Brèves
De nombreux changements taxonomiques dans la classification des alouettes suite aux résultats d’une étude récente
La taxonomie est une branche de la biologie qui a pour objet de décrire les organismes vivants et de les regrouper en entités appelées des taxons (les espèces et les sous-espèces) afin de les identifier, les nommer et les classer au moyen de clés de détermination. La classification était autrefois basée uniquement sur un système mis au point par Carl Linné, un naturaliste suédois du XVIIIe siècle : il a proposé de ranger les êtres vivants dans des catégories de plus en plus englobantes (espèce, genre, tribu, famille, ordre, classe, embranchement et règne), en fonction de caractères communs, principalement morphologiques. Or des ressemblances apparentes peuvent être de simples effets de la convergence adaptative (lire Convergence évolutive et apomorphie chez quatre aigles).
Grâce aux progrès des techniques d’analyse de l’ADN, les biologistes se fondent désormais également sur les caractéristiques génétiques des espèces, ainsi que sur l’étude de leurs ancêtres fossiles pour classer les espèces et les sous-espèces selon leurs parentés évolutives : c’est la systématique phylogénétique, que l’on représente sous la forme « d’arbres » qui tentent de refléter l’histoire de l’évolution du vivant. Un arbre phylogénétique est donc un schéma qui montre les liens de parenté (= distance) génétique entre les taxons, les nœuds entre les branches représentant des ancêtres communs.
Depuis une vingtaine d’années, la multiplication des études taxonomiques, basées sur des techniques d’analyse génétique, mais aussi biochimiques, morphologiques et acoustiques toujours plus poussées et performantes, a entraîné une augmentation importante de la fréquence des révisions des relations entre les taxons et l’identification de nombreuses nouvelles espèces et sous-espèces, en particulier parmi les oiseaux.
Alouette du Tibet (Melanocorypha maxima) en juin 2016. |
La famille des Alaudidés comprend entre 80 et 100 espèces (100 espèces sont reconnues par l’International Ornithology Congress jusqu’à la prochaine révision) et regroupe les alouettes, les cochevis, les moinelettes et d’autres passereaux apparentés répartis en Europe, en Asie et en Afrique, incluant Madagascar et les îles voisines. Il s’agit d’oiseaux terrestres de taille petite à moyenne, allant d’une dizaine de centimètres pour les alouettes des genres Spizocorys à près de 24 cm pour l’Alouette du Tibet (Melanocorypha maxima). Ils vivent généralement dans les zones arides ou semi-arides (lire Le nomadisme des alouettes désertiques : un exemple en Tunisie), les habitats ouverts variés (landes, dunes, etc.) et les zones cultivées. Leur plumage est généralement de couleur brune ou sable, ce qui leur offre un camouflage leur permettant de se fondre dans leur environnement. Comme il s’agit de passereaux principalement terrestres, qui se déplacent en marchant, leur ongle postérieur est souvent très long, leur assurant ainsi une certaine stabilité en position verticale. La forme de leur bec est très variable selon les genres et les espèces : il peut être court et épais, conique ou très long et incurvé (lire Le Sirli du Dupont doit parfois modifier son chant à cause du bruit des éoliennes). Il n’existe pas de dimorphisme sexuel.
La systématique de cette famille a globalement peu changé au cours du XXe siècle, malgré les incertitudes concernant le genre de quelques-uns de ses représentants, comme les Alouettes à collier (Mirafra collaris), de Gillett (M. gillettii) et rousse (M. rufa), et le statut taxonomique de nombreuses espèces et sous-espèces. Les genres traditionnellement reconnus ont toutefois subi peu de modifications depuis les travaux de Mayr et Greenway (1960) : parmi les changements notables effectués ces dernières années, citons le classement de l’Alouette (ou Sirli) éperonnée (Certhilauda albofasciata) dans le genre Chersomanes, et de l’Ammomane de Gray (Ammomanes grayi) dans le genre Ammomanopsis, qui a ensuite été rapproché de Certhilauda et de Chersomanes (Juana et al., 2004 et Alström et al. 2013). Elle a depuis pris le nom de Sirli de Gray (Jimmy Gaudin, 2022-20223) dans un soucis d’harmonisation de la sous-famille des Certhilaudinés. Tieleman et al. (2003) ont également montré que des ajustements au niveau des genres et une réorganisation générale étaient nécessaires.
