : Grande Terre, îles Loyauté et archipels éloignés

Couverture du « Guide expert des Oiseaux de Nouvelle-Calédonie : Grande Terre, îles Loyauté et archipels éloignés ».
Source : éditions Biotope

Le nombre d’espèces d’oiseaux recensées en Nouvelle-Calédonie s’élève à 207, en comptant des observations très anciennes, ainsi que des oiseaux égarés vus à une seule reprise. Parmi elles, 115 sont nicheuses, dont huit ont un statut incertain (elles sont encore trop peu connues ou sont supposées éteintes). Du fait de l’isolement ancien du territoire et de la diversité de ses habitats, 25 espèces (dont quatre ont probablement disparu) sont endémiques, dont le fameux Kagou huppé (Rhynochetos jubatus) (lire À la recherche du Kagou huppé dans le parc provincial de la Rivière bleue).
Comme son titre l’indique, le « Guide expert des Oiseaux de Nouvelle-Calédonie : Grande Terre, îles Loyauté et archipels éloignés« , réalisé par Paul Bonfils, avec le soutien de la Société Calédonienne d’Ornithologie, publié en 2024 aux éditions Biotope, aborde non seulement les oiseaux visibles sur la Grande Terre, surnommée le « Caillou« , mais également ceux de l’archipel voisin des Loyauté et des atolls lointains (lire Philippe Borsa nous dresse le bilan de l’avifaune des atolls Chesterfield-Bampton et d’Entrecasteaux).
Outre ses espèces et sous-espèces endémiques, la Nouvelle-Calédonie accueille notamment des populations importantes de plusieurs oiseaux marins nicheurs (lire Angélique Pagenaud nous en dit plus sur la protection des oiseaux marins néo-calédoniens), dont les effectifs et la répartition ne sont pas toujours bien connus du fait de l’éloignement de leurs sites de nidification et de leur biologie particulière (mœurs parfois nocturnes, grands déplacements, etc.). D’ailleurs, une espèce pélagique nouvelle pour la science a récemment été décrite, l’Océanite de Nouvelle-Calédonie (Fregetta lineata) (lire Vincent Bretagnolle nous en dit plus sur la description récente de l’Océanite de Nouvelle-Calédonie).
Après une préface de Jean-Philippe Siblet, vice-président de la Société d’études ornithologiques de France, le guide photographique débute par une présentation générale de la géologie, du climat et des écosystèmes de Nouvelle-Calédonie, puis aborde les menaces qui pèsent sur l’avifaune de l’archipel (braconnage, dérangements, destruction des habitats et espèces exotiques envahissantes).
Un chapitre très utile pour le voyageur présente ensuite une liste de bons sites pour l’observation des oiseaux néo-calédoniens, qui ont été choisis non seulement pour leur intérêt ornithologique, mais aussi pour leur localisation dans des espaces publics qui ne requièrent pas d’autorisation d’accès : il est en effet bon de rappeler que la surface de la Nouvelle-Calédonie comprend 27 % de terres coutumières (= gérées par les peuples autochtones), dont la totalité des îles Loyauté, Bélep et des Pins, et 19 % de domaines privés. 
Le guide se poursuit ensuite par 184 fiches descriptives illustrées composées d’une ou plusieurs photos de chaque espèce (posée et/ou en vol), d’une description détaillée de la silhouette et du(des) plumage(s), de sa voix (cris et chant) et d’une présentation de son habitat, de son comportement, de sa répartition et de son statut (abondance, effectifs, tendances d’évolution, menaces, etc.). Les confusions possibles avec d’autres espèces sont également abordées. 
En résumé, ce guide photographique est indispensable lors de tout séjour ornithologique en Nouvelle-Calédonie, et il est complémentaire à d’autres ouvrages d’identification en langue anglaise basés sur des dessins, comme le Birds of Melanesia – Bismarcks, Solomons, Vanuatu, and New Caledonia de Guy Dutson.

L’interview de Paul Bonfils

1- Comment avez-vous acquis cette grande connaissance de l’avifaune néo-calédonienne ? L’observation des oiseaux sur ce territoire est-elle vraiment passionnante ?

