La pose de terriers artificiels pour les oiseaux marins, un outil de conservation souvent efficace

Pétrel de Tahiti (Pseudobulweria rostrata)

En 2024, pour la première fois, le Pétrel (ou Puffin) de Tahiti (Pseudobulweria rostrata) a niché dans un terrier artificiel installé dans le site minier du massif de Koniambo (Nouvelle-Calédonie) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Bird Conservation New Caledonia

De nombreuses espèces d’oiseaux marins sont en déclin dans le monde, car elles doivent faire face à différentes menaces, à la fois en mer et sur terre, la perte et la détérioration de leur habitat de nidification faisant partie des problèmes les plus sérieux. Alors qu’elles sont habiles en vol, qu’elles sont capables de parcourir de grandes distances sans effort et d’affronter les tempêtes (lire Quels oiseaux marins arrivent à voler dans les vents les plus violents ?), beaucoup d’entre elles sont maladroites au sol,
leurs pattes palmées étant fréquemment pliées sous leur corps, ce qui les rend très vulnérables. Si les cormorans, les goélands ou les alcidés nichent souvent sur des falaises ou des îles inaccessibles, les océanites, les pétrels et les puffins pondent dans des terriers qu’ils rejoignent la nuit : les adultes et leurs nichées peuvent alors être dévorés par les rongeurs, les mustélidés ou les chats harets.
Pour favoriser leur installation dans de nouveaux sites de nidification, renforcer les colonies ou accélérer leur retour dans des lieux autrefois occupés (où les prédateurs ont été exclus), la pose de nichoirs ou de terriers artificiels peut constituer un outil de conservation efficace, qui a été testé avec succès pour plusieurs espèces dans le monde, et qui peut être couplé avec des dispositifs d’attraction vocale, des leurres visuels (faux oiseaux) et/ou la translocation de poussins ou d’œufs (lire Un projet prometteur de création d’une colonie d’Albatros à pieds noirs sur l’île de Guadalupe à partir d’œufs couvés par des Albatros de Laysan).
Les taux d’occupation de ces terriers artificiels peuvent être élevés (plus de 20 %), parfois même dès la première saison de reproduction après leur installation, et ils augmentent généralement avec le temps. Ils restent néanmoins faibles (moins de 6 %) pour certaines espèces de pétrels, même plus de trois ans ou plus après la mise en place. 
La productivité des oiseaux marins utilisant des terriers artificiels peut être aussi élevée, voire supérieure, à celle de ceux qui se reproduisent dans des terriers naturels, principalement en raison d’une meilleure protection contre les prédateurs et d’une plus grande stabilité que celles des galeries creusées dans un substrat meuble. En augmentant le nombre de sites de nidification, ils réduisent en outre les compétitions intra et interspécifique.
Les matériaux utilisés pour la construction de ces sites de nidification peuvent avoir un effet sur leur température interne : par exemple, en Nouvelle-Zélande, celle atteinte dans des terriers en plastique installés dans un site exposé à de longues périodes de chaleur aurait causé la mort d’un tiers des poussins de Pétrels (ou Diablotins) à face grise (Pterodroma macroptera) transférés.
Malgré leurs limites, liées à différents facteurs (comportement et biologie de chaque espèce, taux de prédation, conception et fabrication, choix du site, etc.), les terriers artificiels se sont révélés être des outils performants pour la conservation de plusieurs oiseaux marins. Parmi les nombreux exemples d’opérations réussies, citons par exemple celle concernant les Puffins yelkouan (Puffinus yelkouan) et de Scopoli (Calonectris diomedea) sur les îles d’Hyères (Var), où entre 2003 et 2014, la pose de terriers a permis le recrutement de nouveaux couples et nettement augmenté le succès de leur reproduction et leur fidélité au site de nidification.

L’interview d’Angélique Pagenaud (Bird Conservation New Caledonia) 

1- Bird Conservation New Caledonia a été créée en 2021 : vos actions sont-elles différentes de celles de la Société Calédonienne d’Ornithologie ? Coopérez-vous avec elle ?

Pétrel de Gould (Pterodroma leucoptera)

Pétrel (ou Diablotin) de Gould (Pterodroma leucoptera) au large de Nouméa (Nouvelle-Calédonie) en janvier 2020 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Hadoram Shirihai / Tubenoses Project

Angélique Pagenaud : l’association Bird Conservation New Caledonia a pour principaux objectifs d’élaborer, de mettre en œuvre et de participer à des projets de protection, de conservation et de mise en valeur des habitats de l’avifaune terrestre ou marine dans l’archipel, et nous sommes la seule association sur le territoire à effectuer ce genre de missions. Nous ne collaborons pas pour l’instant avec la Société Calédonienne d’Ornithologie, mais nous espérons le faire dans le futur. 

