Les cas d’hybridation entre des espèces différentes de la famille des Ardéidés (hérons, aigrettes, etc.) ne sont pas rares, mais ils concernent souvent des oiseaux élevés en captivité et/ou appartenant au même genre. Par exemple, des oiseaux intermédiaires entre l’Aigrette garzette (Egretta garzetta) et l’Aigrette des récifs (E. gularis) sont régulièrement notés dans le bassin méditerranéen (lire Réflexions à propos d’un probable hybride Aigrette des récifs x garzette observé en Algérie en 2019), des hybrides Héron cendré (Ardea cinerea) x pourpré (A. purpurea) ont été décrits en Indre-et-Loire (France) en août 2012 (lire Un hybride Héron pourpré x Héron cendré en Indre-et-Loire), en Bavière (Allemagne) en 2004, dans le delta du Pô (Italie) en 1999 et près de Valladolid (Espagne) en 1990. En Amérique centrale, les Hérons vert (Butorides virescens) et strié (B. striata) se croisent aussi parfois. 

Situation du parc ornithologique du Marquenterre (Somme)

Situation du parc ornithologique du Marquenterre (Somme).
Carte : Ornithomedia.com 

Les croisements entre deux représentants de cette famille mais appartenant à des genres différents sont plus rares mais également possibles, ce qui confirme la difficulté de déterminer la frontière exacte entre des espèces pourtant nettement distinctes. Parmi les cas connus, citons un hybride Héron cendré (Ardea cinerea) x Grande Aigrette (A. alba) découvert dans les salines de Macchiareddu en Sardaigne (Italie) en janvier 2008, des hybrides entre le Héron cendré et l’Aigrette garzette nés en 1983 et en 1985 dans le parc naturel belge du Zwin (en volière) et dans le delta du Pô (Italie) (date non connue), un hybride issu d’un croisement entre un Bihoreau gris (Nycticorax nycticorax) et une Aigrette garzette dans le Pas-de-Calais en 2024, ainsi que qu’entre le Héron garde-bœufs (Bubulcus ibis) et le Crabier chevelu (Ardeola ralloides), entre le Héron garde-bœufs et les Aigrettes bleue (Egretta caerulea), neigeuse (E. thula) et garzette (E. garzetta), ou encore entre le Crabier chinois (Ardeola bacchus) et l’Aigrette garzette (lire Un hybride naturel entre une aigrette et un crabier).

Dans le parc ornithologique du Marquenterre (lire Où observer les oiseaux dans la baie et dans la basse vallée de la Somme ?), les Hérons cendrés et les Aigrettes garzettes nichent sur des Pins laricios (Pinus nigra corsicana), et Philippe Carruette,  responsable pédagogique du suivi naturaliste du parc, nous a transmis les éléments ci-dessous concernant les cas d’hybridation entre les deux espèces. 

Le 24 juillet 2018, dans la héronnière mixte, une Aigrette garzette a été vue en train de nourrir trois grands poussins de Hérons cendrés semblant assez pâles et petits, malgré le développement quasiment achevé de leur plumage. Les branches de pins dissimulant le nid ne permettait pas de faire une observation précise. Ces jeunes de cinq semaines environ (selon le développement des poussins de Héron cendré), avaient tendance à vouloir quitter le nid et à se déplacer sur les branches, un comportement typique des poussins d’Aigrettes garzettes de cet âge. Le 12 août, un jeune Héron cendré a été observé en vol et s’est posé dans un saule à proximité. Le 15 au soir, il a été vu pêchant à l’affût des insectes dans un marais d’eau douce voisin. Il avait une partie de la face blanche, des rémiges en grande partie de cette couleur, des pattes courtes verdâtres, et une taille intermédiaire entre une Aigrette garzette et un Héron cendré. Le 22 août, une femelle immature de Héron cendré nourrissait dans leur nid les deux jeunes non encore volants  (lire Un cas d’hybridation entre un Héron cendré et une Aigrette garzette dans la Somme en août 2018).

Jeune hybride issu d'un croisement entre l'Aigrette garzette (Egretta garzetta) et le Héron cendré (Ardea cinerea)

Jeune hybride issu d’un croisement entre un Aigrette garzette (Egretta garzetta) et un Héron cendré (Ardea cinerea) dans le parc du Marquenterre (Somme) le 13 juillet 2022 : notez sa petite taille (cliquez sur la photo pour l’agrandir)
Photographie : Thierry Nolland

En 2022, un nouveau couple mixte a été repéré dans le parc, et un premier jeune volant a été repéré le 12 juillet. Le 19 juillet, un second jeune, au plumage différent, avait quitté le nid depuis peu, et il était encore nourri par une Aigrette garzette (lire Un second cas d’hybridation entre une Aigrette garzette et un Héron cendré dans le parc du Marquenterre en juillet 2022). Était-ce le même couple qu’en 2018 ? Cela semble peu probable, car ces individus ont niché très tardivement, laissant plutôt penser à un appariement de fin de saison dû au manque de femelles d’Aigrette garzette disponibles.

En 2024, suite  à un printemps gris, pluvieux et venteux, la nidification des couples de la héronnière mixte du parc a pris environ quinze jours de retard. Alors que les premiers gloussements d’Aigrettes garzette ont été entendus dès le 19 mars, au moins douze mâles étaient encore chanteurs le 20 mai, et un mâle paradait toujours le 20 juin. Le 10 juillet, un jeune oiseau, qui venait à peine de quitter son nid, a été observé sur des branches périphériques : sa tête était blanc grisâtre et des marques blanches étaient bien visibles sur les épaules et le dos. Lors d’un envol furtif vers le centre de la héronnière, les rémiges secondaires et tertiaires entièrement blanches ont été remarquées, ainsi que le camaïeu de blanc et de gris du plumage  de cet oiseau plutôt compact. Comme pour les hybrides des années précédentes, l’oiseau semblait très méfiant, gardant le cou replié et ramassé sur lui-même, un surprenant comportement discret contrastant avec l’énergie des jeunes Aigrettes garzettes et Hérons cendrés.

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