Carte de la Nouvelle-Calédonie (France)

Carte de la Nouvelle-Calédonie (France).
Carte : Ornithomedia.com

Paul Bonfils : durant mes études d’ingénieur agronome, à l’occasion d’une année de césure, j’ai vécu six mois en Nouvelle-Calédonie, où je me suis familiarisé avec l’avifaune locale grâce aux ouvrages ornithologiques existants, aux conseils de membres locaux de la Société Calédonienne d’Ornithologie et au temps passé sur le terrain dans une large variété de milieux naturels grâce aux moyens logistiques mis à ma disposition par l’association. L’observation des oiseaux en Nouvelle-Calédonie est effectivement passionnante, en raison de la grande diversité d’espèces, dont certaines sont rares et menacées, et de son taux d’endémisme important.

2- Faites-vous partie de la Société Calédonienne d’Ornithologie ? Avez-vous aussi des contacts avec l’association Bird Conservation New Caledonia ?

Paul Bonfils : je suis en effet membre de la Société Calédonienne d’Ornithologie, incontournable dans le paysage de l’étude et de la conservation de l’avifaune en Nouvelle-Calédonie depuis sa création en 1965. L’association Bird Conservation New Caledonia, récemment créée par l’Institut pour la Recherche et le Développement (IRD), n’existait pas lorsque j’étais sur place, et je n’ai donc pas eu de contact avec ses équipes.

3- Avez-vous déjà observé toutes les espèces et sous-espèces nicheuses régulières du territoire ?

Marouette fuligineuse (Zapornia tabuensis)

Marouette fuligineuse (Zapornia tabuensis) en Australie.
Photographie : R. Morris

Paul Bonfils : j’ai pu observer la grande majorité des oiseaux nicheurs de Nouvelle-Calédonie durant mon séjour, à l’exception de quelques espèces extrêmement localisées, rares ou discrètes, telles que le Merle des îles (Turdus poliocephalus xanthopus) (NDLR : qui a été élevé par certains auteurs au rang d’espèce distincte, le Merle calédonien (Turdus xanthopus)), la Marouette fuligineuse (Zapornia tabuensis) (ou Râle fuligineux) ou encore certains oiseaux pélagiques ne se reproduisant que sur les îles éloignées comme les phaétons (Phaeton sp.) et le Pétrel du Herald (Pterodroma heraldica).

4 – Comment expliquez-vous qu’il n’existait pas avant le vôtre d’ouvrage complet en langue française traitant exclusivement de l’avifaune néo-calédonienne ?

Paul Bonfils : la Nouvelle-Calédonie manque globalement d’ouvrages de référence pour la plupart des animaux et végétaux. Concernant son avifaune, le précédent travail synthétisant l’ensemble des connaissances de l’époque était le « Guide des oiseaux de la Nouvelle-Calédonie » de Jean Delacour, paru en 1966. Plus de cinquante ans après, les connaissances ont beaucoup évolué et le besoin d’une mise à jour était évident. Cependant, réaliser un tel ouvrage demandait un travail conséquent et un investissement financier difficile à assumer au sein de la petite communauté naturaliste calédonienne et dans un contexte où l’ornithologie n’est pas la priorité des acteurs académiques ou institutionnels locaux.

5- Le territoire souffre-t-il d’un manque d’observateurs locaux ? Les touristes australiens et néo-zélandais constituent-ils des sources importantes de données ? Saisissent-ils leurs observations sur le site web de la SCO ?

Ptilope vlouvlou (Drepanoptila holosericea)

Le Ptilope vlouvlou (Drepanoptila holosericea) est un endémique de Nouvelle-Calédonie.
Photographie : P. Bonfils

Paul Bonfils : le territoire souffre effectivement d’un manque de naturalistes, et surtout d’observateurs qui saisissent leurs données sur les plateformes de science participative. Le tourisme est assez peu développé en Nouvelle-Calédonie, et totalement anecdotique lorsqu’il est à but naturaliste. Les ornithologues anglo-saxons, assez peu nombreux, alimentent principalement la plateforme eBird avec des données parcellaires.
La base de données participatives de la SCO, en place depuis 2014 et qui s’appuie sur la plateforme observation.org, est principalement alimentée par les Néo-Calédoniens, et en particulier par les membres actifs de l’association.
Le grand problème des données naturalistes en Nouvelle-Calédonie est, comme ailleurs, leur atomisation avec la multiplication des plateformes et des  applications (observation.org, eBird, iNaturalist et les bases de données inaccessibles des provinces, bureaux d’études, associations, instituts de recherche, etc.). Suite au découpage de la Nouvelle-Calédonie en trois provinces compétentes et autonomes en matière d’environnement, il n’existe en outre aucune plateforme permettant de centraliser les données dispersées.