2- L’un de vos principaux axes d’action est la dynamisation et la restauration de colonies d’oiseaux marins par stimulations sociales et par l’installation de sites de reproduction artificiels : quelles espèces marines sont-elles particulièrement menacées en Nouvelle-Calédonie ? Pour quelles raisons ?

Angélique Pagenaud : les espèces marines les plus menacées sont le Pétrel (ou Diablotin) de Gould (Pterodroma leucoptera), le Pétrel (ou Puffin) de Tahiti (Pseudobulweria rostrata) et l’Océanite de Nouvelle-Calédonie (Fregetta lineata). Pour les deux premières, les principales menaces sont la destruction de leur habitat de reproduction et la prédation par les espèces envahissantes, tandis que pour la troisième, très peu d’éléments sont à ce jours disponibles, mais il est très probable que les menaces soient les mêmes. 

3- Vous utilisez plusieurs dispositifs pour stimuler le retour ou le renforcement de colonies d’oiseaux marins, comme l’installation de terriers artificiels conçus à partir de caractéristiques observées in natura et l’attraction d’individus reproducteurs par des leurres auditifs et visuels : ces techniques ont-elles déjà été utilisées ailleurs dans le monde avec succès ? Pour quelles espèces par exemple ?

Angélique Pagenaud : ces techniques ont déjà été utilisées avec succès plusieurs fois dans d’autres régions du monde, comme l’archipel d’Hawaï (États-Unis), la Nouvelle-Zélande ou La Réunion (France), et pour plusieurs espèces comme les Pétrels (ou Diablotins) de Barau (Pterodroma baraui) et à face grise (Pterodroma gouldi), le Pétrel de Gould, l’Océanite (ou Pétrel) de Castro (Oceanodroma castro), les albatros etc.

4 – Vous avez récemment annoncé la première nidification documentée du Pétrel (ou Puffin) de Tahiti dans un terrier artificiel installé dans un site minier dans le massif de Koniambo : pourriez-vous nous en dire plus ? La Nouvelle-Calédonie accueille déjà la plus grande colonie au monde de cette espèce, pourquoi avez-vous décidé d’installer des terriers artificiels ?

Vue du site minier dans le massif de Koniambo (Nouvelle-Calédonie)

Vue du site minier dans le massif de Koniambo (Nouvelle-Calédonie) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Bird Conservation New Caledonia

Angélique Pagenaud : cette première nidification est une première pour la Nouvelle-Calédonie et au niveau mondial car elle a eu lieu dans un site minier. En effet, ce genre de projet se déroule normalement dans des lieux protégés. Ces actions sur des espèces à longue espérance de vie mettent généralement plusieurs dizaines d’années à produire des effets, ces oiseaux ne se rapprochant des colonies qu’à partir d’un certain âge. Concernant notre projet de création d’une colonie dans un site minier, les Pétrels (ou Puffins) de Tahiti se sont posés dans la zone seulement onze jours après la pose des terriers et ils ont pondu au bout de trois ans, ce qui est assez exceptionnel. La Nouvelle-Calédonie héberge en effet la plus grande population mondiale de cette espèce, mais cela ne veut pas dire que les effectifs soient importants.

5- Le Pétrel (ou Puffin) de Tahiti a une biologie complexe : pourriez-vous nous expliquer en quoi elle est particulière ?

Angélique Pagenaud : la biologie du Pétrel de Tahiti est particulière, car il a une reproduction asynchrone, c’est-à-dire qu’il peut se reproduire tout au long de l’année, indépendamment des saisons. Ce n’est pas courant parmi les oiseaux marins, voire au-delà, car la plupart des espèces se reproduisent à une période donnée, généralement pendant le printemps ou l’été, qui sont les périodes les plus propices du fait d’une nourriture plus abondante.

6- Une colonie de Pétrels (ou Diablotins) de Gould a récemment été découverte en Nouvelle-Calédonie : de nouveaux sites de nidification d’oiseaux marins restent-ils encore à découvrir dans l’archipel selon vous, comme pour l’Océanite de Nouvelle-Calédonie, qui n’a été décrit qu’en 2022, ou de certaines espèces du genre Pterodroma ? La recherche des sites de nidification de l’Océanite de Nouvelle-Calédonie fait-elle partie de vos sujets d’étude ?