Le nom scientifique de l’Alouette leucoptère est passé de Melanocorypha leucoptera à Alauda leucoptera. |
La première grande étude sur les Alaudidés, réalisée par l’équipe de Per Alström, avait été publiée en 2013 dans la revue Molecular Phylogenetics and Evolution. Elle incluait près de 83 % des espèces appartenant à l’ensemble des genres reconnus à l’époque. Des arbres phylogénétiques ont été générés sur la base de deux loci (= emplacements de gènes) de l’ADN mitochondrial et de trois loci de l’ADN nucléaire. Les résultats obtenus ont ainsi révélé la monophylie (= propriété d’un groupe taxonomique dont tous les membres descendent d’une unique espèce ancestrale) de la majorité des genres reconnus, mais ils ont aussi montré de façon plus inattendue la polyphylie de plusieurs d’entre eux (Calandrella, Melanocorypha, Spizocorys et Mirafra), ce qui a mené à leur révision taxonomique :
- Calandrella a ainsi été divisé en deux genres (Calandrella et Alaudala).
- Le nom scientifique de l’Alouette leucoptère est passé de Melanocorypha leucoptera à Alauda leucoptera.
- Le Cochevis à queue courte (Pseudalaemon fremantlii) a été classé dans le genre Spizocorys fremantlii.
- La Moinelette malgache (Mirafra hova) a été placée dans le genre Eremopterix.
Des données génétiques manquaient encore pour de nombreux taxons, signifiant qu’il restait beaucoup d’incertitudes quant à leur statut taxonomique.
En mars 2023, une nouvelle étude publiée dans la revue Avian Research et réalisée à peu près par les mêmes ornithologues, a complété les travaux précédents. La quasi-totalité des espèces et sous-espèces reconnues, sauf l’Alouette d’Athi (Alaudala athensis), soit 133 taxons, a été analysée. Les arbres phylogénétiques ont été construits sur la base d’un gène mitochondrial et de 16 gènes nucléaires. Leurs résultats confirment ceux précédemment obtenus, tout en révélant de nouvelles parentés, comme l’inclusion des Alouettes à collier et de Gillett dans le genre Calendulauda.
Sirlis de Beesley (Chersomanes beesley). |
Ces auteurs ont aussi confirmé les propositions récentes d’élévation au rang d’espèces de plusieurs sous-espèces : par exemple, la sous-espèce beesleyi du Sirli éperonné est devenue le Sirli de Beesley (Chersomanes beesley). Ils ont également proposé de diviser le genre Mirafra en quatre genres (Mirafra, Corypha, Plocealauda et Amirafra) afin « d’équilibrer » la classification générique de la famille. D’autres révisions ont été proposées, elles sont résumées ci-dessous.
- La sous-famille des Alaudinés se compose de deux principaux clades (ou groupes), l’un contenant les genres Alauda (quatre espèces), Galerida (six espèces), Lullula (une espèce) et Spizocorys (sept espèces), le second se composant d’Eremophila (quatre espèces), Calandrella (huit espèces), Alaudala (six espèces), Eremalauda (deux espèces), Chersophilus (une espèce) et Melanocorypha (cinq espèces).
- Le nombre d’espèces dans le genre Eremophila a été récemment réévalué, passant de deux à quatre (Ghorbani et al, 2020).
- Le Cochevis du Maghreb (Galerida macrorhyncha) devient une sous-espèce du Cochevis huppé (Galerida cristata).
- Le statut taxonomique de l’Alouette d’Athi reste incertain, les auteurs estimant qu’elle pourrait être une sous-espèce de l’Alouette roussâtre (Alaudala somalica).
- Le genre Alauda est composé des Alouettes des champs (Alauda arvensis), gulgule (A. gulgula ), leucoptère (A. leucoptera) et de Razo (A. razae).
- Le genre Galerida est composé des Cochevis huppé (Galerida cristata), de Sykes (G. deva), à gros bec (G. magnirostris), de Malabar (G. malabarica), modeste (G. modesta) et de Théka (G. theklae).
- Le genre Lullula est composé de l’Alouette lulu (Lullula arborea).
- Le genre Spizocorys est composé des Alouettes à bec rose (Spizocorys conirostris), à queue courte (S. fremantlii), de Botha (S. fringillaris), d’Obbia (S. obbiensis), masquée (S. personata), de Sclater (S. sclateri) et de Stark (S. starki).
- Le genre Alaudala comprend les Alouettes d’Athi (Alaudala athensis), de Swinhoe (A. cheleensis), de Heine (A. heinei), raytal (A. raytal), pispolette (A. rufescens) et roussâtre (A. somalica).
Alouette (ou Sirli) de Dupont (Chersophilus duponti) dans les environs de Saragosse en Aragon (Espagne) en avril 2018. |
- Le genre Chersophilus ne contient que l’Alouette de Dupont (Chersophilus duponti).
- Le genre Eremalauda est composé des Alouettes de Dunn (Eremalauda dunni) et d’Arabie (E. eremodites).