6- Avez-vous eu des difficultés à réunir les photos pour illustrer votre ouvrage et les informations sur certaines espèces ?

Égothèle calédonien (Aegotheles savesi)

Des dessins illustrent les espèces néo-calédoniennes peu connues ou supposées disparues, comme l’Égothèle calédonien (Aegotheles savesi).
Dessin : S. Kokay

Paul Bonfils : la collecte des 680 photos utilisées, toutes généreusement offertes par leurs auteurs, a été chronophage et parfois difficile. D’ailleurs, nous avons dû, avec l’éditeur, faire appel à un illustrateur pour les espèces disparues ou pour certaines dont aucune photo de bonne qualité n’était disponible à ce jour. Pour certains oiseaux, peu d’informations étaient disponibles, mais j’ai pu réaliser les monographies les plus complètes possibles en complétant la bibliographie existante par des observations personnelles ou d’autres membres de la SCO.

7- La Nouvelle-Calédonie a connu des émeutes particulièrement violentes et destructrices en mai 2024 : vous ont-elles empêché de continuer à observer les oiseaux ? Rendent-elles impossibles pour le moment l’organisation d’un séjour ornithologique sur l’île ?

Paul Bonfils : je vis en France, mais j’ai effectivement été empêché de me rendre en Nouvelle-Calédonie au mois de mai 2024 en raison de ces émeutes qui ont secoué le territoire. Localement, cette situation a entraîné des restrictions de circulation empêchant de se rendre librement sur le terrain. Actuellement, plusieurs secteurs restent difficilement accessibles en raison des barrages et du contexte d’insécurité qui subsiste. L’ordre public et la sécurité restant encore précaires et instables, avec des risques de blocage de certaines routes, il est effectivement préférable de reporter les projets de séjour ornithologique en Nouvelle-Calédonie, dans l’attente d’un retour à une situation apaisée.

8- Peut-on se déplacer seul sur tout le territoire pour observer les oiseaux, ou vaut-il mieux être accompagné d’un guide, surtout depuis les émeutes de mai 2024 ?

Paul Bonfils : en temps normal, il est facile de se déplacer seul en dehors des terres coutumières, en suivant quelques conseils proposés en introduction de mon guide. Pour se déplacer au sein des tribus, il est toujours mieux d’être accompagné d’un guide local.

9- La surface de la Nouvelle-Calédonie comprend 27 % de terres coutumières, dont la totalité des îles Loyauté, Bélep et des Pins, et 19 % de domaines privés. Ces règles, difficiles à comprendre quand on vient d’Europe, peuvent-elles compliquer l’observation des oiseaux ?

Perruche d’Ouvéa (Eunymphicus uvaeensi)

La Perruche d’Ouvéa (Eunymphicus uvaeensi) est endémique des îles Loyauté, situées à l’est de la Grande Terre.
Photographie : J. Theuerkauf

Paul Bonfils : en effet, le statut coutumier est méconnu en France métropolitaine, et il est utile de se renseigner auprès de la population locale sur le statut des secteurs sur lesquels on souhaite se rendre, et sur leurs éventuelles conditions ou restrictions d’accès.

10- Quelle est selon vous la meilleure période pour organiser un séjour ornithologique en Nouvelle-Calédonie ?

Paul Bonfils : le meilleur moment se situe entre la fin août et la fin novembre, qui correspond à la transition entre les saisons des pluies et chaude (sèche). Il s’agit d’une période de floraison et de fructification, durant laquelle les oiseaux terrestres sont actifs. Par ailleurs, la météo est alors généralement excellente, avec des températures agréables, permettant des randonnées et des sorties en mer dans les meilleures conditions. 