Habitat d'une nouvelle colonie de Pétrels de Gould (Pterodroma leucoptera)

Habitat de la nouvelle colonie de Pétrels (ou Diablotins) de Gould (Pterodroma leucoptera) récemment découverte dans la province Sud en Nouvelle-Calédonie (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Angélique Pagenaud / Bird Conservation New Caledonia

Angélique Pagenaud : plusieurs sites de nidification restent à découvrir pour le Pétrel de Gould et pour l’Océanite de Nouvelle-Calédonie, mais aussi pour le Pétrel de Tahiti. Ces espèces sont assez difficiles à trouver sur le terrain, et nous sommes encore loin d’avoir identifié toutes leurs colonies. La recherche des sites de nidification de l’Océanite de Nouvelle-Calédonie constitue en effet l’un de nos sujets d’étude, et pour l’instant, nous n’en sommes qu’au début : nous organisons des expéditions en mer pour essayer de repérer les périodes où il y aura plus d’individus en mer, afin d’essayer ensuite de les équiper de balises et de trouver par télémétrie leur(s) site(s) de reproduction.

7- Les chats harets constituent une menace majeure pour les oiseaux de Nouvelle-Calédonie, et le projet LUCICAT (LUtte innovante Contre l’Invasion des ChATs harets en milieux isolés) a été lancé pour y répondre : donne-t-il déjà des résultats ?

Angélique Pagenaud : le projet LUCICAT va être lancé prochainement, et nous devrions avoir les premiers résultats dans le courant de l’année 2024.

8- Sur votre site web, la recherche de l’énigmatique Égothèle calédonien (Aegotheles savesi), en danger critique d’extinction et longtemps considéré comme disparu, fait partie de vos principaux sujets d’action : que savez-vous du statut actuel de cette espèce ?

Angélique Pagenaud : nous ne savons malheureusement pas grand-chose concernant cette espèce. Nous avions en effet élaboré en 2021 un projet pour rechercher cette espèce, mais il n’a malheureusement pas eu de suite. Nous espérons toutefois un jour réunir les financements pour retrouver l’Égothèle calédonien.

9- A-t-on un espoir de retrouver d’autres espèces endémiques néo-calédoniennes que l’on n’a pas observées depuis plusieurs années, et des descriptions de nouvelles sous-espèces ou espèces d’oiseaux endémiques néo-calédoniens sont-elles encore possibles ?

Océanite de Nouvelle-Calédonie (Fregetta lineata)

Océanite de Nouvelle-Calédonie (Fregetta lineata) au large de Nouméa (Nouvelle-Calédonie) en janvier 2020 : notez le dessous blanc strié de noir (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Hadoram Shirihai / Tubenoses Project

Angélique Pagenaud : oui, il est toujours possible en Nouvelle-Calédonie de retrouver des espèces rares ou que l’on pensait éteintes ou d’en décrire de nouvelles, comme récemment l’Océanite de Nouvelle-Calédonie (lire Vincent Bretagnolle nous en dit plus sur la description récente de l’Océanite de Nouvelle-Calédonie). 

10- Comment se porte le Kagou huppé (Rhynochetos jubatus), le symbole de l’avifaune néo-calédonienne ?

Angélique Pagenaud : globalement, sur l’ensemble du territoire, le Kagou huppé se porte bien. Les mesures de gestion qui ont été mises en place pour sa préservation ont porté leurs fruits et ses populations ont augmenté, ce qui est une bonne nouvelle (lire Pourquoi le Kagou huppé n’est-il pas tué par les chats ?).

11- Quel guide (ouvrage) d’identification conseilleriez-vous pour identifier les oiseaux en Nouvelle-Calédonie et sur les îles voisines ? Quelle compagnie ou association conseilleriez-vous à une personne souhaitant séjourner dans l’archipel et observer le maximum d’oiseaux endémiques ? 

Angélique Pagenaud : je conseillerais plusieurs ouvrages, dont le guide des oiseaux marins, côtiers et des zones humides de NC (Société Calédonienne d’Ornithologie), celui des oiseaux des forêts sèches de Nouvelle-Calédonie (Société Calédonienne d’Ornithologie) et le guide expert des oiseaux de Nouvelle-Calédonie (éditions Biotope). 
Concernant les sorties sur le terrain, il est possible de se rapprocher de la Société Calédonienne d’Ornithologie, qui organise ce genre d’activités, ou encore de Caledonia Birds. Concernant notre association, nous ne proposons pas de sorties ornithologiques, par contre il est possible de participer en tant que bénévole à certaines de nos missions de conservation.

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