La méthode d’étude  

Batara à joues argent nordique (Sakesphoroides niedeguidonae) mâle

Batara à joues argent nordique (Sakesphoroides niedeguidonae) mâle.
Photographie : Pablo Cerqueira

Les auteurs ont étudié et analysé le plumage et la morphométrie de 1 079 Bataras à joues argent (Sakesphoroides cristatus) (818 mâles et 261 femelles), incluant des spécimens naturalisés (n = 92) et des photographies disponibles dans les bases de données en ligne (n = 987).
Pour étudier la variation des chants, ils ont analysé 115 enregistrements sonores (95 chants et 29 cris). Ils ont extrait de l’ADN à partir de 58 échantillons de tissus d’individus provenant de part et d’autre du fleuve São Francisco, puis ils ont effectué une amplification et un séquençage de trois marqueurs (deux mitochondriaux et un nucléaire). Un arbre phylogénétique a été élaboré pour évaluer les divergences génétiques entre différentes espèces de la famille des Thamnophilidés.
Pour alimenter un modèle de niche écologique, un outil d’étude de la distribution environnementale des espèces pouvant être utilisé pour tester statistiquement des hypothèses écologiques et biogéographiques, ils ont collecté toutes les données disponibles (n = 568) concernant cette espèce issues de différentes bases de données (Species Link, Xeno-Canto, Wikiaves, Vertnet et Ebird), de collections de plusieurs muséums d’histoire naturelle brésiliens et d’observations sur le terrain. L’objectif de ce modèle est d’estimer la dynamique des niches écologiques des différentes lignées de S. cristatus au cours des 120 000 dernières années.
Pour tester les limites interspécifiques et la différenciation génétique au sein de S. cristatus, ils ont utilisé le logiciel Bayesian Phylogenetics and Phylogeography.
Pour étudier l’historique démographique des lignées du Batara à joues argent, c’est-à-dire les changements de la taille effective de ses populations au fil du temps, ils ont utilisé le modèle Extended Bayesian Skyline Plot (EBSP), qui s’appuie sur la théorie de la coalescence, selon laquelle les différentes lignées fusionnent (coalescent) au fur et à mesure que l’on remonte dans le passé. Cette méthode leur a permis de tester les prévisions de changement de l’aire de répartition de l’espèce en fonction des oscillations climatiques du Pléistocène, qui ont provoqué des alternance de périodes sèches et plus humides.

Des différences de plumage, vocales et génétiques

Batara à joues argent (Sakesphoroides cristatus) femelle

Batara à joues argent (Sakesphoroides cristatus) femelle : notez la queue entièrement brune et rousse.
Photographie : Rick Elis Simpson / Wikimedia Commons

Sur les 1079 individus étudiés, aucune différence de plumage n’a été détectée entre les mâles des populations vivant globalement de part et d’autre du fleuve, tandis que des particularités ont été trouvées chez les femelles : celles vivant au nord du cours d’eau ont une queue rousse barrée de blanc et de noir (et non pas entièrement rousse), une calotte ambrée (et non pas marron) et un dos brun-olive (et non pas brun-cannelle).
Aucune différence morphométrique significative (longueurs des ailes, du bec et de la queue) n’a été trouvée.
L’analyse de 95 spectogrammes a montré que le chant des mâles et des femelles des oiseaux vivant au nord du fleuve se caractérisait par des notes aiguës et modulées (augmentation puis diminution rapides), suivies d’une courte série finale de notes rauques, tandis que celui des oiseaux présents au sud du fleuve était composé d’une série initiale de notes aiguës à la modulation différente (augmentation rapide, diminution, stabilité de courte durée et nouvelle diminution), suivie de courtes notes finales râpeuses.