11- Un chapitre du guide est consacré à plusieurs itinéraires que l’on peut effectuer en une demi-journée ou un jour, pour observer les oiseaux néo-calédoniens : quand un visiteur arrive en Nouvelle-Calédonie, quels sites proches de l’aéroport ou à Nouméa lui conseilleriez-vous de visiter en premier ?  Le parc zoologique et forestier de Nouméa est-il par exemple intéressant ?

Vue du pic Malaoui, dans les monts Khogis, en Nouvelle-Calédonie

Vue du pic Malaoui, dans les monts Khogis, en Nouvelle-Calédonie.
Photographie : Mickaël T. / Wikimedia Commons

Paul Bonfils : le parc zoologique et forestier de Nouméa est en effet intéressant pour avoir un premier contact avec l’avifaune néo-calédonienne, car il permet d’avoir un premier aperçu de nombreuses espèces locales et emblématiques, entre les volières et la forêt sèche environnante. Son défaut est l’abondance d’oiseaux exotiques bruyants (paons en semi-liberté et perruches exotiques en captivité), pénalisant l’écoute des oiseaux locaux.
La forêt humide des monts Koghis, à Dumbéa, et la forêt sèche du Ouen Toro, près de Nouméa, sont des destinations à privilégier pour démarrer un séjour en recherchant les espèces terrestres. Pour les oiseaux marins et les limicoles, on pourra visiter les îlots Canard, Signal ou Amédée, qui sont faciles d’accès au départ de Nouméa.

12- Quels sont selon vous les meilleurs sites pour observer les limicoles de passage ?

Paul Bonfils : toutes les vasières et les tannes (= zones internes) d’arrière-mangrove de la côte occidentale, jusqu’à l’extrémité nord de la Grande Terre, sont des secteurs favorables pour l’observation des limicoles. L’un des meilleurs sites reste l’embouchure de la Dumbéa à marée basse, accessible par le quartier de Nakutakoin, le long de la voie express reliant Nouméa et La Tontouta.

13- En consultant votre guide, on est impressionné par la richesse des oiseaux marins nicheurs et de passage visibles dans les eaux néo-calédoniennes, dont certains (albatros, pétrels, etc.), proviennent des lointaines îles subantarctiques : quels sont selon vous les meilleurs sites de « seawatching » néo-calédoniens ? La meilleure période pour observer des oiseaux marins de passage est-elle l’hiver austral ?

Puffin à bec grêle (Ardenna tenuirostris)

Puffin à bec grêle (Ardenna tenuirostris) en Australie.
Photographie : R. Morris

Paul Bonfils : en effet, une grande diversité d’oiseaux pélagiques est visible dans les eaux néo-calédoniennes, mais l’observation de nombreuses espèces reste rare, voire exceptionnelle. Le « seawatching » est très peu pratiqué en Nouvelle-Calédonie, mais les sites les plus favorables sont certainement les pointes les plus avancées en mer et situées en hauteur, et potentiellement là où le récif corallien est le plus proche de la côte. Je privilégierais donc les îles Loyauté, avec par exemple les falaises de Xodre sur Lifou, où j’ai pu observer de très gros passages de Puffins à bec grêle (Ardenna tenuirostris) en octobre-novembre, avec quelques autres pélagiques (labbes, pétrels, etc.). Les observations d’espèces pélagiques occasionnelles se concentrent durant les périodes migratoires, entre mars et mai, ainsi qu’en octobre-novembre.

14- Beaucoup d’oiseaux marins nichent sur des îles éloignées (Chesterfield, Entrecasteaux, Beautemps-Baupré, Walpole et Hunter) : est-il possible d’organiser une visite de celles-ci ?

Paul Bonfils : ces  îles éloignées constituent des sites de reproduction exceptionnels pour des espèces souvent fragiles, et sont donc de véritables sanctuaires placés en réserve et inaccessibles. En revanche, les oiseaux qui y nichent peuvent être observés à proximité ou lors de traversées en mer entre ces îles ou à l’extérieur du lagon, par exemple entre la Grande Terre et l’archipel des Loyauté. Certaines espèces pélagiques se rapprochent régulièrement des terres, notamment par mauvais temps ; c’est le cas des frégates (Fregata sp.), qui peuvent facilement s’observer jusque dans les baies de Nouméa.