- Le genre Melanocorypha est composé des Alouettes monticole (Melanocorypha bimaculata), calandre (M. calandra), du Tibet (M. maxima), de Mongolie (M. mongolica) et nègre (M. yeltoniensis).
- Le genre Calandrella est composé des Alouettes de Hume (Calandrella acutirostris), de Blanford (C. blanfordi), calandrelle (C. brachydactyla), cendrille (C. cinerea), de Sykes (C. dukhunensis), de Peters (C. eremica), d’Erlanger (C. erlangeri) et de Clancey (C. williamsi).
- Le genre Eremophila comprend les Alouettes haussecol (Eremophila alpestris), bilophe (E. bilopha), de l’Himalaya (E. longirostris) et du Caucase (E. penicillata).
- La sous-famille des Mirafrinés, décrite par Bianchi (1905) mais redéfinie par Per Alstroöm et al. (2023), contient les genres Corypha (11 espèces), Amirafra (3 espèces), Plocealauda (5 espèces), Mirafra (8 espèces), Heteromirafra (2 espèces) et Calendulauda (8 espèces).
- Les genres Corypha, Amirafra et Plocealauda ont été revalidés et séparés de Mirafra.
- L’usage du genre Plocealauda poserait question : en effet, il avait été introduit par Hodgson en 1844 avec la seule espèce, Plocealauda typica, mais sans aucune description ni illustration : son nom scientifique est donc un nomen nudum (un « nom nu »). Pour satisfaire aux exigences du Code de la nomenclature zoologique et rendre le nom disponible, les auteurs ont donc formellement décrit le nouveau genre Plocealauda, qui compte cinq espèces.
Alouette chanteuse (Mirafra cantillans) dans le sanctuaire de Tal Chhapar Blackbuck, dans le Rajasthan (Inde), en août 2017. |
- Les Alouettes rousses (Mirafra rufa) et de Gillett (M. gilletti) doivent être rattachées au genre Calendulauda.
- L’Alouette chanteuse (Mirafra cantillans) a été validée, et les sous-espèces kurrae, kabalii, nigrescens, athi et kidepoensis de l’Alouette à nuque rousse (Corypha africana) ont été élevées au rang d’espèces à part entière.
- L‘Alouette de Barlow (Calendulauda barlowi) doit être considérée comme une sous-espèce de Alouette à dos roux (Calendulauda erythrochlamys), l’Alouette de Ash (Corypha ashi) comme sous-espèce de l’Alouette de Somalie (C. somalica) et l’Alouette d’Abyssinie (Calendulauda alopex) comme une sous-espèce de l’Alouette fauve (C. africanoides).
- Le genre Calendulauda contient les Alouettes fauve (Calendulauda africanoides), du Karoo (C. albescens), ferrugineuse (C. burra), à dos roux (C. erythrochlamys), de Gillett (C. gilletti), à poitrine rose (C. poecilosterna), rousse (C. rufa) et sabota (C. sabota).
- Le genre Amirafra contient les Alouettes d’Angola (Amirafra angolensis), à collier (A. collaris) et bourdonnante (A. rufocinnamomea).
- Le genre Corypha est composé des Alouettes à nuque rousse (Corypha africana), bateleuse (C. apiata), de Hartert (C. athi), fasciée (C. fasciolata), polyglotte (C. hypermetra), de Kabali (C. abalii), du Kidepo (C. kidepoensis), du Soudan (C. kurrae), noirâtre (C. nigrescens), de Sharpe (C. sharpii), de Somalie (C. somalica), de Nyika (C. nyikae) et tropicale (en théorie) (C. tropicalis).
- Le genre Mirafra contient les Alouettes à queue blanche (Mirafra albicauda), chanteuse (M. cantillans), du Kordofan (M. cordofanica), de Java (M. javanica), monotone (M. passerina), de Friedmann (M. pulpa) et de Williams (M. williamsi).
Alouette du Deccan (Plocealauda affinis) juvénile près de Bengalore (Inde) en juillet 2006. |
- Le genre Plocealauda (nomen nudum = nom publié non encore accompagné d’une description acceptable) est composé des Alouettes du Deccan (Plocealauda affinis), d’Assam (P. assamica), d’Indochine (P. erythrocephala), à ailes rousses (P. erythroptera) et de Birmanie (P. microptera).
- Le genre Heteromirafra contient les Alouettes d’Archer (Heteromirafra archeri) et de Rudd (H. ruddi).