Écoutez ci-dessous un enregistrement du chant du Batara à joues argent (Sakesphoroides cristatus) réalisé par Ciro Albano à ans le Campo Formoso, dans l’État de Bahia (Brésil), le 28 mars 2021 (source : Xeno-Canto) :

L’analyse phylogénétique a montré que les bataras vivant à l’ouest et au nord du fleuve étaient nettement distincts génétiquement de ceux présents à l’est et au sud, même s’ils sont localement en contact à l’ouest de l’État de Bahia. Leur distance génétique est de 1,8 %, soit une valeur supérieure à celle séparant des espèces étroitement apparentées, comme les Fourmiliers arlequin (Rhegmatorhina berlepschi) et à poitrine blanche (R. hoffmannsi), dont la divergence n’est que de 1 %.
La datation moléculaire a montré que les deux lignées avaient divergé au Pléistocène, il y a plus de 350 000 ans.
Le modèle EBSP a enfin permis de trouver que les aires de répartition des populations vivant de part et d’autre du fleuve étaient plus vastes qu’avant la mi-Holocène, il y a 6 000 ans environ.   

Proposition de la reconnaissance d’une nouvelle espèce au nord du fleuve São Francisco

Aires du répartition des Bataras à joues argent nordique (Sakesphoroides niedeguidonae) et à joues argent (S. cristatus)

Aires du répartition des Bataras (A) à joues argent nordique (Sakesphoroides niedeguidonae) et (B) à joues argent (S. cristatus). En (C), l’ancien tracé cours inférieur du São Francisco.
Carte : ornithomedia.com

D’après ces résultats, les auteurs suggèrent de reconnaître une nouvelle espèce d’oiseau répartie globalement au nord et à l’ouest du fleuve São Francisco, et qu’ils proposent de nommer le Batara à joues argent nordique (Sakesphoroides niedeguidonae) : il n’a pas encore de nom officiel en français, mais plusieurs noms sont possibles, comme le Batara de la Serra Vermelhan d’après le lieu de collecte du spécimen de référence (holotype), ou le Batara de Niède Guidon, d’après le nom scientifique, qui a été donné en l’honneur de Niède Guidon, un archéologue brésilien qui a exploré d’importantes sites préhistoriques dans les Amériques dans les années 1970.
Le plumage du mâle est identique à celui du Batara à joues argent (S. cristatus), tandis que la femelle présente plusieurs différences : elle est globalement plus claire, son dos est brun olive et non pas brun-cannelle, et sa queue est barrée de blanc et de noir et non pas rousse barrée de brun.
Son chant ressemble à celui du Batara à joues argent, mais il en diffère par la modulation de fréquences des premières notes.
L’aire de répartition de cette “nouvelle” espèce s’étend principalement au nord du fleuve São Francisco, avec toutefois une petite population présente au sud de ce cours d’eau, dans la région de Raso da Catarina, dans l’État de Bahia. Cette exception s’expliquerait par les changements du cours du fleuve au cous du Pléistocène.
Il vit dans les forêts sèches à feuilles caduques, la savane arborée et la végétation broussailleuse côtière, ainsi que localement dans les milieux anthropisés.
Sa biologie est encore mal connue, mais il se nourrit d’insectes, qu’il recherche en couple ou en troupes, parfois composées de différentes espèces. C’est un passereau territorial, le mâle chantant souvent sur des branches dégagées, alors que la femelle est plus discrète.
Cette espèce est encore commune, même si de vastes surfaces de la Caatinga ont été et sont défrichées pour l’agriculture, que le réchauffement climatique favorise la désertification et qu’il n’existe pas corridors biologiques reliant les zones protégées.

Le rôle écologique important du fleuve São Francisco

Cette étude confirme la fonction de barrière écologique du fleuve São Francisco, qui favorise la spéciation, un phénomène qui a déjà été étudié pour d’autres grands cours d’eau, comme l’Amazone. Cela est étant d’autant plus vrai que les bataras du genre Sakesphoroides ont une faible capacité de dispersion et des territoires de faible dimension.
Précisons que des études récentes ont également montré que le São Francisco avait contribué à la formation d’espèces chez les mammifères, les lézards, les insectes et les grenouilles.

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