15- Les incendies, en grande majorité d’origine criminelle, sont le principal facteur de destruction des milieux naturels en Nouvelle-Calédonie. Quels sont les objectifs de ces incendies ? Des actions sont-elles menées pour les limiter ?

Paul Bonfils : les feux de brousse constituent un grave problème en Nouvelle-Calédonie, et ils ont des origines très diverses, allant de « l’écobuage » à l’acte de délinquance. De nombreuses campagnes de sensibilisation ont été conduites auprès du grand public depuis plusieurs décennies. Malgré le déploiement d’un réseau de casernes de pompiers sur l’ensemble du territoire et la mise en place d’un dispositif de détection et de suivi des feux par satellite, les moyens mobilisés restent insuffisants en raison de l’étendue d’un territoire souvent difficile d’accès. Si la priorité reste la protection des personnes et des biens, la Sécurité civile a néanmoins identifié des zones à enjeux environnementaux prioritaires (habitats d’espèces rares ou micro-endémiques), qui font l’objet d’une protection accrue en cas d’incendie. On notera qu’en saison sèche et durant les périodes les plus sensibles, les feux sont interdits par voie réglementaire.

16- Les forêts sèches occupent aujourd’hui seulement 2 % de leur surface originelle : ne pourrait-on pas organiser des politiques de reboisement pour augmenter leur surface

Forêt sèche sur la colline du Ouen Toro, près de Nouméa (Nouvelle-Calédonie)

Forêt sèche sur la colline du Ouen Toro, près de Nouméa (Nouvelle-Calédonie).
Photographie : Roman B. / Wikimedia Commons

Paul Bonfils : un programme « Forêt sèche » a été lancé en 2001, qui a permis de protéger et  de renforcer plusieurs parcelles de cet habitat sur la Grande Terre. Ces actions ont été poursuivies par l’Agence néo-calédonienne de la biodiversité, mais celle-ci est à l’heure actuelle en très grande difficulté en raison de la crise économique majeure que traverse le territoire. D’autres initiatives existent à travers le pays pour préserver et restaurer la forêt sèche : c’est le cas des plantations qui ont été réalisées sur le Ouen Toro, à Nouméa. Malgré tout, ce biotope reste le milieu le plus menacé, le plus exposé aux pressions et le plus fragile de Nouvelle-Calédonie.

17- Parmi les menaces qui pèsent sur l’avifaune de l’île, l’artificialisation des sols constitue-t-elle un problème sérieux ?

Paul Bonfils : l’artificialisation des terres est en effet problématique, mais à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie, ses impacts restent relativement localisés par rapport à d’autres pressions de plus grande ampleur, comme les feux de brousse et les espèces envahissantes.

18- L’exploitation minière est-elle strictement encadrée ou ses impacts sur l’environnement sont-ils graves ?

Paul Bonfils : l’exploitation minière peut avoir des impacts graves et irréversibles sur l’environnement, et c’est pourquoi cette activité fait aujourd’hui l’objet d’un encadrement réglementaire strict. Les sites miniers et les exploitants sont contrôlés et suivis, afin de ne pas reproduire les erreurs du passé qui ont défiguré et pollué certaines régions de la Grande Terre, notamment dans le Grand Sud.

19- L’île compte 25 espèces endémiques et 58 sous-espèces endémiques : quelles sont les espèces endémiques les plus menacées, en dehors des quatre espèces supposées éteintes ? Est-ce le Méliphage toulou ?

Méliphage toulou (Gymnomyza aubryana)

Méliphage toulou (Ggymnomyza aubryana) adulte dans le parc de la Rivière Bleue (Nouvelle-Calédonie).
Photographie : Paul Bonfils