- La sous-famille des Pyrrhulaudinés contient plusieurs genres d’alouettes au bec conique et épais : Ammomanes (3 espèces), Ramphocoris (1 espèce), Pinarocorys (2 espèces) et Eremopterix (8 espèces). P. Alström et al. (2023) les rattachent aux Certhilaudinés. Compte tenu de l’ancienneté de sa divergence, il serait préférable de diviser le genre Eremopterix en trois : Eremopterix proprement dit (6 espèces), Pyrrhulauda, composé seulement de la Moinelette à oreillons noirs (P. australis), et d’un genre non encore nommé pour la Moinelette malgache (Eremopterix hova).
- La sous-famille des Certhilaudinés est composé des sirlis, des alouettes au bec recourbé, sauf pour celles appartenant au genre Ammomanopsis : Certhilauda (5 espèces), Chersomanes (2 espèces), Ammomanopsis (1 espèce) et Alaemon (2 espèces).
- Le Sirli de Beesley (Chersomanes beesleyi) et l’Alouette de Benguela (Certhilauda benguelensis), cette dernière ayant été séparée de l’Alouette du Namaland (Certhilauda subcoronata), sont des espèces à part entière, tandis que l’ Alouette de l’Agulhas (Certhilauda brevirostris) a été reléguée au rang de sous-espèce de l’Alouette à long bec (Certhilauda curvirostris).
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Compléments
Dans la galerie d’Ornithomedia.com
- Alouette calandrelle (Calandrella brachydactyla)
- Cochevis huppé (Galerida cristata)
- Alouette ou Siri de Dupont (Chersophilus duuponti)
Ouvrages recommandés
- A Field Guide to the Birds of Mongolia (2019) de Dorj Ganbold et Chris Smith
- Birds of East Asia. Eastern China, Taïwan, Korea, Japan and Eastern Russia de Brazil M. (2009)
- Birds of the Horn of Africa: Ethiopia, Eritrea, Djibouti, Somalia and Socotra de Terry Stevenson, John Fanshawe et Brian Small
- Field Guide to the Birds of East Africa: Kenya, Tanzania, Uganda, Rwanda, Burundi (2020) de Terry Stevenson (Auteur), John Fanshawe (Auteur), Brian Small (Illustrations), John Gale (Illustrations)
- Birds of Eastern Africa de Ber van Perlo
- Birds of Kenya and Northern Tanzania de Dale A. Zimmerman (Auteur), David J. Pearson (Auteur) et Donald A. Turner
Sources
- P. Alström, K. N. Barnes, U. Olsson, F. K. Barker, P. Bloomer, A. A. Khan, M. A. Qureshi, A. Guillaume, P.-A. Crochet et P. G. Ryan P.G.(2013). Multilocus phylogeny of the avian family Alaudidae (larks) reveals complex morphological evolution, non-monophyletic genera and hidden species diversity. Molecular Phylogenetics and Evolution. Volume : 69. Numéro 3. Pages : 1043–1056.
- P. Alström, Z. Mohammadi, E. Enbody, M. Irestedt, D. Engelbrecht, P.-A. Crochet, A. Guillaumet, L. Rancilhac, B. I. Tieleman, U. Olsson, P. F. Donald et M. Stervander M.(2023). Systematics of the avian family Alaudidae using multilocus and genomic data. Avian Research. j-avianres.com
- E. Blyth (1847). Critical Remarks upon Mr. J. E. Gray’s published Catalogue of the specimens of Mammalia and Birds presented by B. H. Hodgson, Esq., to the British Museum. The Annals and magazine of natural history; zoology, botany, and geology. Volum : 20. Pages : 313-323.
- E. de Juana, F. Suárez et P. G. Ryan (2004). Family Alaudidae (larks) in Handbook of the Birds of the World (volume 9 : Cotingas to Pipits and Wagtails) de J. del Hoyo, A. Elliott et D. Christie (Lynx Edicions, Barcelone).
- J. Gaudin J. (2022-23). Noms français normalisés des oiseaux du monde. La Rochelle. www.researchgate.net
- J. E. Gray (1846). Catalogue of the specimens and drawings of mammalia and birds of Nepal and Thibet presented by B.H. Hodgson Esq. to the British Museum. The Trustees (British Museum, Londres).
- B. H. Hodgson (1844). Catalogue of Nipalese birds, collected between 1824 and 1844. The Zoological Miscellany, (Gray). Pages : 81-86.
- ICZN (1999). International Code of Zoological Nomenclature. Fourth Edition. The International Trust for Zoological Nomenclature (Londres). 306 pages
- E. Mayr et J. R. Greenway (1960). Check-list of Birds of the World. A continuation of the Work of James L. Peters, volume IX. Cambridge, Massachusetts, Museum of comparative zoology.
- B. I. Tieleman, J. B. Williams et P. Bloome (2003), Adaptation of metabolism and evaporative water loss along an aridity gradient. Proceedings of the Royal Society of London B. Volume : 270. Pages : 207-214. royalsocietypublishing.org
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