Paul Bonfils : comme son statut d’espèce en danger critique d’extinction le suggère, le Méliphage toulou (Gymnomyza aubryana) fait effectivement figure d’espèce d’oiseau la plus menacée à ce jour. Heureusement, une population vit dans le parc provincial de la Rivière Bleue, une zone protégée de la province Sud. Toutefois, malgré des études récentes, cette espèce et les raisons de son déclin restent encore assez mal connues.
Bien que leurs statuts de conservation sur la Liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature soient moins critiques, souvent faute de données suffisantes, d’autres taxons sont également menacés, comme la sous-espèce endémique exsul de la Sterne néréis (Sternula nereis), qui est confrontée à la disparition de ses sites de nidification avec le changement climatique et la montée des eaux, la pression de prédation des espèces envahissantes ( rats) et la surfréquentation des îlots.
La population calédonienne de Merles des îles est également très fragile, car elle a disparu de la très grande majorité du pays et ne subsiste que sur quelques îlots du Grand Nord, dont un a été ravagé par un immense incendie il y a quelques années. Ces espèces, comme d’autres, peuvent être très rapidement menacées par des feux, des cyclones ou des épizooties.

20- Du fait de la faible pression d’observation, de nombreux oiseaux sont considérés comme rares car sous-détectés : pensez-vous que l’on a encore des chances de redécouvrir certaines des quatre espèces supposées éteintes ?

Paul Bonfils : l’exemple de la redécouverte du Merle des îles sur deux îlots au large de Poum, où il n’avait pas été noté depuis plusieurs décennies, montre qu’une augmentation de la pression d’observation peut effectivement aider à détecter des espèces discrètes et rares. Il faut vraiment se rappeler que la Nouvelle-Calédonie est un vaste territoire, avec une densité de population très faible, où de nombreux secteurs n’ont pratiquement jamais connu la présence humaine. Beaucoup de zones restent encore à explorer, et certaines espèces « disparues » pourraient être retrouvées ; les espoirs se portent surtout sur l’Égothèle calédonien (Aegotheles savesi), aux mœurs discrètes et nocturnes.

21- La découverte de la nidification de certaines espèces discrètes, comme le Blongios australien (Ixobrychus dubius) en 2001, est récente : cela constitue-t-il un espoir pour le Râle de Lafresnaye (Gallirallus lafresnayanus), considéré comme éteint ?

Poussin de Glaréole isabelle (Stiltia isabella)

Poussin de Glaréole isabelle (Stiltia isabella) à Pouembout (Nouvelle-Calédonie) : il s’agit de la première preuve de la nidification de l’espèce dans le territoire.
Photographie : L. Guisgant

Paul Bonfils : on peut rappeler plus récemment la découverte de la nidification de la Glaréole isabelle (Stiltia isabella) et la redécouverte du Merle des îles. On peut effectivement garder un espoir de redécouvrir des espèces disparues, même si dans le cas du Râle de Lafresnaye, on peut craindre que ses mœurs exclusivement terrestres l’aient rendu particulièrement vulnérable à la chasse et à la prédation d’espèces introduites (chats harets, chiens et rats).

22- Le Kagou huppé est certainement l’oiseau-symbole de Nouvelle-Calédonie, et ses effectifs semblent en progression : ce succès de conservation est-il une exception ou peut-on citer d’autres exemples d’oiseaux endémiques menacés dont les populations ont augmenté grâce à leur protection (Ptilope de Grey, Perruche d’Ouvéa, etc.) ?

Paul Bonfils : le Kagou huppé est une des rares espèces faisant l’objet d’un suivi, et l’on parle effectivement d’un succès de conservation. Cependant, cette espèce n’est étudiée que dans les parcs naturels de la province Sud, et l’on connaît mal l’état de ses populations en dehors de ces aires protégées, qui sont par ailleurs soumises à de fortes pressions de prédation par les chiens errants. La Perruche d’Ouvéa (Eunymphicus uvaeensis) est une autre espèce ayant bénéficié de mesures actives de protection et de suivi, qui ont effectivement abouti à un renforcement de sa population.

23- Pensez-vous que les émeutes de 2024 vont avoir des conséquences sur la politique de conservation de l’avifaune dans ce territoire ?

Paul Bonfils : la situation politique et sociale délicate de la Nouvelle-Calédonie a eu pour conséquence un effondrement de son économie, qui ne manquera pas d’engendrer des impacts négatifs sur la protection des milieux naturels. Le chômage de masse et la perte de sources de revenus pour une large part de la population conduiront en effet probablement à une forte recrudescence de la pêche et de la chasse. On peut donc craindre que certaines espèces déjà ciblées par le braconnage, telles que les différents pigeons, subiront une pression supplémentaire. Par ailleurs, la crise budgétaire catastrophique des collectivités locales, compétentes en matière d’environnement se traduit déjà par une réduction drastique des ressources allouées au secteur environnemental, jugé non prioritaire. Même si les règlementations environnementales perdurent, les moyens dévolus à leur application seront réduits. Par ailleurs, toutes les subventions au secteur associatif ont déjà été supprimées.

24- Comment expliquer le déclin du Merle des îles en Nouvelle-Calédonie, alors que son aire de répartition mondiale est plutôt vaste ?

Merle des îles (Turdus poliocephalus xanthopus)

Merle des îles (Turdus poliocephalus xanthopus) en Nouvelle-Calédonie.
Photographie : L. Guisgant

Paul Bonfils : la connaissance de cette espèce est très parcellaire en Nouvelle-Calédonie, et l’on explique mal son déclin drastique, ainsi que l’extinction de plusieurs sous-espèces endémiques sur les îles Loyauté. Parmi les principales causes, on peut citer l’introduction de prédateurs envahissants, comme les rats et les chats, et la destruction de son habitat, en particulier la forêt sèche sur la Grande Terre.

25- Le Canard à sourcils (Anas superciliosa) est l’anatidé le plus fréquemment rencontré en Nouvelle-Calédonie, mais il est cependant localement menacé par la chasse : cette activité est-elle couramment pratiquée ? Est-elle sous contrôle ?

Paul Bonfils : toutes les espèces d’oiseaux indigènes bénéficient d’un statut de protection par les réglementations provinciales, qui encadrent par ailleurs la chasse du gibier d’eau, bien que cette activité soit peu pratiquée en Nouvelle-Calédonie. En effet, le tir des canards est peu prisé des locaux, et relève plus d’une activité d’opportunité. La chasse présente donc un risque réduit pour les anatidés à l’échelle du territoire.

26- Le Carpophage géant (Ducula goliath), appelé localement Notou, est un oiseau très symbolique dans la culture kanak. Il est souvent considéré comme un gibier d’exception, mais certains chefs le protègent et en interdisent la chasse, comme dans la tribu de Touaourou, au sud de la Grande Terre, où il est très peu farouche : le rôle des coutumes locales est-il important dans l’efficacité des mesures de protection ?

Paul Bonfils : la culture, dont la coutume est un levier important de protection de l’avifaune, peut renforcer l’efficacité des mesures de conservation et des dispositifs règlementaires. Le rôle de la coutume est donc déterminant, tant qu’elle conserve son autorité. Malheureusement, la crise que traverse aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie met en lumière la perte de repères des sociétés kanak, et l’apparition d’une défiance à l’égard des autorités coutumières.

27- Le Dindon sauvage (Meleagris gallopavo) a été introduit en 1966 et en 1967 sur la Grande Terre comme gibier de chasse, mais étant assez peu chassé, il s’est bien implanté et il est aujourd’hui présent sur toute la côte ouest : comment expliquer ce désintérêt des chasseurs pour cette espèce pourtant assez peu discrète ?

Paul Bonfils : le dindon est un gibier peu prisé car jugé de moindre intérêt gustatif que les ongulés, qui sont bien plus abondants. Il est par ailleurs d’introduction plus récente que les cerfs et les cochons, et il est donc moins présent dans la culture et les habitudes locales de consommation.

28- Les parcs à crevettes sont fréquentés par plusieurs espèces d’oiseaux nicheuses, comme le Cormoran pie (Microcarbo melanoleucos), et par des espèces migratrices rares, comme la Spatule royale (Platalea regia) : constituent-ils un habitat complémentaire de ceux existants ou ont-ils été créés au détriment des mangroves, comme ailleurs sous les tropiques ?

Cormorans pie (Microcarbo melanoleucos)

Colonie de Cormorans pie (Microcarbo melanoleucos) à Moindou (Nouvelle-Calédonie).
Photographie : L. Guisgant

Paul Bonfils : à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie, les surfaces des parcs à crevettes sont négligeables par rapport à l’étendue des mangroves et des zones humides salées. Ces parcs n’ont pas été créés sur les mangroves, mais dans les plaines salées en arrière de celles-ci : on peut donc considérer qu’ils ont enrichi la typologie des habitats dans les secteurs où ils ont été installés.

29- La Talève sultane (Porphyrio porphyrio) est très commune sur la Grande Terre et niche également sur les îles d’Ouvéa et de Maré, mais elle est régulièrement tirée pour les dégâts qu’elle peut localement occasionner dans les cultures : pourquoi ces dégâts semblent moins aigus en Europe ?

Paul Bonfils : la Talève sultane est bien moins abondante en Europe, où elle est plutôt inféodée aux roselières. En Nouvelle-Calédonie, elle apprécie des cultures tropicales, telles que les champs de taros et de bananiers, qui sont absents sous nos latitudes.

30- Le Langrayen à ventre blanc (Artamus leucorynchus) est régulièrement tiré aux abords des ruchers, lorsqu’il capture des abeilles : est-il vraiment possible de réussir à tirer sur cette espèce au vol agile ?

Paul Bonfils : comme la plupart des oiseaux, le Langrayen à ventre blanc se pose…

31- L’avifaune néo-calédonienne est apparentée à celle de l’Australie, et plusieurs espèces nicheuses  dans ce pays se sont récemment installées sur la Grande Terre à la faveur de tempêtes, comme le Vanneau soldat (Vanellus miles) : peut-on s’attendre à d’autres installations dans le futur ?

Paul Bonfils : certaines espèces originaires d’Australie ont une dynamique d’expansion, c’est effectivement le cas du Vanneau soldat, mais aussi celui de la Glaréole isabelle, dont la nidification en Nouvelle-Calédonie a été confirmée en 2023, après plusieurs années de suspicion. D’autres espèces pourraient effectivement s’installer à l’avenir, mais il est aujourd’hui assez difficile de savoir lesquelles.

32- Le rôle des tempêtes d’ouest est-il important pour l’arrivée d’oiseaux accidentels en Nouvelle-Calédonie ? Ont-elles tendance à être plus fréquentes ?

Paul Bonfils : il est effectivement possible que les tempêtes d’ouest durant les déplacements migratoires sur le continent australien augmentent l’occurrence d’oiseaux terrestres égarés. La fréquence et l’intensité de ces tempêtes dépendent de nombreux facteurs, notamment des phénomènes El Niño et La Niña, et seront probablement influencées par le changement climatique.

33- Comment différencier le Balbuzard d’Australie (Pandion haliaetus cristatus), nicheur en Nouvelle-Calédonie, du Balbuzard pêcheur ?

Balbuzard d’Australie (Pandion haliaetus cristatus)

Balbuzard d’Australie (Pandion haliaetus cristatus) devant son aire sur l’îlot Larégnère (Nouvelle-Calédonie).
Photographie : S. Meriotte

Paul Bonfils : la localisation constitue un bon indice, et je ne connais pas de critère morphologique fiable pour distinguer les sous-espèces européenne et australasienne du Balbuzard pêcheur.

34- Le Corbeau calédonien (Corvus moneduloides) est un oiseau connu pour son intelligence particulièrement développée : avez-vous déjà observé personnellement des comportements étonnants ?

Paul Bonfils : les quelques fois où j’ai observé cette espèce, j’ai effectivement souvent vu des oiseaux avec une brindille dans le bec et j’ai observé une fois un individu utilisant cet outil pour capturer des insectes dans une cavité d’arbre.

35- Dans votre guide, vous donnez parfois des critères d’identification peu évoqués dans les guides européens, comme le fait que le bec de la Sterne de Dougall (Sterna dougallii) est noir en début de période de reproduction et devient entièrement rouge pendant l’élevage du poussin. Avez-vous aussi utilisé des éléments basés sur votre expérience personnelle ?

Paul Bonfils : il faut préciser qu’en Europe, le bec de la Sterne de Dougall ne devient jamais entièrement rouge-orangé, c’est un critère qui n’est donc valable que pour les populations asiatiques et océaniennes. J’ai effectivement utilisé mes observations personnelles, le partage d’expérience d’observateurs locaux et de nombreuses photographies pour proposer les critères d’identification les plus fiables possibles en Nouvelle-Calédonie.

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